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Carla Bruni, Alassane Ouattara et Nicolas Sarkozy à l'Elysée le 26 janvier 2012. REUTERS.
Carla Bruni, Alassane Ouattara et Nicolas Sarkozy à l'Elysée le 26 janvier 2012. REUTERS.

Halte à la Françafrique (à toutes les sauces)

Pour nombre d'Africains, les relations entre la France et ses ex-colonies ne peuvent fonctionner que sous la forme de la Françafrique.

Dans l’esprit d’Houphouët-Boigny à qui l’on prête la paternité du mot Françafrique, il devait tout simplement désigner les relations spéciales entre la France et ses anciennes colonies. Mais avec le temps, et avec les révélations des uns et des autres, notamment celles contenues dans les mémoire de Jacques Foccart il y a quelques décennies, et plus récemment celles de son fils spirituel Robert Bourgi sur des transports de grosses sommes d’argent cachées dans des tam-tams au profit de certains hommes politiques français, la Françafrique a fini par désigner toutes les magouilles entre dirigeants français et africains, les coups tordus de la France sur le continent, et tout ce qu’il y a de corrompu dans les relations entre la France et ses ex-colonies. Et finalement, l’ensemble des relations entre ces deux entités n’est plus vu que sous ce prisme.

Un chef d’Etat d’Afrique francophone en France? Vive la Françafrique ! Un chef d’Etat ou un ministre  français dans un pays d’Afrique ex-française? (Re) vive la Françafrique! Que dire alors de l’intervention de la France en Côte d’Ivoire en avril dernier? Au lendemain de l’arrestation de Laurent Gbagbo dans les sous-sols de sa résidence, le quotidien français Le Monde m’avait demandé un article pour exprimer mon point de vue sur cette intervention française, au moment où bon nombre d’intellectuels africains et africanistes s’étranglaient de fureur devant cette énième manifestation de la Françafrique.

J’avais alors écrit ces lignes : « La Côte d’Ivoire (était) véritablement à deux doigts de basculer dans une guerre civile dont les métastases pourraient atteindre tous les pays voisins dont des milliers de ressortissants y vivent. La seule façon d’empêcher un tel scénario catastrophe était de neutraliser Laurent Gbagbo. Alors question: les troupes françaises et onusiennes qui en disposaient des moyens avaient-elles le droit d’agir? Question subsidiaire : qu’aurait-on dit si la Côte d’Ivoire avait effectivement basculé dans la guerre civile sans que les forces françaises et onusiennes présentes dans ce pays aient réagi?

J'avais dû fuir mon pays

J’ai personnellement dû fuir précipitamment mon pays en janvier dernier, comme des milliers d’autres Ivoiriens, pour échapper à la barbarie orchestrée par Laurent Gbagbo et ses milices. Et pendant tout ce temps, j’ai vécu à distance l’enfer dans lequel étaient plongés les miens restés au pays. Impossibilité de sortir pour chercher à se nourrir ; impossibilité de recevoir de l’argent, impossibilité pour les blessés d’aller se soigner dans les hôpitaux, parce qu’ils y étaient achevés, au motif qu’ils étaient des rebelles ;  impossibilité d’enterrer les morts par balles,  de peur d’être pris pour des parents de rebelles et tués pour cette raison, absence d’eau et d’électricité, lynchages ciblés en raison des patronymes et des nationalités.

La population est sortie de l’enfer

Depuis la capture de Laurent Gbagbo, la vie reprend progressivement à Abidjan. La population est sortie de l’enfer. Personnellement, je ne peux que dire merci à celui qui a aidé les miens à retrouver la vie. S’agit-il de la France ? Eh bien, merci la France. Ce que nous avons toujours attendu de ce pays présenté comme la patrie des Droits de l’homme, c’est qu’il nous aide à bâtir nous aussi des démocraties dans nos pays. Et ce que nous avons toujours reproché à la France et à son excroissance la Françafrique, c’est d’avoir donné le sentiment qu’elle privilégiait uniquement ses intérêts, au détriment de nos aspirations à la démocratie et au développement. Bon nombre d’intellectuels africains réfugiés en France qui critiquent aujourd’hui son action en Côte d’Ivoire ont fui des régimes dictatoriaux installés ou maintenus en place par leur pays d’asile. Doit-on continuer à blâmer la France lorsque, pour une fois, elle contribue à chasser un pouvoir sanguinaire et à installer un autre élu démocratiquement? »

A l’occasion de la visite d’Etat du Président ivoirien en France, certains intellectuels africains ou africanistes ont à nouveau embouché la trompette du retour de la Françafrique. Ce qu’ils ne font jamais lorsque le même type d’accueil n’est réservé à un autre chef d’Etat africain, mais qui n’est pas francophone. C’est que pour eux,  les relations entre la France et ses ex-colonies ne peuvent plus jamais fonctionner que, soit sous la forme de la Françafrique, soit sous la forme de la rupture brutale comme le Rwanda l’a fait. Et si nous changions de lunettes pour les voir tout simplement sous l’angle de la normalité, comme le sont nos relations avec toutes les autres puissances mondiales? Impossible?


Venance Konan (Fraternité Matin)

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Venance Konan

Venance Konan. Ecrivain et journaliste ivoirien. Il a notamment publié le roman Les Prisonniers de la haine.

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Henri Konan Bédié

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