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Tunisie - Comment la loi protège les violeurs

La Tunisie est réputée pour être un pays protecteur des droit des femmes. Une réputation en trompe l’œil, à en croire Sana Ben Achour, juriste tunisienne qui a épluché la législation de son pays sur le viol d’une mineure.

«A l’égal du Maroc, l’émotion a été grande en Tunisie après le suicide par immolation de la jeune Amina, contrainte par la loi d’épouser son violeur», écrit-elle dans une tribune édiotriale du quotidien tunisien La Presse.

L’histoire tragique de la jeune fille mineure marocaine avait eu un large écho dans les médias du pays et à l’étranger. En conséquence, la ministre marocaine de la Solidarité, de la Femme et de la Famille avait même déclaré vouloir abroger le tristement célèbre article 475 du Code pénal au Maroc.

Or, selon Sana Ben Achour, professeur de droit à Tunis, cet article infâme a son double en Tunisie: l’article 227 bis.

Dans sa version tunisienne, cet article est selon l’auteur, «source perpétuelle de déni de justice à l’encontre des mineures de sexe féminin». Il distingue les victimes de moins de 15 ans et celles de moins de 20 ans à qui un homme adulte va «faire subir sans violence l’acte sexuel (sic)». Une formulation particulièrement révoltante.

«Non seulement il ne qualifie pas d’agression "l’acte sexuel" commis sur une mineure, mais l’exclut ipso facto de la catégorie du viol puisqu’il n’est pas —dit-on— "subi avec violence" contrairement au viol»

L'article 227 bis prévoit entre 5 et 6 ans de prison pour un viol de mineur de sexe féminin.

Mais «le mariage du coupable avec la victime arrête les poursuites ou les effets de la condamnation».

«Qui l’eût cru! Au pays du statut personnel?», s’exclame l’auteur en référence à législation tunisienne prétendument protectrice des droits des femmes.

En définitive, cet article 227 bis «finit par excuser le coupable en lui ouvrant le subterfuge du mariage avec sa victime pour échapper aux poursuites et mettre fin à la condamnation.»

Cette disculpation par le mariage est d’ailleurs détournée par les violeurs qui épousent leur victimes pour divorcer aussitôt, observe l'auteur.

Du coup, «le législateur a été contraint d’admettre en 1969 la reprise des poursuites ou des effets de la condamnation si le divorce, sur demande du mari, a été prononcé avant l’expiration du délai de deux ans à partir du mariage.» Une «protection» juridique qui ne change rien au principe.

Il est remarquable que sur cette question, le code pénal tunisien va d’un extrême à l’autre, souligne Sana Ben Achour.

«Entre le viol "commis avec violence" (cas de l’article 227 nouveau) et le viol déqualifié en "acte sexuel commis sans violence" sur une mineure  (cas de l’article 227 bis), les peines sont aux antipodes l’une de l’autre.»

D’une part la mort, de l’autre le mariage. Deux peines, «extrêmes» ou «absurdes», qui «poussent les magistrats à des élucubrations doctrinales et à une jurisprudence peu conforme à l’esprit de justice qui  assurément anime tout juge.»

Et l’auteur de plaider pour une réforme du Code pénal respectueuse du «sens de l’humain [qui] impose d’abolir la peine de mort», et «le sens de la justice [qui] impose d’urgence une refonte en profondeur et avec sérieux de la législation tunisienne dans le sens d’une loi intégrale sur les violences envers les femmes».

Lu sur La Presse

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