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Un village de l'Etat du Sud Kordofan, à la frontière entre les deux Soudan, avril 2012.© REUTERS/Reuters Staff
Un village de l'Etat du Sud Kordofan, à la frontière entre les deux Soudan, avril 2012.© REUTERS/Reuters Staff

Les deux Soudan vont-ils de nouveau rentrer en guerre?

Le conflit sur la gestion des ressources pétrolières est sur le point de déboucher sur une nouvelle guerre entre le Soudan et le Soudan du Sud.

Mise à jour du 24 juillet 2012: En compensation des pertes économiques causées par son indépendance, le Soudan du Sud se propose d’offrir 3 milliards de dollars à son voisin soudanais.

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Rien ne va plus entre le Soudan et le Soudan du Sud. La guerre verbale a fait place au langage des armes. Depuis que le Soudan a interrompu unilatéralement les négociations conduites à Addis Abeba, la capitale éthiopienne, par l’ancien président Sud-Africain Thabo Mbeki, sous l’égide de l’Union africaine (UA), les deux camps se préparent au pire.

Ils mobilisent leurs populations dans la perspective d’une nouvelle guerre, celle du pétrole après celle de l’indépendance. Et le Soudan du Sud a déjà fait l’objet de plusieurs bombardements de l’aviation soudanaise. La capitale de l’Etat frontalier de l’Unité, Bentiu, qui est une ville stratégique, en raison de la richesse de la zone en pétrole, a été l’une des premières cibles de ces attaques. Lesquelles sont les prémices d’une nouvelle escalade dans le conflit qui perdure.

L’armée du Soudan du Sud reconnaît qu’elle a déjà pris ses positions dans la zone de Heglig qui suscite les convoitises des voisins du nord. En rentrant dans le giron du Soudan du Sud, à la faveur de son indépendance, la zone de Heglig a privé de facto le Soudan des trois quarts des ressources pétrolières du pays.

Escalade verbale

Le Soudan a choisi de récupérer, d’une façon ou d’une autre ce manque à gagner, en imposant des droits de transit exorbitants de 34 dollars au baril, au lieu de 10 ou 20 dollars. Les autorités de Juba ne disposent pour le moment que du seul débouché de la mer Rouge via Khartoum pour leurs exportations. Même si un projet d’oléoduc est en cours avec le Kenya, elles ont choisi de fermer le robinet du pétrole. Au point de faire monter le ton entre les présidents Omar el-Béchir du Soudan et Salva Kiir du Soudan du Sud.

Le premier a ainsi insulté le second d’avoir fermé le robinet du pétrole après avoir pris de l’alcool et le second de lui répondre que si tel était le cas, il devrait en prendre bien plus souvent. Cette escalade verbale a abouti au refus de Khartoum de signer un accord préalablement négocié entre le deux pays. D’où le retour à la case départ. La tension entre les deux Soudan fait maintenant craindre le pire, en dépit des tractations diplomatiques du médiateur de l’Union africaine.

Dans sa déclaration, le département d’Etat américain a indiqué:

«Les Etats-Unis sont profondément inquiets de l’escalade des hostilités entre le Soudan et le Soudan du Sud et condamnent l’action militaire offensive de n’importe quelle partie.»

A travers sa haute représentante pour les Affaires étrangères, Catherine Ashton, l’Union européenne a attiré l’attention des deux pays sur le fait que «les récentes attaques transfrontalières et les bombardements aériens continuent représentent une escalade dangereuse d’une situation déjà tendue». 

Equilibrisme chinois

Face à la situation de reprise de facto de la guerre qui risque fort d’endommager les installations pétrolières, la Chine très présente dans les deux pays continue de jouer les équilibristes. Au nom de sa sacro-sainte loi de non ingérence dans les affaires intérieures des pays avec lesquels elle entretient des relations. Cette conduite ne saurait cependant tenir longtemps si les bombardements du Nord mettent sérieusement à mal ses investissements économiques dans le Sud ou vice-versa.

