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France-Côte d'Ivoire: histoire d'un couple aux relations ambiguës (2/4)
En intervenant militairement pour chasser Laurent Gbagbo, la France a repris la main de manière inattendue sur son ancienne possession. Retour sur cinq décennies de relations franco-ivoiriennes. Deuxième volet de notre série: de Henri Konan Bédié à Laurent Gbagbo.
Henri Konan Bédié n'a incontestablement pas la carrure d'Houphouët-Boigny, dont il n'est que le pâle héritier. A peine ce dernier enterré, lors d'une fastueuse cérémonie à la basilique de Yamoussoukro en présence de toute la fine fleur de la politique française, la France et les pays francophones d'Afrique, décident de dévaluer le Franc CFA, le 1er janvier 1994. Ce que le père de l'indépendance ivoirienne avait toujours catégoriquement refusé.
Le deuxième acte intervient quelques mois plus tard, lorsque le Premier ministre français Edouard Balladur annonce que l'aide française au développement sera désormais conditionnée à un accord avec le Fond monétaire international. Une décision qui signe la fin des rallonges budgétaires offertes automatiquement par la France aux pays africains «amis» et qui semble démontrer que Paris n'appuie plus aveuglément leur gestion.
L'impact du génocide rwandais
Survient ensuite le génocide rwandais qui fait entre 800 000 et 1 millions de morts. La France est pointée du doigt pour son soutien au régime du président Habyarimana, puis du gouvernement en place pendant le génocide. Une mission d'information parlementaire, bien que très prudente, estimera que la France sans avoir «tenu les machettes» des tueurs a été beaucoup trop loin dans son engagement aux côtés du régime de Kigali.
Le drame rwandais semble alors sonner la fin d'une époque pour les relations France-Afrique. Devenu Premier ministre en 1997, le socialiste Lionel Jospin entend revoir le rôle de son pays dans cette partie du monde. Hostile à l'interventionnisme sur le continent africain, sa doctrine se résume ainsi: «Ni ingérence, ni indifférence».
De plus, si la France continuera à aider l'Afrique, dit-on à Paris, elle ne privilégia plus ses anciennes colonies. Et surtout, martèle-t-on à l'époque, il n'est plus question d'interventions militaires françaises sur le continent africain autres que pour protéger les ressortissants français. La France développe le concept RECAMP (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix), visant à former les armées africaines pour qu'elles fassent elles-mêmes la police dans leur région.
Le coup d'Etat de Noël
C'est dans ce contexte qu'intervient le fameux «coup d'Etat de Noël» du 24 décembre 1999 en Côte d'Ivoire. Ce qui est d'abord présenté comme une mutinerie de soldats réclamant leurs primes pour leur participation à des opérations de maintien de la paix en Centrafrique se révèle finalement être un coup d'Etat contre le président Bédié. Mené en sous main par le désormais célèbre sergent chef IB. Proche de l'ancien Premier ministre Alassane Ouattara, que certains décrivent comme le « deus ex machina », il porte au pouvoir le général Robert Gueï, ancien chef d'état-major tombé en disgrâce quelques années plus tôt.
En d'autres temps, Paris aurait très certainement sauvé la tête d'Henri Konan Bédié. Mais la France est en période de cohabitation. Lionel Jospin défend la nouvelle ligne de la politique étrangère et militaire de la France. C'est elle qui l'emportera sur celle de Jacques Chirac, tenant d'une vision plus traditionnelle et interventionniste. Henri Konan Bédié est chassé du pouvoir et part en exil en France, dans son appartement de la rue Beethoven dans 16ème arrondissement de Paris.
Gueï fait ce qui lui plaît
La France et l'Union européenne feront toutefois pression sur le nouvel homme fort d'Abidjan pour qu'il organise aussi rapidement que possible des élections. Ce qu'il fera, même s'il ne tiendra aucun de ses engagements. Il avait promis de ne pas se présenter à la magistrature suprême? Il sera candidat. Il avait laissé entendre que l'inéligibilité d'Alassane Ouattara pour «nationalité douteuse» était du passé? Ce dernier sera exclu du scrutin. Robert Gueï disait vouloir respecter le verdict de l'élection présidentielle d'octobre 2000? Il tentera un passage en force, mais échouera après un soulèvement populaire et le basculement de l'armée en faveur du vainqueur Laurent Gbagbo.
Finalement élu, donc, ce dernier sera reconnu comme président légitime par la France et le gouvernement de Lionel Jospin ne tardera pas, début 2001, à reprendre son aide au développement, suspendue sous la junte militaire.
En mai 2002, le Premier ministre socialiste français est éliminé dès le premier tour de la présidentielle et Jacques Chirac est élu face au leader du Front national Jean-Marie Le Pen. En matière de politique africaine, le président français, contraint sous le gouvernement socialiste de faire des compromis, a de nouveau les mains libres. Et cela sera déterminant dans les mois qui suivent.
A suivre...
Etienne Kunde
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