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Capture d'écran de Mohammed Merah dans le journal de 20h sur France 2 le 22 mars 2012. Reuters/Handout
Capture d'écran de Mohammed Merah dans le journal de 20h sur France 2 le 22 mars 2012. Reuters/Handout

Où enterrer un ennemi public numéro 1?

Où enterrer un Français «d'origine algérienne», né en France, quand celui-ci est un terroriste qui a tué sept personnes avant de mourir devant les caméras du monde entier?

Mise à jour du 30 mars: Mohammed Merah a été enterré jeudi 29 mars en fin de journée dans le carré musulman du cimetière de Cornebarrieu, près de Toulouse, l'Algérie ayant refusé d'autoriser son transfert.

***

La question se pose donc un peu partout: où enterrer un «Arabe», vrai, d’origine ou assimilé ou supposé ou converti, quand il ne meurt pas normalement, ni en martyr, ni en héros mais seulement en antihéros? Qu’en faire quand c’est un terroriste, un dictateur, un bandit ou un recherché ou un honni et qu’il meurt?

Le jeter en mer 

C’est ce qu’on a réservé à Ben Laden, après sa capture et son exécution mai 2011. Officiellement, le corps de l’Imam numéro un d’al-Qaïda a été jeté à l’océan après les rites d’usage en Islam selon les Américains. Mangé par les poissons, il n’aura pas de tombe, donc pas de stèle ni de mausolée, donc pas d’adorateurs, ni de visiteurs. Le poisson c’est vague, anonyme, mobile. Le cas de Ben Laden aura convoqué les 4 éléments des alchimistes: l’air (avions du 11/9), la mer (pour la mort), la terre pour Tora-Bora et ses cavernes et le feu pour tout ce qui a explosé sur son ordre, bombes, kérosène, carburant, TNT, kamikazes…etc. L’homme dont la tête était mise à prix pour 25 millions de dollars, a eu droit à un enterrement à zéro dollar, à la fin. Ceci pour ceux qui ne croient pas aux affirmations du prophète Wikileaks qui prétend que «le corps d'Oussama Ben Laden aurait été transporté via un avion de la CIA dans le Delaware». A suivre.

Le fast-enterrement 

Dans le cas de Kadhafi, là aussi le dilemme s’est posé en octobre 2011 après le lynchage du colonel-Roi: que faire du corps du Guide quand on ne peut pas le jeter à la mer (déjà fait), ni le brûler (interdit par l’Islam)?

La solution a été trouvée, le 25 octobre: l’enterrer dans un lieu anonyme, par une heure sombre, à l’aube d’un jour sans nom. Le colonel sera livré à la terre, sans traces ni pierre tombale, en compagnie de son fils Mouatassim et de son ministre de la Défense Aboubakr Younes, tous deux morts. Comme pour lui faciliter la traversé d’un au-delà des croyances pharaoniques. Comble de l’effacement pour un Guide qui avait son portrait sur les billets de banque, les immeubles, les journaux, les places publiques, les manuels scolaires…etc. 

Après l’avoir sorti de la chambre froide à Misrata où il servait pour les fameuses «journées portes ouvertes» sur «comment fini un dictateur», sous les yeux de milliers de Libyens venus se convaincre de son décès, la question s’est posée aux révolutionnaires.

Une décision politique lourde: où enterrer le Guide dans un pays tenté par la division, le séparatisme, le tribalisme et la guerre de sécession? Aucune région n’en voudrait, en effet, sur son dos et sous sa terre. Et la première qui osera le réclamer, recevra, en produit dérivé, la honte, le déshonneur et le soupçon sur les convictions «révolutionnaires».

Conclusion: Après avoir été le «Père de tous», le dictateur est généralement le fils de personne et personne n’en veut.

A noter que c’est aussi la question qui va se poser pour Bachar Assad si les Syriens  en révolte le capturent et que l’Iran et Poutine le lâchent: sera-t-il enterré à Téhéran, au Kremlin ou dans le Golan? Et pour Moubarak? Et Saleh du Yémen? Et Ben Ali? On ne sait pas. Après avoir possédé des pays entiers, les dictateurs arabes peineront souvent à trouver une fosse en paix. Saddam a été précurseur dans ce chapitre. Il sera enterré dans sa ville natale, à Tikritt, là où on l’avait retrouvé, dans un trou.

Le rendre à son pays «symbolique»

La question s’est donc automatiquement et discrètement posée pour le dernier cas connu de la liste des ennemis publics n°1: où enterrer un Français «d’origine algérienne», né en France, quand celui-ci a tué sept personnes avant de mourir devant les caméras du monde entier? Mohammed Merah, ce jeune «Français fou d’Allah», mort à Toulouse le 22 mars, après plus de 30 heures de siège, ne peut pas être enterré dans une banlieue, ni dans la salle de bain où il s’est caché, ni être incinéré, ni être caché dans un Sahara anonyme, entre une dune et un scooter.

L'appel d'air que va provoquer «la solution Merah» pour les jeunes français dits «d’origine étrangère» est énorme.

On peut multiplier les appels au calme et à «l’union de la France» contre les amalgames, on peut dénoncer l’islamophobie, les exclusions et les racismes, on peut se solidariser avec les victimes et mener bataille contre les stigmatisations, cela servira peu face à l’effet d’appel du choix de Merah: mourir les armes à la main, en scène, sous des millions de regards après deux décennies d’anonymat, s’exploser dans une insulte et rendre le coup au coup de feu. C’est ce mythe de la vengeance sur l’invisibilité et l’inutilité que cultivent les recruteurs et qui séduit ces errants sans racines.

Du coup, la tombe de ce terroriste peut devenir le symbole d’une errance ou être l’objet de saccage. Le rassemblement tenté à Toulouse en mémoire de ce jeune, est un signe. La tombe en sera le symbole. Tout autant qu’elle peut être le symbole de l’extrême-droite, dans le sens inverse de l’hommage.

La solution?

Elle est miraculeusement proposée par des parents de Merah: rapatrier le corps vers l’Algérie, à Médéa (80 KM au sud ouest d’Alger). Une solution malheureuse car elle ira «confirmer» la nationalité «d’origine» de ce terroriste français, affirmer le lien symbolique entre le mal et l’identité culturel ou ethnique et va démanteler encore plus le lien entre la France et ses banlieues.

Passons donc car ce n’est pas le sujet. Au problème d’un cadavre géant, la solution était d’exiler un «Français» qui ne l’était pas, de «rapatrier» un Algérien qui ne l’est pas, d’enterrer un mort qui ne doit plus être «vivant» et de creuser une tombe qui ne doit pas être visible, pour une personne née en France.

Tout le monde sera content apparemment si cela aboutit: même Mohammed Merah qui rêvait de venir vivre en Algérie selon ses proches et qui va y revenir y mourir, sans fin.

Kamel Daoud

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Kamel Daoud

Kamel Daoud est chroniqueur au Quotidien d’Oran, reporter, écrivain, auteur du recueil de nouvelles Le minotaure 504 (éditions Nadine Wespieser).

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