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Prolongations en Libye: faites du foot, pas la guerre

A la mort de Kadhafi, Sarkozy sifflait la fin du match rebelles-loyalistes. Mais la Libye est entrée dans un temps additionnel très incertain. Texte et dessin de Damien Glez.

Si la Libye n’organisera pas la prochaine Coupe d’Afrique des Nations, remplacée au “foot” levé par l'Afrique du Sud, elle a eu l’honneur de jouer –et la déconvenue de perdre– le match d’ouverture de la CAN 2012, le 21 janvier dernier, à Bata, en Guinée équatoriale. C’était une mise en lumière télévisuelle inespérée pour l’équipe que l’on surnomme les “Chevaliers de la Méditerranée”. Une mise en lumière qui tranche singulièrement  avec le brusque black-out médiatique que subit le reste des Libyens, resté au pays pour assister, avec la gueule de bois, à un affrontement bien moins fair-play. Si les footballeurs tentent d’exister sur les rectangles verts des stades d’Afrique centrale, le drapeau vert de la Libye kadhafiste se résout difficilement à ne plus flotter… Le match Libye-Libye n’était-il donc pas arrivé à son terme?

C’est peut-être parce que l’arbitre autoproclamé, Nicolas Sarkozy, avait pris fait et causes pour le camp rebelle qu’il avait cru bon siffler la fin du match, dès le carton rouge-sang décerné à l’ancien guide de la grande Jamahiriya arabe libyenne populaire et socialiste. Expulsé sur une civière mortuaire, le corps du “capitaine” colonel Kadhafi ne semblait-il pas emporter avec lui toute velléité d’hostilités sur la “pelouse”? Conforté par l’incarcération, dans les vestiaires, de l’avant-centre Saif al-Islam et par la danse du ventre médiatique –et bientôt cinématographique– du juge de touche Bernard-Henry Lévy, l’arbitre français plia ses gaules militaires vers la Gaule. Après cette partie de “balle au pied”, il lui fallait se remettre en forme pour le combat de boxe contre François Hollande…
Mais il est des terrains ou la “mort subite” n’est pas synonyme de fin de match.

Aïcha, pom-pom girl de son défunt père

Les hooligans, particulièrement les adeptes du tir au but à balles réelles, n’ont cure des temps réglementaires fixés par l’OTAN ou quelque organisation internationale. Ils continuent de “tacler” les résolutions et de s’agiter dans les gradins. Sur un banc de touche nigérien veille l’ancien footballeur professionnel et dirigeant sportif Saadi Kadhafi, fils de feu Mouammar.

Depuis la tribune algérienne –gradin ouest–, sa sœur Aïcha, pom-pom girl de son défunt père ne rate jamais une occasion de faire résonner la vuvuzela de la revanche, appelant les Libyens à se soulever et à venger la mort du guide hors-jeu.
Non, le match Libye-Libye n’est pas achevé. Est-il entré dans sa deuxième période, dans les prolongations, dans les temps additionnels ou dans une troisième mi-temps au terme incertain? Sans arbitre diplomatique de poids et sans l’attention des caméras occidentales, distraites par d’autres conflits, la violence a tout loisir de dribbler la paix dans une aire de jeu devenu chaotique.

Florilège d’anti-jeu et autres obstructions: le jeudi 19 janvier dernier, le vice-président Abdelhafidh Ghoga est victime d'une agression à l'université de Ghar Younès. Le dimanche, il démissionne et quitte la pelouse politique. Le samedi 21 janvier, le siège du Conseil national de transition (CNT) à Benghazi reçoit, en pleine lucarne, des tirs de grenades, puis le terrain est envahi par des manifestants. Après le berceau de la révolution, c’est le bastion de la résistance qui se signale. Le 23 janvier, des partisans de l’ancien régime envahissent la “pelouse” de Bani Walid et reprennent, pour un temps et dans le sang, le contrôle de la très symbolique ville au Sud-ouest de Tripoli. Le président du Conseil national de transition, Mustapha Abdel Jalil, évoque le spectre d'une «guerre civile».

Dans quel camp se trouve la balle?

Face à ses contre-attaques, le CNT a-t-il l’étoffe d’un vainqueur de ce local derby ? A-t-il, pour continuer de filer la métaphore footballistique, des talents de “finisseurs”? Son président exclut un mercato à la tête du Conseil, jonglant à l’envi avec la théorie des «mains cachées» (la main restant le tabou majeur du football). Les observateurs décrivent plutôt une organisation d’apparatchiks de l’ancien régime incapables de garantir la transition pendant le temps réglementaire. Si les ex-rebelles affrontent toujours les assauts de quelques kadhafistes, ils subissent également, à revers, les requêtes impatientes de la population. Comment gagner un match où le capitaine de l’équipe adverse est un fantôme, où l’arbitre a pris la clef des champs et où les gradins sont bondés de supporters désabusés, ayant de plus en plus de mal à distinguer les deux équipes sur le terrain? L’improvisation, le clientélisme, l’apparente impuissance du Premier ministre Abdel Rahim al-Kib et l’opacité dans la gestion des richesses du buteur buté ont fini de convaincre la jeunesse révolutionnaire que l’ancien et le nouveau régime, c’est bonnet vert et vert bonnet.

À l’ordre autocratique semble succéder le chaos. Brouillant les cartes des équipes “pro-kadhafi” et “ex-rebelles”, les milices tribales bénéficient de la prolifération des armes. Milice de Gharyan ici. Là, milice d’Assabia. Milice de Cyrénaïque ici. Là, milice de Tripolitaine. Dans cette ambiance de guerre civile, il est devenu plus intéressant d’être le chefaillon d’un comité révolutionnaire local que de s’enrôler dans une armée ou une police nationale qui peinent à se constituer, autour de peu généreux généraux, sélectionneurs par ailleurs illégitimes. Les milices se propagent. Les partis –notamment islamistes– se multiplient.

Les associations pullulent. Cafouillage dans une surface de réparation irréparable. La pelouse devient une foire d’empoigne militaro-politico-associative.
L’identité libyenne semble s’émietter plus que jamais. La réconciliation est un chantier moins florissant que celui des hôtels de luxe. Pendant ce temps, le kadhafiste Hamza Touhami annonce un centre en retrait qui pourrait profiler une reprise de volée: la formation d’un gouvernement libyen «vert» en exil…

À la Coupe d’Afrique des Nations comme en politique, un match suppose l’identification claire de deux équipes, un règlement et un chronogramme. Mais comment, dans une Libye chaotique, adopter une loi électorale et tenir des élections pour une assemblée constituante? Dans quel camp se trouve la balle? Si Sarkozy a regretté le séjour parisien de Kadhafi en 2007, aura-t-il à regretter d’avoir précipité sa chute en 2011?
Pour galvaniser un peuple enfin uni, la sélection libyenne aurait bien besoin de remporter la Coupe d’Afrique des Nations. Il est à craindre qu’à court terme, le match Libye-Libye ne connaisse que des perdants.
 
Damien Glez

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Damien Glez

Dessinateur burkinabé, il dirige le Journal du Jeudi, le plus connu des hebdomadaires satiriques d'Afrique de l'Ouest.

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