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Canada - La communauté noire à l'honneur
Le mois de l’Histoire des Noirs est lancé. Tout au long de février, des célébrations et des évènements soulignent l’héritage des Noirs canadiens d’hier et d’aujourd’hui.
Si beaucoup de Canadiens connaissent Michaëlle Jean, la première femme noire gouverneure générale en 2005, peu d'entre eux savent que c’est en 1608 qu’a été recensée la première personne noire à mettre un pied au Canada: Mathieu Da Costa. Cet homme libre avait été recruté en tant qu’interprète par les Européens.
L’origine de la célébration remonte en 1926 aux Etats-Unis, puis s’étend sur un mois dans le cadre des festivités du bicentenaire américain en 1976. Au Canada, la Chambre des communes reconnaît officiellement en 1995 le mois de février comme celui de l’Histoire des Noirs, à la suite d’une motion initiée par la première Canadienne noire élue au Parlement, Jean Augustine.
«Nous étions là en même temps que les autres! On a fondé le pays, même si on était mis de côté. Mais de plus en plus de livres d’histoires sont écrits sur le rôle de nos ancêtres», explique Michael P. Farkas, passionné de l’histoire des Noirs et président de La Table ronde du Mois de l'histoire des Noirs au Québec.
Sur le site du ministère de la citoyenneté et de l’immigration, on reconnaît que: «Malgré leur présence au Canada qui remonte à bien avant le premier voyage de Samuel de Champlain le long du fleuve Saint-Laurent, les personnes de descendance africaine sont remarquablement absentes des livres d’histoire du Canada. Il est très peu fait mention du fait que l’esclavage a déjà existé sur le territoire (…) ou que bon nombre des loyalistes qui sont venus s’établir dans les Maritimes après la Révolution américaine étaient noirs».
Peu de personnes savent qu’entre 1815 et 1860, des dizaines de milliers d’Afro-américains se sont réfugiés au Haut-Canada et Bas-Canada en empruntant «le chemin de fer» clandestin. Et que l’histoire retient le premier résident noir : un petit garçon esclave en 1628.
Alors que l’on célèbre le 200ème anniversaire de la guerre de 1812, le Premier ministre Stephen Harper a souhaité rendre hommage aux soldats noirs qui ont «façonné le pays», tel que Richard Pierpoint, esclave affranchi et «l’un des héros de la bataille pour le Canada qui, vers la fin de la soixantaine, s’est porté volontaire et s’est distingué».
Postes Canada rend même un hommage philatélique en émettant deux nouveaux timbres honorant les actions et les réalisations de deux grands Canadiens noirs: une figure renommée de la lutte pour les droits civils en Nouvelle-Ecosse et un ancien esclave des Etats-Unis, devenu un pionnier de l’élevage en Alberta.
Un mois aussi sous le signe du présent
Le mois de l’Histoire des Noirs ne relate pas que le passé. Il fait également place à des figures contemporaines, comme ces célèbres artistes québécois: la soprano Marie-Josée Lord, l’humoriste Boucar Diouf, le musicien Grégory Charles ou encore l’écrivain Dany Laferrière.
Les choses ont évolué comme le souligne le conseiller municipal à la ville de Montréal, Frantz Benjamin: «Martin Luther King a fait le rêve qu’un jour ses enfants vivraient dans une nation qui ne jugerait pas par la couleur de la peau, mais par la force de caractère, Montréal offre ce rêve chaque jour en poursuivant ses efforts de cohésion sociale et d’harmonie avec ses différentes populations». Mais il l’accorde, les problèmes subsistent, notamment ceux de profilage racial.
«Il y a des problèmes, mais il ne faut pas s’y arrêter», lance l’humoriste Dorothy Rhau qui est l’une des porte-parole de ce mois commémoratif. «Ici, il y a de la place pour tout le monde. C’est faux de penser qu’on continue à faire des métiers traditionnels, qu’on n’ose pas frapper à certaines portes. La nouvelle génération, c’est un peu comme les réseaux sociaux qui ont ouvert les portes sur le monde. (…) Au Québec, il y a la place de prendre notre place et croire que notre couleur est une barrière signifie céder notre place», poursuit la femme de 38 ans.
