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Journaliste à Charlie Hebdo, Caroline Fourest présente la couverture, Paris, 6 février 2007. AFP/Jack Guez
Journaliste à Charlie Hebdo, Caroline Fourest présente la couverture, Paris, 6 février 2007. AFP/Jack Guez

Est-il permis de critiquer le pouvoir (provisoire) tunisien?

L'intellectuelle française Caroline Fourest répond aux auteurs de la tribune «La nouvelle croisade de Caroline Fourest en Tunisie»

Mise à jour du 8 février 2012: Invitée à débattre de l’extrême droite à l’Université libre de Bruxelles, Caroline Fourest a été chahutée par des agitateurs qui l’ont accusé d’islamophobie. La rencontre a été annulée et la journaliste a dû quitter la salle escortée par le service de sécurité.

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Les soutiens du nouveau président tunisien et de leurs alliés intégristes sont bien entendu fâchés après mon article sur les “promesses non tenues de Moncef Marzouki“. Mais leurs arguments, repris en boucle, volent bas. On m’accuse de mener une “croisade”. Drôle d’expression pour de simples critiques émises par une journaliste laïque, opposée à toute forme de fanatisme et d’inquisition (notamment chrétienne)… Cela revient à considérer que le moindre avis émanant d’une française sur le Maghreb équivaut à une “croisade”.

A-t-on conscience de la xénophobie que ce raccourci culturaliste induit ? C’est un peu comme si un journaliste tunisien critiquait Nicolas Sarkozy pour ses positions sur l’identité nationale ou les étudiants étrangers, et qu’on l’accusait de mener “un jihad”. Franchement douteux.

Je précise que contrairement à certaines insinuations faites à partir d’une citation tronquée ou par des anonymes, je n’ai jamais soutenu le régime de Ben Ali, critiqué comme un régime dictatorial dans mon livre “Tirs Croisés” (paru en 2003). Un livre édité en arabe par mon ami Abdelmajid Charfi, un opposant tunisien que j’ai rencontré au Maroc et revu en Tunisie, la seule fois où je m’y suis rendue avant la révolution… Il m’avait fait préciser, dans la version arabe, qu’il s’agissait d’un régime où la répression était exercée par la police et non l’armée.

J’ai redit avec force combien rien ne justifiait la dictature

J’ai redit avec force combien rien ne justifiait la dictature, pas même l’intégrisme, dans mon livre d’entretien avec Taslima Nasreen, paru avant le printemps.

Je fais partie des toutes premières journalistes françaises à avoir soutenu les manifestations en Tunisie et en Algérie comme étant des révoltes politiques et non simplement sociales. J’ai condamné l’attitude scandaleuse du gouvernement français. Dans Le Monde, j’ai signé un article — “Le Mur du Caire doit tomber” — demandant de soutenir les Egyptiens contre Moubarak à un moment décisif : celui où des Européens se demandaient s’il fallait se réjouir du printemps ou en avoir peur.

Quant aux habituels et pathétiques procès en “sionisme” ou en “islamophobie” lus dans certains commentaires, ils en disent long sur la pathologie mentale de leurs auteurs. Qu’ils se mettent d’accord avec les racistes que je combats et qui me traitent d’”islamophile”. Ou avec les extrémistes sionistes qui m’insultent parce que j’ai critiqué le gouvernement israélien; leur refus de geler les colonies, et pris position pour la reconnaissance de l’Etat Palestinien à l’ONU.

Je précise également que j’ai écrit un livre contre la droite religieuse américaine et George Bush, que j’ai manifesté contre la guerre en Irak, et que j’étais opposée à la réintégration de la France au sein de l’OTAN. Mais là n’est, bien entendu, pas la question pour les soutiens du nouveau pouvoir tunisien… qui veulent bien voir des journalistes français soutenir le printemps mais jugent “culturalistes” de les voir aussi s’inquiéter de ce qu’il devient. Comme si continuer de s’intéresser au débat public tunisien constituait, en soi, un déni de démocratie.

Les Tunisiens n’ont pas majoritairement voté pour les islamistes et leurs alliés mais largement. Est-ce une raison pour ne rien dire des choix fait par ce gouvernement élu ? Au contraire, la démocratie exige de pouvoir critiquer. Comme je critique la politique de monsieur Victor Orban, pourtant élu par les Hongrois. Ou celle de Nicolas Sarkozy, pourtant élu par les Français.

J’ai bien compris que les nouveaux gouvernants de Tunisie cherchent à couper les liens entre Tunisiens laïques et Français en accréditant l’idée que les écrivains Français n’ont pas le droit de parler sur la Tunisie. Dommage pour eux, je suis une journaliste libre, universaliste, attachée aux libertés de tous (notamment des Tunisiens) et je ne sais pas me taire. Alors je continuerai à parler de ce pays qui me tient à coeur. Et d’y soutenir tous ceux qui se battent pour ne pas voir leur révolution confisquée. A bons entendeurs.

Caroline Fourest 

Cet article a d'abord été publié sur le site de Caroline Fourest

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Caroline Fourest

Caroline Fourest. Intellectuelle et journaliste française.

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