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Abdelilah Benkirane, le Premier ministre marocain à Doha le 26 février 2012. Reuters/Mohamad Dabbouss
Abdelilah Benkirane, le Premier ministre marocain à Doha le 26 février 2012. Reuters/Mohamad Dabbouss

Maroc: Le Premier ministre veut-il instaurer une charia islamo-monarchiste?

Promotion d’un «art propre», croisade internationale contre «l’islamophobie», journalistes voilées à la télévision... Le gouvernement dirigé par les islamistes du PJD joue de l'arme de la censure.

Au Maroc, les espaces de liberté, déjà confinés, sont-ils davantage en danger? Il faut le croire, car depuis leur arrivée à la tête d’un gouvernement ultra-conservateur, les islamistes monarchistes du Parti de la justice et du développement (PJD) prêchent un conservatisme culturel et identitaire qui ne dit pas son nom, tout en déifiant le trône. A la pointe de cette politique, le nouveau ministre de la Communication Mustapha El Khalfi, ancien journaliste, en donne des signaux alarmants.

En croisade contre «l’islamophobie»

Ces dernières semaines, une fournée de journaux et magazines étrangers ont été interdits d’accès au Maroc. Le Nouvel Observateur (par deux fois), L’Express, Le Pèlerin, Gazelle pour des raisons ayant trait à une interprétation rigoriste de l’Islam: ils ont été accusés d’avoir publié des représentations imagées de Dieu ou du prophète Mahomet.

Ce type d’interdiction n’est pas une nouveauté au Maroc, mais le PJD veut en faire une politique systématique au point d’envisager une vaste campagne de communication à destination des éditeurs européens pour «clarifier l’image de l’islam et lutter contre les clichés, le dévalorisant» comme l’annonce le site d’information E-Marrakech. Cette croisade aussi inquiétante que cocasse du gouvernement contre «l’islamophobie» a reçu le soutien de l'Organisation islamique pour l'éducation, les sciences et la culture (ISESCO) qui a exprimé sa disponibilité à porter assistance au projet marocain.

Dans une interview accordée au quotidien arabophone «Akhbar El Youm», le directeur général de l'ISESCO, Abdulaziz Othman Al Twaijri, a affirmé que son organisation est prête à adhérer à «ce grand projet médiatique» qui vise à «clarifier ces questions d'une façon équitable et juste, loin de tout fanatisme censé affecter l'objectivité et la crédibilité de cette action».

«Les photos et symboles portant atteinte à l'Islam et qui ont été véhiculés par les revues Le Nouvel Observateur et Le Pèlerin incarnent ce regard stéréotypé qui n'est soumis à aucune vérification scientifique et constituent des résidus de croisades et du colonialisme, ainsi qu'une provocation des musulmans qui n'a aucune relation avec la liberté d'expression», a dit Al Twaijri.

L’agence de presse officielle MAP a quant à elle fait écho d’une «position juste qui doit être adoptée par tous les pays membres de l'organisation», tout en assénant une pique à l’ONG internationale Human Rights Watch qui avait vertement critiqué le royaume sur cette censure à répétition.

En défense du roi sacré

Le roi, «Commandeur des croyants et descendant du prophète», ne peut non plus souffrir de désacralisation. En plus d’interdire tout journal qui commettrait le blasphème de publier sa caricature, comme ce fut le cas récemment pour le quotidien madrilène El Pais, ceux qui s’aventureraient à la diffuser sont jetés au cachot. Un état de fait qui prouve l’alliance objective du trône et des islamistes sur les limites imposées à la liberté d’expression. Dernier acte de censure en date, celui (encore une fois) d’El Pais qui a publié les bonnes feuilles d’un livre à charge contre Mohammed VI à paraître en France.

Le nouveau gouvernement qui a aussi entériné la censure d’un magazine people pour atteinte à la pudeur, ne cache pas sa détestation des «moeurs déviantes» en faisant le procès de l’acculturation occidentale.

Un «art propre» et bigot

«Les festivals sont considérés comme «des lieux favorisant la débauche». La création est aussi dans la ligne de mire du PJD. Les épisodes des films Marock, Casanegra ou encore la pièce de théâtre interprétée par l’actrice Latifa Ahrare ont tous poussé les dirigeants islamistes à demander leur interdiction ou pour le moins à dénoncer leur contenu. L’art et la création auront-ils droit de cité si le parti accède au pouvoir?» s’inquiétait L’Economiste à la veille des législatives.

La réponse n’a pas tardé: le quotidien Attajdid, porte-voix du PJD et du Mouvement Unicité et Réforme (MUR), son officine théologique, —le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement en était jusqu’à sa nomination le rédacteur en chef— a commis un éditorial édifiant.

Il y livre les clés de ce que doit être l’expression artistique au Maroc selon les islamistes de Sa Majesté:  «un art propre» (à opposer à un art décadent forcément importé d’Occident?) est selon eux la voie salutaire.

