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L'Angola, nouveau censeur des médias portugais
Le Portugal et l’Angola sont liés par des intérêts économiques qui n’ont plus rien à voir avec ceux de l’époque de la colonisation. Mais dénoncer des « actes de propagande qui tendent à faire oublier que l’Angola n’est pas une démocratie» peut coûter cher.
«Le service public de télévision a les reins solides pour supporter beaucoup de choses, certains diront même pour tout supporter, mais les retrouvailles auxquelles nous avons assisté récemment sont les plus nauséabondes depuis longtemps et constituent l’exemple de pratiques parmi les plus grossières de propagande et de mystification auxquelles nous avons jamais assisté».
Les mots, virulents, sont prononcés par le journaliste portuguais Pedro Rosa Mendes, au cours de sa chronique hebdomadaire dans le programme «Este Tempo» (Notre Époque) sur Antena 1, la première radio du service public portugais (RDP).
Les «retrouvailles» dont parle le journaliste, sont celles qui ont eu lieu entre l’Angola et le Portugal, au cours d’un programme de télévision, diffusé à Luanda, la capitale angolaise, le 16 janvier 2012. Et «Retrouvailles» (reencontro en portugais) était le nom de cette émission en direct, réalisée par RTP, le service public de télévision portugaise. L’émission s’est déroulée devant un parterre impressionnant de politiques, de chefs d’entreprises, d’artistes, de sportifs et de journalistes angolais et portugais.
«C’est le moment choisi pour les retrouvailles entre l’Angola et le Portugal. Nous avons été ensemble dans les bons et les mauvais moments. Mais aujourd’hui nous sommes deux nations qui ont atteint la maturité et la stabilité. Nous sommes prêts désormais à renforcer les liens et à apporter notre contribution du mieux possible».
La journaliste Fátima Campos Ferreira débute ainsi le programme dont elle est coutumière puisque le format est identique à celui qu’elle dirige toutes les semaines à Lisbonne, une émission de débat intitulée «Pour ou Contre» sur des thèmes marquants de l’actualité portugaise.
Très vite, le programme spécial «Reencontro» aborde des questions cruciales, touchant l’économie: sur le plateau, côte à côte, le ministre angolais de l’économie, Abraão Gourgel et le ministre adjoint portugais chargé des affaires parlementaires, bras droit direct du premier ministre Pedro Passos Coelho.
On comprend pourquoi le Portugal a les yeux de Chimène pour l’Angola, pays dont la croissance s’affiche à deux chiffres, alors qu’au contraire, l’ex puissance coloniale doit faire face à une crise grave, qui se traduira en 2012 par une récession de 3 % de son PIB. L’Angola c’est la richesse en hydrocarbures que l’on connait: combustibles et minerais représentent 93 % des exportations vers le Portugal.
La stratégie portugaise consiste surtout à élargir son marché, et à développer son rôle de fournisseur de biens et services à un pays qui, confronté à un boom économique sans précédent a besoin de tout. Sept mille entreprises portugaises sont déjà installées en Angola. Le Portugal a besoin d’en implanter d’autres, pour absorber un marché de l’emploi saturé sur son territoire. L’Angola attend donc des contreparties, qui lui permettront de prendre pied en Europe.
Démocratie et censure
Acide la chronique de Pedro Rosa Mendes? Le journaliste qui vit à Paris l’admet, et le revendique.
«Par rapport à la langue de bois pratiquée dans la presse portugaise, c’est virulent. Mais par rapport aux tensions qui éclatent, par rapport à ce qui se passe à Luanda, les clivages sociaux et les accrochages politiques, le manque de liberté civique et citoyenne, ce n’est rien. L’Angola est une cocotte minute qui va exploser», explique Pedro Rosa Mendes à Slate Afrique.
