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Soudanais du Sud libérés, mais désenchantés (Màj)
De retour sur leur terre natale depuis l'indépendance du pays le 9 juillet, les Soudanais du Sud installés à Karthoum pendant les guerres civiles naviguent entre espoir et déception.
Mise à jour du 15 juillet 2011: Le 14 juillet 2011, le Soudan du Sud est officiellement devenu le 193e Etat membre des Nations unies.
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Ils pensaient arriver dans «un pays ruisselant de lait et de miel ». Dix mois après les premiers retours, c’est le désenchantement: le «lait» et le «miel» se sont transformés en eau croupie et sel. «On nous a raconté des histoires. A Khartoum, on nous a dit qu’à Juba il y avait des sociétés européennes, américaines; qu’elles embauchaient tout le monde. Depuis que je suis là, j’ai vu des enfants boire dans une mince rigole d’eau par terre et manger du sel en guise de repas», s’emporte Samuel Jume Kenneth, professeur de mathématiques à Khartoum, arrivé à Juba, la capitale du Sud-Soudan, le 1er juillet.
Depuis octobre 2010, plus de 300.000 Sud-Soudanais sont revenus vivre sur la terre de leurs ancêtres, selon le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Durant les deux guerres civiles qui ont opposé le nord et le sud du Soudan (1955-1972 et 1983-2005), des millions de Sudistes ont trouvé refuge à Khartoum, exempt de tout conflit.
Durant l’automne et l’hiver 2010, le Gouvernement du Sud-Soudan (Goss) a organisé de grandes célébrations pour fêter le retour des enfants du pays. Les Nations unies prenaient part à ces grands-messes en facilitant le recensement de ces Sud-Soudanais franchissant la frontière via l’Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Outil de propagande pour le gouvernement du Sud
A cette époque, ces retours étaient vus comme une victoire symbolique des autorités du Sud sur le Nord. Libre de choisir, ces Soudanais avaient décidé de quitter leur vie au nord pour tenter l’aventure du Sud-Soudan, le futur 54e Etat souverain d’Afrique. Aujourd’hui, la fête est bel et bien finie. Ces héros semblent avoir été laissés à leur sort peu enviable. Le Programme alimentaire mondial (Pam) continue de fournir de la nourriture mais pour un mois seulement.
A Juba, la future capitale, la résignation a gagné cette population. Kol Ajonc, un habitant de la ville, se souvient. En février, quand il a posé les pieds sur les quais du port de Juba après deux semaines de voyage en barge depuis le nord, il a baisé le sol. Maintenant il crache dessus. Littéralement:
«Le Goss n’est pas bien organisé. Depuis les accords de paix [en 2005], ils auraient dû développer la ville. Mais rien n’a été fait. On vit toujours au milieu de la brousse.»
Bienvenue à Gudele. Cette zone située à plus d’une demi-heure en bus de la ville est le refuge des Sud-Soudanais de Khartoum. Un lieu à la lisière de la brousse où le goudron est remplacé par des herbes hautes. Un lieu subi plutôt que choisi. En cinq ans, la population de Juba a été multipliée par deux. Les derniers arrivés doivent donc se contenter de vivre à la périphérie.
Discriminés par les anciens combattants
«Il n’y a même pas de pompe à eau publique ici. Nous sommes dépendants des camions-citernes. Seulement, c’est cher et durant la saison des pluies [d’avril à décembre], les véhicules ne peuvent pas venir tout le temps jusqu’à nous parce que la route est impraticable», se plaint Lucia Modeng, une retournée.
Elle se prend même à regretter l’époque de Khartoum où elle avait accès à l’électricité et au gaz pour cuisiner.
Le Goss assure qu’il continue de veiller sur ces Sud-Soudanais venus du Nord. «Ils sont sur une liste d’urgence pour obtenir un logement décent», assure-t-on au ministère des Infrastructures. Albino Lation ne se fait pas d’illusion sur la politique du Goss. Selon lui, les nouveaux arrivés font l’objet d’une politique de discrimination:
«Parce qu’on est allé au nord, les gens restés ici pensent que l’on est toujours proche des arabes. Pourtant pendant la guerre, on a fourni des informations au Spla [armée sudiste pro-sécession]. Mais, maintenant, si tu n’étais pas à combattre avec le Spla, tu n’as pas de travail.»
Le fait est que très peu de Sud-Soudanais de Khartoum ont retrouvé du travail. C’est le cas de Loïs Namadi et de son mari. Pour faire manger la famille elle a planté du gombo et des cacahuètes.
Un retour difficile mais assumé
Le bilan esquissé par les nouveaux arrivants n’est pas flatteur. Pourtant, aucun d’entre eux ne regrette son choix de s’installer au Sud-Soudan, «la terre de [leurs] ancêtres», expliquent-ils tous. Et puis, au Sud-Soudan, ils peuvent vivre leur foi chrétienne sans restriction contrairement à Khartoum où s’applique la charia. Malgré la déception de leur retour, la rancune qu’ils éprouvent envers le Goss, ils savent que c’est à eux de construire leur nouveau pays. A commencer par Gudele: «U n jour, ici, ce sera aussi développé que le reste de Juba», assure Samuel Juma Kennets.
A 23 ans, Zahara Winni approuve le discours de ses aînés: l’importance de revenir sur la terre de sa tribu, de construire un pays enfin libéré du joug des arabes. Elle avoue cependant que ce que ses amies de Khartoum lui manquent:
«On allait à l’école ensemble, on marchait dans les rues sans but. Ici, je n’ai pas d’amies, la seule chose que je connaisse de Juba, c’est le marché de Konyo-Konyo pour faire les courses.»
Mathieu Galtier
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