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Inimitable Mandela
Les statues, dessins et peintures de Nelson Mandela se distinguent par leur côté inévitablement raté. Comme s’il était impossible de rendre la complexité du célèbre visage.
Mise à jour du 5 août 2012: Une sculpture de Nelson Mandela a été inaugurée à Howick, près de Durban, sur les lieux de l'arrestation il y a cinquante ans du premier dirigeant noir sud-africain alors qu'il luttait clandestinement contre l'apartheid.
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Mandela va bientôt figurer sur tous les billets de banque en Afrique du Sud. Le premier président noir de l’Afrique du Sud, aujourd’hui âgé de 93 ans, va remplacer les «big five», les cinq plus grands animaux de la savane. L’annonce a été faite le 11 février, à l’occasion du 22ème anniversaire de la libération du grand homme. Aucune image n’a encore filtré des nouveaux billets. Il faut espérer que son portrait soit confié à un dessinateur de talent, capable de le reproduire de manière plus fidèle que les nombreux portraits plus ou moins ratés de l’icône internationale.
Depuis ses débuts en politique, Mandela est une figure prisée par les photographes. Son visage rond, tour à tour grave et souriant, n’a pu être approché pendant près de trois décennies. Hormis quelques photos de lui à Robben Island, aucune image de lui n’a filtré durant ses 27 années de prison (1964-1990). Du coup, on pouvait encore excuser l’URSS pour avoir émis en 1988 un timbre en hommage au grand homme, à l’occasion de ses 70 ans, sur lequel il ressemblait plus au président ghanéen Jerry Rawlings qu’à sa propre personne.
Mandela très difficile à dessiner
Au moment de sa libération, le 11 février 1990, des magazines comme l’hebdomadaire américain Time ont monté en «une» un dessin de Mandela plus proche de l’acteur africain-américain Sydney Poitier que du héros de la lutte anti-apartheid. En 2012, il faut se rendre à l’évidence: Mandela est sans nul doute très difficile à dessiner ou à reproduire de manière artistique. Les nombreuses oeuvres qu’il a inspirées se distinguent en effet par leur côté irrémédiablement loupé.
Comme ces huiles sur toile faites par le jeune peintre sud-africain Rudi Carstens et vendues sur Internet. Rien à voir, certes, avec le portrait à l’encre de chine du “jeune Mandela”, signé en 2008 par Marlene Dumas. La grande plasticienne sud-africaine, installée depuis de nombreuses années à Amsterdam, a bien saisi le regard et le sourire de Mandela… Mais on ne peut s’empêcher de penser, là encore, qu’il y a quelque chose de raté, dans le nez de Madiba – le nom de clan de Nelson Mandela, son surnom en Afrique du Sud.
Un autre exemple de ratage monumental: la statue de six mètres de haut érigée en 2004 sur Sandton Square, au milieu de la plus grande galerie marchande du pays, à Johannesburg. Une œuvre signée par deux sculpteurs, l’un noir, Jacob Maponyane, l’autre blanc, Kobus Hattingh. L’icône de bronze, massive, n’est malheureusement pas des plus ressemblantes.
Sur un tableau qui a fait sensation en Afrique du Sud, en juillet 2010, on ne reconnaissait que trop bien Mandela – même s’il n’était pas très adroitement dessiné. Le grand homme, qui reste d’une santé fragile à 93 ans, était alors montré dénudé, allongé et mort, dans un pastiche d’un célèbre tableau de Rembrandt, La leçon d’anatomie du Dr Nicolas Tulp.
Les personnages autour de lui étaient plus ou moins identifiables: Thabo Mbeki, Jacob Zuma, Frederik de Klerk, Trevor Manuel, Desmond Tutu, le petit Nkosi Johnson, militant médiatique de l’accès aux antirétroviraux, et l’opposante blanche Hellen Zille. La toile, signée par un jeune peintre provocateur, Yuill Damaso, 42 ans, avait fait scandale. Anticiper sur la disparition du grand homme et le montrer nu avait relevé du crime de lèse-ANC, violemment condamné par le parti au pouvoir:
«Une insulte au peuple sud-africain, une oeuvre de mauvais goût, un affront aux valeurs de notre pays, avait tonné Jackson Mthembu, le porte-parole du Congrès national africain (ANC). Dans la société africaine, c'est un acte de sorcellerie de tuer une personne vivante comme dans cette soi-disant oeuvre d'art.»
Personne n’avait discuté des qualités artistiques de l’oeuvre, et l’on ne s’était guère interrogé sur la difficulté récurrente que semblent avoir les peintres à reproduire fidèlement Mandela. Comme si l’icône, avec sa personnalité unique, était inimitable… Les amateurs qui veulent s’y coller peuvent toujours trouver ce kit d’aide sur Internet. Avertissement, cependant: le modèle peut donner le sentiment de partir battu d’avance.
Les caricatures de presse feraient-elles exception? C’est dans ces dessins que Mandela se trouve sans doute le mieux représenté. Pour Damien Glez, dessinateur installé à Ouagadougou et collaborateur de Slate Afrique, le premier président noir de l’Afrique du Sud indépendante ne présente pas de difficulté particulière sur le plan technique.
«Il est agréable à dessiner, avec son côté jovial. Zapiro caricature très bien son visage, sa silhouette et même sa façon de danser. Mais c’est vrai que dans les autres représentations de Mandela, la volonté de réalisme est tellement poussée que ça en devient parfois pompier.»
Zapiro, le nom de plume de Jonathan Shapiro, célèbre caricaturiste sud-africain, a souvent dessiné Mandela pour l’hebdomadaire The Mail & Guardian. Le dessinateur a consacré une exposition au grand homme en 2008 ainsi qu’un livre, The Mandela Files, sous forme de rétrospective de ses meilleurs dessins sur l’ancien président. Il l’a croqué sous forme d’enfant rêvant de son potentiel, de prisonnier politique, de génie sortant d’une bouteille, de prophète séparant les eaux comme Moïse, de pont par dessus le fossé racial, de super-héros réconciliant le monde, en combattant contre le Sida et enfin, en soleil couchant. Zapiro ne cache pas son admiration pour Mandela et «son immense confiance en lui, son intégrité morale, son charisme incroyable et son sacrifice personnel».
Mandela accepte bien la critique
Sans se gêner, comme bien des Sud-Africains, pour le critiquer:
«Il s’est montré trop loyal à l’égard de certaines personnes qui ont soutenu l’ANC par le passé sans être de grands défenseurs des droits de l’Homme, et il a gardé dans son gouvernement des ministres qui étaient clairement du bois mort, déclare ainsi le caricaturiste. Il a raté le dossier Sida quand il était président, un problème qui est devenu énorme. Il a tenté de se rattraper ensuite.»
Point fort de Madiba: bien accepter la critique. «Mandela apprécie mes dessins, même les plus irrévérencieux, contrairement aux dirigeants actuels.» Zapiro est au coeur d’une interminable polémique, depuis qu’il dessine Jacob Zuma avec un éternel tuyau de douche sur le crâne. Allusion à l’excuse donnée par l’homme politique lorsqu’il était en procès pour viol: «avoir pris une douche après» un rapport sexuel non protégé avec une jeune femme qui lui avait annoncé sa séropositivité.
Et ce, alors qu’il était en charge de la campagne nationale de lutte contre le Sida. Loin, très loin du modèle d’intégrité morale qu’a incarné Nelson Mandela, inspirant de nombreux artistes.
Sabine Cessou
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