Le journaliste dans sa chronique «angolaise», selon sa propre expression, avait dressé un parallèle entre le livre du cinéaste cambodgien Rithy Pan, L’élimination, et le Portugal d‘aujourd’hui qui «40 ans après l’arrivée de la démocratie, n’a finalement produit qu’une société asphyxiée par les valeurs du silence, de la couardise, de l’adulation et de cette gangrène de notre patrie, la jalousie sociale».
Le lundi suivant la diffusion de l’intervention de six minutes de Pedro Rosa Mendes, les 5 journalistes de «Este tempo» apprennent la fin de l’émission. Rosa Mendes et la cinéaste Raquel Freire se disent alors victimes de censure. Le journaliste et écrivain décide alors de s’exprimer devant le Parlement européen sur ce thème dans une conférence intitulée Liberté d’expression par temps d’austérité: un cas Portugais. Rosa Mendes affirme clairement que ce sont ses déclarations sur l’Angola qui ont provoqué la fin de sa chronique.
«J’ai pris la peine de donner un cadre scientifique, en citant et en analysant le livre de Rithy Pahn, en citant également la sociologue Christine Messiant, une référence sur les questions liées à l’Angola. Mais moi je suis l’homme à abattre, et depuis 1997».
La menace angolaise
C’est depuis la fin des années 90 que Rosa Mendes écrit sur les conflits en Angola, au Rwanda, en Afghanistan mais aussi sur le Timor oriental. Sur l’Angola, il a dénoncé, et dénonce encore, la corruption, le blanchiment des «affaires» après la guerre coloniale, l’oligarchie, les armes, les diamants, l’Angolagate. Par deux fois Pedro Rosa Mendes s’est retrouvé en procès contre les autorités angolaises. Et chaque fois qu’il le peut il critique un pouvoir qui n’est démocratique qu’en apparence.
L’affaire «Rosa Mendes» a entrainé la démission en bloc de la direction de l’information de RDP (Radio diffusion portugaise). Saisie, la commission parlementaire d’éthique entend les protagonistes, alors que l’ERC, la haute autorité pour l’audiovisuel entend les hauts responsables de l’audiovisuel, le directeur des programmes Rui Pêgo, et le directeur général Luis Marinho.
Ce dernier nie toute censure et affirme que la fin du programme était déjà programmée. Face à cette affaire qui fait grand bruit, les partis de gauche dans l’opposition demandent alors que soit entendu au parlement Miguel Relvas, le ministre de tutelle. Mais le Parlement où la coalition gouvernementale est majoritaire, n’a pas donné suite.
Le ministre Miguel Relvas était l’une des personnalités invitées de l’émission «Reencontro» à Luanda.
«C’en était même une des stars», dit Pedro Rosa Mendes.
Avec quelques rares journalistes portugais, il s’interroge. Pourquoi le parti majoritaire au pouvoir (PSD- Parti Social Démocrate) s’oppose-t-il à l’audition de Miguel Relvas au parlement? N’y aurait-il pas au cœur de cette affaire la question de la privatisation d’une des deux chaines de la TV publique? Une chaine qui intéresserait grandement les Angolais, en contrepartie de faveurs pour l’installation des entreprises portugaises en Angola ?
Pour Pedro Rosa Mendes l’explication est plausible.
«Nous nous inquiétons du contrôle des médias par un seul pouvoir, mais imaginez qu’en France la presse était dominée par les investissements libyens? Où la presse britannique l’était par les investissements saoudiens ? L’Angola c’est un tabou au Portugal. Les zones d’ombre s’étendent. Et dans mon pays on pratique l’autocensure économique plutôt que l’autocensure politique. Cela tient à la fragilité de notre corporation, de plus en plus précaire, de plus en plus isolée. Je peux comprendre la frilosité économique, mais je ne peux l’accepter», conclut le journaliste.
Pedro Rosa Mendes a annoncé son intention de porter plainte pour diffamation. Le journaliste et écrivain traduit dans vingt pays n’a pas l’intention de se murer dans le silence.
Marie-Line Darcy
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