Eux-mêmes affirment «ne plus se cantonner dans la description des différentes sensibilités artistiques et la critique de certaines d'entre elles sur la base de (leur) incompatibilité avec l'évaluation qu'ils font de l'art et son prolongement civilisationnel». Cet «art propre» qui se veut «rassembleur, assimilant la diversité culturelle du pays», ne serait pas «un projet obscur à imposer à tous», il a «une dimension sociétale avec des prolongements artistiques, disposant d'un large public, possédant ses expressions et ses icônes, et qui ne nécessite rien de plus que des forces civiles qui le défendent et qui réclament sa présence au sein de la scène artistique nationale».  

La fin des «festivals du roi»?

C’est donc quasi-officiel: l’art identitaire et bigot figure désormais en bonne place dans l’agenda politique du PJD, mais il risque cependant de susciter des grincements de dents au Palais dont le parti islamiste est, sinon l’allié, le partenaire soumis. Lahbib Choubani, une des voix du PJD et aujourd’hui ministre des Relations avec le Parlement a clairement insinué, que le gouvernement voulait en finir avec le festival Mawazine de Rabat, un projet soutenu par le roi.

«Il n'est pas raisonnable que de l'argent public soit englouti dans un festival somptueux, ostentatoire (…) alors que dans le pays, les gens ne trouvent pas d'emplois, d'autres n'ont pas de bois pour se réchauffer, peu de nourriture pour se sustenter et encore moins de médicaments pour se soigner» a déclaré le ministre, un brin populiste ajoutant qu’il est malvenu de le diffuser à la télévision alors que les étudiants sont en période d’examens!

«Pour le ministre, la question de ce festival organisé par une structure coiffée par Mohamed Mounir Majidi, le secrétaire particulier du roi, ne relève pas de la liberté d'expression, mais plutôt d'un certain type de gouvernance», rapporte le site d’information Lakome.

Autant de prétextes pour le PJD qui collabore par ailleurs avec le premier cercle du roi, mais s’enflamme contre son secrétaire particulier au sujet de Mawazine. La réalité est que ce festival représente pour eux «la négation des valeurs de la société marocaine». Il y a deux ans, le PJD avait déjà tenté de faire annuler le concert d’Elton John accusé d’être l’incarnation de tous les démons. Estimant que sa prestation «encourageait l’homosexualité», il a réclamé son bannissement, sans succès, le PJD était encore dans l’opposition. Aujourd’hui au gouvernement son bras de fer avec le roi et sa cour s’annonce épique, à moins qu’il ne se résume à un simple baroud d’honneur.

Guéguerre à la télévision

Autre sujet de frictions au sein de l’attelage incertain composé des islamistes du PJD et de la monarchie, celui du contrôle des programmes télévisés. Mustapha El Khalfi en sa qualité de ministre de tutelle des médias publics n’a pas caché son ambition d’user d’un droit de regard sur le contenu des programmes des chaînes de télévision, comme l’a rapporté le quotidien Akhbar Al Yaoum.

L’initiative a fortement déplu au Palais qui a fait du bouquet des télévisions publiques sa chasse gardée et un puissant outil de propagande.

Encore une fois, les islamistes ont fustigé la piètre qualité des programmes et la mainmise des proches du roi sur le secteur, mais ce sont surtout les émissions diffusées pendant le mois sacré du Ramadan qui focalisent leur attention. Sketches populaires et sit-coms à l’eau de rose seront désormais bannis au profit d’émissions consacrant la piété religieuse.

Réponse du berger à la bergère: la chaîne 2M, caisse de résonnance des volontés royales (sa rédaction est commandée par une habituée du Palais) a pris la décision d’interdire le port du voile à ses speakrines à l’antenne. Le 26 novembre 2011, Nadia Lyoubi, journaliste à 2M annonçait en direct la victoire du PJD aux législatives. Une de ses consoeurs apparaît également à l’écran. Toutes deux sont voilées. La scène avait suscité une vive polémique et le PJD avait défendu les deux journalistes «contre toute discrimination». On ne les reverra plus à la télévision…

Timide levée de boucliers

La presse partisane de gauche passée dans l’opposition, mais surtout quelques individialités ont réagi à ce qui s’apparente manifestemment à un agenda culturel secret des islamistes. Un «comité» composé de six figures de la société civile ont rendu public un manifeste «pour tirer la sonnette d’alarme».

«Avec un pouvoir politique conservateur, une société puritaine, des islamistes aux affaires et des mauvais “exemples” venant de pays voisins (Tunisie et Egypte, notamment, où la montée du fanatisme constitue aujourd’hui un vrai frein à la liberté d’expression artistique), le Maroc possède tous les ingrédients pour basculer dans toutes les formes de censure» met en garde le magazine TelQuel, promoteur du fameux manifeste.

Le texte qui a déjà recueilli une centaine de signatures appelle à un sursaut des «forces vives de la nation» pour un «renforcement de notre si fragile démocratie». Un peu court quand on sait dans quelles conditions «démocratiques» les islamistes sont arrivés au gouvernement.

Ali Amar

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Ali Amar

Ali Amar. Journaliste marocain, il a dirigé la rédaction du Journal hebdomadaire. Auteur de "Mohammed VI, le grand malentendu". Calmann-Lévy, 2009. Ouvrage interdit au Maroc.

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