Rien qu’à Montréal, plus de 600 activités vont se dérouler: découvertes culinaires, conférences, projections de films, concerts, danses, discussions dans les écoles ou encore collecte de sang. Le conseil municipal de la métropole québécoise devrait aussi adopter une résolution visant à nommer un espace public en mémoire de Marie-Josèphe Angélique, une des premières esclaves noires montréalaises, torturée et pendue car soupçonnée d’avoir mis le feu à la maison de son propriétaire. L’inauguration officielle est prévue en août.
De nouvelles figures
Les «héros anonymes» d’aujourd’hui ne sont pas en reste. Comme Evens Guercy, l’un des lauréats du mois de l’Histoire des Noirs, qui trône au mois de mai dans le calendrier célébrant des membres de la communauté pris comme modèle.
A 15 ans, Evens Guercy a quitté Haïti pour s’installer au Québec. A 40 ans, il est policier dans un quartier défavorisé de Montréal. Mais ce membre des forces de l'ordre fait figure d’exemple pour de nombreux jeunes du quartier. Et ce n’est pas anodin, si le club de boxe qu’il a monté il y a six ans, s’appelle L’Espoir. Le lieu permet aux jeunes de se défouler, mais surtout d’avoir un endroit qui les tient occupés et loin de la rue. Evens lutte ainsi contre le décrochage scolaire et l’exclusion sociale. Il ne se voit pourtant pas comme un modèle:
«Je suis un peu comme une bougie d’allumage. Les jeunes m’ont dit qu’ils avaient certains problèmes comme le manque d’espace pour faire des activités. Je l’ai mis sur papier et j’ai été chercher le financement afin qu’ils puissent s’épanouir dans la société.»
Ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il a bataillé ferme pour monter ce club, devenu un exemple de réussite. «C’est extrêmement important de faire un calendrier qui montre les bons exemples pour la majorité qui connaît peu ou qui regarde peu du côté de ces Noirs qui font vibrer le Québec. (…) C’est aussi important pour la jeunesse de voir ces modèles; eux qui sont habitués à des modèles déprimants et plus violents à travers les médias. Cela balance les choses», explique Michael P. Farkas.
Imaginez un nouveau monde
Le thème de cette année pour le Québec est «Imaginez un nouveau monde». Chacun est invité à laisser sa créativité déborder et inventer le futur. «En 2012, on est un peu sur cette pensée de la prophétie des Mayas comme quoi ce serait la fin du monde. On a voulu dire: imaginez, c'est un nouveau monde, mais ce n’est pas la fin du monde. Imaginez un monde inclusif, avec moins de guerres, tourné plus vers l’environnement où tout le monde trouvera sa place», indique Michael P. Farkas.
Alexis Musanganya en rêve. Ce militant pour le droits des homosexuels est ému que son festival intitulé Massimadi (Rendre visible l’invisible), au cours duquel une dizaine de films et documentaires LGBT afro-caribéens seront projetés, ait une place de choix pendant ce mois de l’Histoire des Noirs. Car il n’est pas toujours évident de se faire une place dans sa communauté quand on est issu d’une minorité sexuelle.
«Lorsqu’ils quittent leur pays, beaucoup partent avec leur background, avec tout l’homophobie qu’ils ont vécu ou qu’ils avaient à l’égard des gays et lesbiennes et ça ne va pas finir dès le lendemain à Montréal. Combien de fois on va dans des endroits de Noirs et ils nous disent "vous ne devriez pas être ici". Mais en allant chez les gays et les lesbiennes, ils peuvent nous dire, "mais vous êtes des Noirs, c’est pas ici que vous devrez être". Nous on veut être dans les deux communautés. Avec le mois de l’Histoire des Noirs, ça nous montre qu’on a fait du chemin», explique Alexis.
Pour le comédien Benz Antoine, l’autre porte-parole de l'événement: «Imaginer un nouveau monde, c’est imaginer un monde où il ne sera plus nécessaire de prendre un mois entier pour souligner les accomplissements et où il ne sera plus nécessaire de prendre notre place dans la société canadienne: c’est ce qui existera déjà.»
Dorothy Rhau, elle, imagine un nouveau monde «où tous les Noirs formeraient un».
«Cette force permettrait à ce peuple de recevoir pleinement la reconnaissance de son influence sur la culture, de se réapproprier et de bénéficier de ces richesses. Enfin, on pourrait dire de cette histoire : le peuple noir eu beaucoup d’enfants et toute leur postérité vécut heureuse pour un temps indéfini.»
Marie Mbodji
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