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Quand Pékin fait main basse sur l'Afrique
L’Afrique du Sud veut éjecter Jean Ping de la présidence de la Commission de l'Union africaine. Et pourrait bien arriver à ses fins avec la Chine, un allié de taille pour contrer les influences occidentales, notamment françaises, sur le continent.
«La Chine est une grande puissance et l’Union africaine doit interagir avec elle».
Cette petite phrase prononcée lors d’une conférence de presse le 18 janvier par Nkosazana Dlamini-Zuma, candidate sud-africaine à la présidence de la Commission de l’UA, n’est pas passée inaperçue.
Deux jours plus tard, depuis Pékin, le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères Liu Weimin lui a implicitement répondu:
«La Chine entend travailler ensemble avec l’UA pour approfondir la confiance mutuelle sur le plan stratégique, renforcer la coopération dans tous les domaines et développer en profondeur les relations Chine-UA et les relations sino-africaines».
Le prochain sommet de l’UA (dimanche et lundi) dira si l’axe Pretoria-Pékin enregistre son premier grand succès diplomatique sur la scène internationale en propulsant l’ex-épouse de Jacob Zuma jusqu’au sommet de l’exécutif panafricain.
Lune de miel
Les relations entre la première puissance économique d’Afrique et la deuxième puissance économique mondiale sont au beau fixe. On peut même parler d’une véritable lune de miel, tant les agendas des deux grandes puissances semblent se rejoindre.
D’un côté, la Chine, devenue en quelques années le principal partenaire économique du continent, devant la France et les Etats-Unis. Et toujours plus avide des matières premières africaines pour alimenter sa formidable croissance économique.
Pékin trouve dans le marché africain —un milliard d’habitants aujourd’hui, deux milliards en 2050— un formidable réservoir de consommateurs pour ses produits bon marché. Et ne dédaigne pas le poids diplomatique d’une Afrique balkanisée en 54 Etats dans les instances internationales.
De l’autre, l’Afrique du Sud, poids-lourd économique du continent, qui a fait son entrée en 2011 dans les BRICS, les grands pays émergents du monde. Et qui espère bien passer devant le Nigeria pour obtenir un siège permanent au conseil de sécurité de l’ONU.
Contre la France
L’Afrique du Sud, qui contribue à hauteur de 15% au budget de l’UA, s’est heurtée en 2011 à plusieurs reprises à ses alliés traditionnels occidentaux, en se rangeant aux positions chinoises.
Pretoria a ainsi bataillé contre les Européens, et surtout la France, pour s’opposer à l’intervention de l’Otan en Libye.
Elle a poussé jusqu’au bout pour un partage du pouvoir Ouattara-Gbagbo en Côte d’Ivoire, irritant Paris. Elle soutient Mugabe au Zimbabwe au grand dam des Britanniques.
Bref, l’Afrique du Sud du bouillant Zuma hume l’air du temps et parie sur la «jeune Chine» plutôt que sur la «vieille Europe» au bord d’une grande dépression style années 30.
Et Pékin sait caresser ses nouveaux amis africains dans le sens du poil: «Pendant l’année écoulée, la situation africaine a connu un changement profond et compliqué: il y a eu des conflits en Libye, une crise a éclaté en Côte d’Ivoire à la suite des élections», a noté le 24 janvier Lu Shaye, le «Monsieur Afrique» du «Quai d’Orsay» chinois.
«Made in China»
Et pour ceux qui n’auraient pas encore compris, de préciser:
«L’Occident y a recouru à la force en sabotant les efforts des pays africains et de l’UA destinés à résoudre les problèmes à travers des solutions propres à eux».
Du miel pour Zuma, du fiel pour Sarkozy. La Chine sait en outre se rendre indispensable: elle a construit et financé le nouveau centre de conférences de l’UA, qui domine la capitale éthiopienne et sera inauguré lors du prochain sommet. Avec ses 20 étages et ses 100 mètres de haut, le bâtiment se veut le «symbole de l’amitié sino-africaine».
Les ouvriers chinois ont travaillé tous les jours pendant deux ans, pour tenir les délais. A l’exception du ciment, du sable et des pierres, tout a été importé de Chine. C’est bien le « gagnant-gagnant » tant vanté par Pékin mais avec un «Made in China» exclusif…
Après avoir construit le bâtiment de l’UA, pas étonnant que Pékin voie d’un bon œil l’éventuelle accession de l’ex-madame Zuma au poste de président de la Commission.
Chef de la diplomatie sud-africaine de 1999 à 2009, «l’ex» est pourtant une quasi-inconnue sur le continent. Très discrète dans les médias internationaux, elle ne devrait pas opposer, en cas de victoire, une résistance farouche aux influences sud-africaine et chinoise au sein de l’UA.
«Camp francophone»
Et juste avant le «Jour J», les autorités sud-africaines ont du mal à cacher leur optimisme, assurant même avoir divisé le «camp francophone», censé soutenir le Gabonais Jean Ping.
«Après avoir parlé à certains dirigeants dans certains pays ouest-africains, je peux dire qu’il y en a qui soutiennent notre candidate», a déclaré le 18 janvier le ministre-adjoint à la présidence sud-africaine Oped Bapela. Sans toutefois lâcher aucun nom.
Pour «calmer» les francophones, ces derniers pourraient recevoir le lot de consolation, la présidence de l’UA (pour un an). Un poste largement honorifique et dépourvu de tout pouvoir réel. Le Béninois Boni Yayi tiendrait la corde.
Alors, les jeux sont-ils déjà faits? Attention à tout triomphalisme, toute forme d’arrogance. La diplomatie est davantage une affaire de tractations dans les couloirs que de déclarations tonitruantes dans un mégaphone. Ne dit-on pas qu’«il ne faut pas affûter son couteau avant d’avoir attrapé le cabri»?
Adrien Hart
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