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Le grand retour des «Francophones»
Les dirigeants francophones font un retour en force à la tête de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), avec notamment un nouvel axe Abidjan-Ouagadougou. Et dirigent également l’Union africaine.
Après les « Anglos », voici venu le tour des « Francos ». De nombreux Africains détestent le fait de distinguer les Francophones et les Anglophones, ce qui revient selon eux à nier l’unité de l’Afrique.
Ils n’ont pas tout à fait tort. Plus de 60 ans après les indépendances, établir des « groupes » selon la langue héritée du colonisateur a quelque chose d’artificiel.
Mais en Afrique, le français n’est pas seulement la langue de Molière. Elle a aussi gagné ses lettres de noblesse avec le Sénégalais Léopold Sédar Senghor par exemple. Même chose avec l’anglais, non seulement l’idiome de Shakespeare, mais aussi du Nigérian Wole Soyinka.
Bref, le français et l’anglais sont des « langues africaines » et pas seulement la langue de l’ex-colonisateur.
Les communautés linguistiques recoupent des proximités culturelles et historiques fortes, confirmées par des liens matrimoniaux ou des courants d’émigration anciens, vers la Côte d’Ivoire notamment.
Ce qui fait qu’un dirigeant « franco » ne se sentira jamais tout à fait étranger chez son voisin « franco ».
Tandem franco
L’élection le 17 février d’un tandem « franco » à la tête de la Cédéao, qui réunit 15 pays, mérite donc d’être soulignée. L’Ivoirien Alassane Ouattara succède pour un mandat d’un an renouvelable au Nigérian Goodluck Jonathan à la présidence de l’organisation régionale.
Le Burkinabè Kadré Ouédraogo prend pour sa part la place du Ghanéen James Victor Gbého à la tête de la Commission de la Cédéao. Il a devant lui un mandat de quatre ans.
L’axe Abidjan-Ouagadougou, né après l’accession au pouvoir en avril 2011 de Ouattara à l’issue d’une meurtrière crise post-électorale, est ainsi renforcé.
Les deux hommes forts de la région seront donc désormais le chef de l’Etat ivoirien et son allié de toujours, le Burkinabè Blaise Compaoré.
Et ils auront du pain (francophone) sur la planche, notamment avec la rapide dégradation de la situation sécuritaire dans le Sahel, notamment au nord du Mali, pris entre les attaques d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et une nouvelle rébellion touareg.
Une médiation entre Bamako et les rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) permettrait d’éviter le pire.
La menace d’une crise alimentaire majeure, voire d’une famine, au Sahel occupera également le tandem ivoiro-burkinabè, notamment pour sensibiliser la communauté internationale et les bailleurs de fonds.
Ouattara et Compaoré pourraient également jouer les médiateurs au Sénégal en cas de graves troubles postélectoraux après la présidentielle du 26 février. Mais il faudrait encore que le très fier président sénégalais l’accepte, lui qui a multiplié les médiations chez les autres dirigeants du continent…
Ils devront aussi garder un œil sur la Guinée, où le dialogue entre le pouvoir et l’opposition est quasi-inexistant et sur le Niger, qui pourrait subir les contrecoups des attaques du mouvement islamiste Boko Haram au Nigeria voisin.
Si l’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui la région la plus instable du continent, les deux dirigeants, qui ont présidé en novembre 2011 à Ouagadougou un conseil des ministres ivoiro-burkinabè, ne devront pas oublier leur propre agenda.
Paris s’inquiète
En Côte d’Ivoire, le chantier de la réconciliation est à peine entamé, la réforme de l’armée même pas commencée. Et au Burkina, Compaoré sait depuis la grave mutinerie de 2011 qu’aucun dirigeant n’est à l’abri d’une « révolution » de type arabe.
Mais les deux hommes savent pouvoir compter sur l’aide de Paris, notamment le président ivoirien, qui vient d’effectuer une visite d’Etat fort remarquée en France.
La France, dont six ressortissants sont otages d’Aqmi, s’inquiète de plus en plus de la situation au Sahel, et est critique envers l’attitude jugée trop « soft » du président malien.
Des « Francos » à la tête de la Cédéao donc. Mais aussi à l’UA. Malgré la tentative de putsch sud-africain lors du sommet de fin janvier, le président sortant de la Commission, le Gabonais Jean Ping a réussi à sauver sa tête.
Et même mieux, à rester en poste jusqu’au prochain sommet de l’UA, en juin au Malawi. Il n’a toujours pas dit officiellement s’il serait de nouveau candidat à sa succession. Mais l’Afrique du Sud compte toujours présenter sa candidate, Nkosazana Dlamini-Zuma.
« Nous sommes en effet déterminés à changer la direction de la Commission de l’UA », vient de déclarer le bouillant Jacob Zuma. Voilà Ping prévenu !
Mais si Prétoria continue de mettre la pression sur le Gabonais, l’Afrique du Sud sait également qu’un nouvel échec en juin au Malawi de sa candidate serait catastrophique.
Non seulement elle aurait échoué à deux reprises à obtenir 2/3 des voix du continent. Mais si un président de la Commission ne peut toujours pas être élu, elle sera tenue pour responsable de ce désastre diplomatique.
L’élection du Béninois Boni Yayi à la présidence de l’UA s’est pour sa part faite de façon beaucoup plus consensuelle fin janvier, même si le Nigeria a tenté une candidature de dernière minute.
Il est vrai qu’il présente une image beaucoup plus présentable que son prédécesseur, le président équato-guinéen, sévèrement critiqué par les organisations de défense des droits de l’Homme et de lutte contre la corruption.
Adrien Hart
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