Les prises d’otages dont ses ressortissants ont été victimes ces derniers temps de la part de groupes rebelles prouvent que pour les Soudanais, la Chine est partie intégrante au conflit, qu’elle le veuille ou non. De par l’importance économique qu’elle représente pour l’une ou l’autre partie, sa position deviendra on ne peut plus difficile à tenir à long terme.

Le Nord et le Sud du Soudan sont plus que jamais engagés dans une confrontation ouverte. Outre la question du pétrole, les deux frères ennemis s’accusent mutuellement de soutenir des rébellions contre leurs régimes respectifs. Ce qui n’est pas fait pour arranger les relations de bon voisinage. Manifestement, il faut bien le dire, la communauté internationale a toujours fait preuve de complaisance vis-à-vis du régime d’Omar el-Béchir.

Menaces et ultimatums

Accusé de génocide et de crimes contre l’humanité, il continue de se déplacer à sa guise et de pavoiser. Fort de l’appui dont il bénéficie dans les pays arabes et de leur influence géopolitique sur le plan international. A l’opposé, le président Salva Kiir du Soudan du Sud ne bénéficie pas du même soutien des pays d’Afrique subsaharienne, confinés dans leur diplomatie du complexe et de la main tendue.

Alors que la zone frontalière d’Abyei fait l’objet d’un litige qui doit être tranché par un référendum d’autodétermination des populations, les troupes du Soudan l’occupent depuis mai 2011. Au vu et au su de celles des Nations unies qui ne font rien pour maintenir le statu quo. Aussi le président du Soudan du Sud a-t-il répondu à l’injonction du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-Moon de se retirer d’Heglig, en ces termes:  

«Je ne suis pas à vos ordres».

Et de menacer:

«Si vous ne retirez pas les forces de Béchir d’Abyei, nous allons reconsidérer notre position et nous allons nous diriger vers Abyei.»

Khartoum a donné un ultimatum à quelque 300.000 Soudanais du Sud résidant encore dans le Nord pour rentrer au Sud ou «régulariser leur situation» au Nord.

Cet ultimatum répond au neuf mois qui leur avait été donné à compter de la date de l’indépendance, à savoir le 9 juillet 2011. Le caractère raciste du régime d’Omar el-Béchir est un secret de polichinelle depuis longtemps. Il a d’ailleurs été suffisamment relayé par ses milices Janjawid qui ont souvent chanté:

«Omar al Bashir nous a dit que nous devions tuer tous les Noubas. Il n’y a plus de place ici pour les nègres.»

Sauf que la diplomatie internationale en a fait un sujet tabou.

Manœuvres dilatoires

Comme l’a déclaré un réfugié soudanais, Sheikh Osman Alamin:  

«Omar el-Béchir, le président du Soudan, dit qu’il ne veut pas de Noirs comme nous dans le Nil bleu, il ne veut pas de Noirs du tout. Alors, on va où?»

Mais ce qu’on ne comprend pas, c’est qu’un régime qui ne veut pas de noirs au nord du Soudan continue pourtant à lorgner l’or noir qui se trouve sur leur territoire, notamment à Abyei. Au point de se battre, par tous les moyens, pour tenter de l’accaparer.

La responsabilité de la communauté internationale est largement engagée dans le drame qui se joue au Soudan depuis des décennies. A force de jouer à trop de diplomatie face à la réalité, ses dirigeants actuels risquent fort d’être comptables un jour de ses conséquences devant l’histoire de l’humanité. 

Marcus Boni Teiga

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Marcus Boni Teiga

Ancien directeur de l'hebdomadaire Le Bénin Aujourd'hui, Marcus Boni Teiga a été grand reporter à La Gazette du Golfe à Cotonou et travaille actuellement en freelance. Il a publié de nombreux ouvrages. Il est co-auteur du blog Echos du Bénin sur Slate Afrique.

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