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Paludisme: deux fois plus de morts qu'annoncé
L’OMS sous-estime massivement le nombre de morts prématurées dues à ce fléau parasitaire. L’Afrique continue à payer, et de loin, le plus lourd tribut. Si des progrès sont observés grâce aux initiatives internationales, aucun espoir d’éradication n’est en vue sans une intensification de la lutte.
Mise à jour du 13 décembre 2012: Cent ans après l'arrivée d'Albert Schweitzer à Lambaréné (250 km de Libreville), des chercheurs de l'hôpital fondé par le médecin alsacien s'activent pour mettre au point un vaccin contre le paludisme, maladie qui tue environ 650.000 personnes chaque année, surtout en Afrique.
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«Imaginez que la vitesse sur votre compteur affiche 60 km/h et qu’au même moment le radar vous flashe à 120 km/h dans les rues de la ville? Comment peut-on espérer piloter une politique de santé publique avec un système d’information sanitaire aussi médiocre?»
Ces deux interrogations ont été postées sur le blog du Professeur Antoine Flahault, spécialiste de santé publique et d’épidémiologie. Elles concernent le paludisme et font suite à la récente publication d’un article documenté autant que dérangeant sur le site du très sérieux hebdomadaire médical britannique The Lancet.
Les chercheurs ont voulu connaître le bilan meurtrier global du paludisme à travers le monde au cours de la période 1980-2010. Ce travail s’inscrit dans un contexte bien particulier puisque la dernière décennie a vu le développement d’une série d’initiatives nationales et internationales visant à intensifier la lutte contre ce fléau d’origine parasitaire transmis par certains moustiques.
Comment mesurer l’impact et la rentabilité de ces initiatives si l’on ne dispose pas d’une cartographie précise des dégâts causés par l’ennemi? Or force est bien de constater que l’imprécision des statistiques de santé a, ici, quelque chose de stupéfiant.
Plus d'1,2 million et non 650.000 en 2010
L’équipe était dirigée par le Pr Christopher J.-L. Murray (Université de Washington, Seattle) et Alan D. Lopez (Université de Queensland, Australie) et le travail financé par la Bill & Melinda Gates Foundation.
Les auteurs conclut notamment qu’il y a eu en 2011 deux fois plus de morts par paludisme dans le monde que ce que rapportent les statistiques officielles de mortalité: non pas les 655.000 morts prématurées annoncés par l’OMS mais bien un total de 1.240.000 victimes. Deux fois plus, rien de moins!
Les différentes statistiques disponibles analysées et mises en perspectives par les auteurs du Lancet montrent que les morts prématurées causées par le paludisme sont, dans le monde, passé d’environ un million (entre 700.000 et 1.400.000) en 1980 au pic spectaculaire de 2004: 1.817.000 de morts (entre 1.430.000 et 2.366.000). Ce bilan est ensuite passé à 1.238.000 (929.000 entre 1.685.000) en 2010.
Ce sont les pays africains qui payent, et de très loin, le plus lourd tribut. Près de 500.000 morts (entre 290.000 et 747.000) en 1980 et 1.613.000 (1 243 000-2 145 000) en 2004. Ce bilan a ensuite diminué de 30% pour s’établir, en 2010, à 1.133.000 (entre 848.000 et 1 591.000).
Point important, qui ajoute au caractère dramatique de la situation africaine: en dehors de ce continent les décès par paludisme ont diminué de façon constante à partir de 1980 passant de 500.000 (entre 322.000 et 833.000) à 104.000 (entre 45.000 et 191.000) trente ans plus tard.
Et les auteurs de la publication du Lancet estiment que la mortalité des adultes est plus importante que ce que laissaient entendre les statistiques officielles. Soit, pour 2010 435.000 morts (entre 307.000 et 658.000) en Afrique et 89.000 (entre 33.000 177.000) ailleurs dans le monde.
Pour autant cette maladie endémique reste l’une des toutes premières causes de mortalité des enfants de moins de 5 ans et des femmes enceintes dans les pays du Sud et notamment en Afrique subsaharienne.
«Nos résultats montrent que la charge de mortalité du paludisme est plus grande que ce qui était précédemment estimé, notamment chez les adultes, résument les auteurs. Il ya eu une diminution rapide de cette mortalité en Afrique en raison de l'intensification des activités de contrôle prises en charge par les bailleurs de fonds internationaux. Le soutien des donateurs, cependant, doit être augmenté si l'élimination du paludisme et d'éradication et des objectifs plus larges de la santé et le développement soient atteints.»
Vers une éradication du paludisme?
Peut-on envisager une éradication du paludisme comme certains croient pouvoir le faire pour le sida ? Le Professeur Flahault rappelle qu’en 2007 la Fondation Gates avait appelé à l’éradication de la maladie parasitaire. En 2011, le Secrétaire Général des Nations Unies avait fixé l’objectif de zéro mort en 2015. Entre 2000 et 2011, l’aide pour la lutte contre le paludisme est passée de 149 millions à 1,2 milliards de dollars.
«La mobilisation, certes encore insuffisante, a été cependant intense et sans précédent face à une maladie négligée que l’on sait évitable, souligne-t-il. La France, avec plus de 2000 cas par an, était en 2011 le premier pays Européen en matière de cas autochtones de paludisme, puisque ce dernier continue à sévir à Mayotte et en Guyane alors qu’on a réussi à l’éliminer des Antilles et de La Réunion de longue date.»
La publication du Lancet survient alors que le Fonds Mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, traverse pour des raisons diverses une période de crise. Cette institution était jusqu’à présent dirigée par le Français Michel Kazatchkine qui vient de quitter préaturément ses fonctions. Elle aura contribué pour plus des deux tiers de l’aide mondiale au financement de la lutte contre la tuberculose.
La déstabilisation dont est aujourd’hui victime ce Fonds Mondial (dont la France est l’un des principaux contributeurs) nuira-t-elle à la lutte? Pour l’heure il faut heureusement compter la récente promesse de don de la Fondation Gates à hauteur de 750 millions de dollars supplémentaires.
Sur le fond, au-delà de l’action contre le paludisme la principale question soulevée est celle de savoir pourquoi les indicateurs chiffrés de la santé (de la même manière que l’état-civil et le cadastre) demeurent à ce point si souvent les parents pauvres des statistiques officielles.
Comment évaluer les actions dans ce domaine alors même que l’on ne dispose pas de registres de causes de décès dans la plupart des pays pauvres de la planète? Comment piloter durablement sans avoir la garantie absolue que la vitesse affichée à son compteur est bien celle de son véhicule?
Jean Yves Nau
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