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Côte d'Ivoire: difficile normalisation politique
Un nouvel incident, le 21 janvier à Abidjan, rappelle le climat d’impunité persistant et l’ampleur des efforts de normalisation qui restent à faire.
De source diplomatique, au moins une personne a trouvé la mort et trois autres ont été blessées, le 21 janvier, lors d’un meeting des partisans de l’ex-président Laurent Gbagbo. Selon Justin Koua, le nouveau leader des jeunesses du Front patriotique ivoirien (FPI), qui avait organisé le meeting, le bilan est plus lourd: deux morts et cinq blessés, en raison de l’agression menée par des jeunes supposés être des partisans d’Alassane Ouattara, l’actuel président. La Croix Rouge, elle, fait état de 45 blessés. Les heurts se sont produits à Yopougon, une banlieue d’Abidjan considérée comme le fief de Laurent Gbabgo. La police, présente, a tiré des gaz lacrymogènes, sans pouvoir empêcher les violences. Lorsque le meeting a été dispersé, une chasse à l’homme s’est produite contre les partisans du FPI dans les rues de Yopougon. Des Casques bleus de la Mission des Nations unies en Côte d’Ivoire étaient également présents. L’Onuci a «vigoureusement condamné» les violences, et demandé au gouvernement d’arrêter les responsables, en proposant son aide pour enquêter.
Tensions qui persistent en Côte d’Ivoire
Ce nouvel incident témoigne des tensions qui persistent en Côte d’Ivoire, un an après la crise post-électorale qui s’est soldée par un bilan officiel de 3.000 morts, selon l’Onuci. Un bilan sans doute bien plus lourd, selon Yacoumba Doumbia, le président du Mouvement ivoirien des droits de l’Homme (MIDH).
«Le bilan final s’élève à environ 5.000 ou 6.000 morts, compte tenu du nombre d’exactions qui n’ont pas été portées à la connaissance de l’Onuci», précise-t-il.
Les défenseurs des droits de l’homme s’inquiètent du climat d’impunité qui prévaut toujours. En principe, 2.000 «faux» éléments des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), des jeunes ayant revêtu des treillis pour racketter les populations, ont été arrêtés et emprisonnés à Abidjan. «Mais l’énigme reste entière entre les vrais et les faux FRCI, poursuit Yacoumba Doumbia. Les FRCI non identifiés sont pourchassés, mais en principe, les FRCI constituent un bloc homogène, une armée régulière avec une chaîne de commandement unique. Sur le terrain, la situation reste floue. Les chefs de guerre, les anciens commandants de zone, restent tout puissants, avec des hommes qui n’obéissent qu’à eux.»
C’est que ce soulignait le dernier rapport de l’ONG International Crisis Group (ICG) sur la Côte d’Ivoire. Gilles Yabi, responsable à Dakar d’ICG pour l’Afrique de l’Ouest, rappelle pour Slate Afrique que les «anciens commandants de zone, même quand ils sont nommés à des fonctions officielles à Abidjan au sein de l’armée ivoirienne, dans la Garde républicaine notamment, estiment au fond qu’ils devaient avoir les biens associés au fait qu’ils ont aidé l’actuel président à accéder au pouvoir. Ils n’ont pas vraiment compris qu’il fallait passer à autre phase et se mettre réellement sous l’autorité de la hiérarchie normale.» Le président Ouattara a lui-même été supris par l’ampleur des problèmes, estime Gilles Yabi. «Il n’a réalisé qu’en décembre la fatigue des populations face aux exactions des FRCI, ce qui l’a poussé à prendre des décisions et à avoir un discours plus clair et plus musclé.»
Du côté du camp Gbagbo, les anciennes milices ont connu une débandade après la fin de la bataille d’Abidjan, chacun se débrouillant pour sa survie. L’Université d’Abidjan, fermée jusqu’en octobre 2012 n’est plus le foyer des syndicalistes de la Fédération des scolaires et étudiants de Côte d’Ivoire (Fesci), qui a joué comme un bras armé du régime Gbagbo. Les syndicats étudiants ont par ailleurs été interdits dans les collèges et lycées, tandis que les Jeunes patriotes se terrent, en attendant des jours meilleurs.
Frustrations des défenseurs des droits de l’Homme
Les défenseurs des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire ne cachent pas leurs frustrations. Ils ont écrit beaucoup de lettres aux nouvelles autorités, restées sans réponse. Leurs organisations demandent notamment à ce que le processus judiciaire entamé avec l’arrestation de Laurent Gbagbo se poursuive, avec l’inculpation de tous ceux qui ont été impliqués dans des violations massives des droits de l’Homme dans les deux camps. La MIDH et la Ligue ivoirienne des droits de l’homme (Lidho) ont compilé, avec le soutien de la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH), les témoignages de centaines de victimes d’exactions dans les deux camps, pour favoriser les processus judiciaires en cours, au niveau national et international.
Mais à Abidjan, leurs demandes d’audience auprès des autorités n’ont pas abouti. Un seul entretien a été accordé à Yacoumba Doumbia, par le directeur de cabinet du ministère de la Sécurité.
«Nous ne pouvons que constater un hiatus entre le discours officiel et ce qui se passe sur le terrain, dénonce le responsable de la MIDH. La Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR) patine sur place, elle n’a pas encore avancé et n’a pas pris en compte les recommandations que la société civile lui a adressées».
Une certaine normalisation est tout de même perceptible, avec des populations prêtes à revivre ensemble. «La diversité d’avant la crise est toujours de mise, même dans les quartiers de Yopougon et d’Abobo, affirme de son côté René Legréhokou, président de la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (Lidho). Il y a des ressentiments, il y a une méfiance, mais les populations ne sont pas prêtes à s’affronter, quand il n’y a pas d’instrumentalisation par les politiques des questions ethniques et religieuses.» Par ailleurs, un autre développement positif tient aux perceptions de la présence de l’Onuci, dénoncée comme un soutien à Alassane Ouattara pendant la crise post-électorale. «Beaucoup d’Ivoiriens se rendent compte que l’Onuci a un souci de clarification de son action et qu’elle envoie des messages en faveur de la paix et de l’Etat de droit. A chaque violence commise contre des pro-Gbagbo, l’Onuci rappelle qu’il faut laisser toutes les opinions s’exprimer et ne pas interdire les manifestations.»
Des débordements à chaque manifestation
Le dernier incident en date, le 21 janvier, n’est pas très surprenant aux yeux des analystes qui suivent la Côte d’Ivoire. Des débordements ont marqué chaque manifestation du FPI depuis la fin de la crise.
«Il ne faut pas oublier que le conflit post-électoral a été très violent et qu’il reste très récent, explique Gilles Yabi. Du côté des jeunes du parti d’Alassane Ouattara, le souvenir d’affrontements durs les poussent à ne pas accepter que le FPI manifeste et puisse tenir un discours virulent contre le pouvoir actuel. Il existe une vraie difficulté à accepter le retour du FPI dans l’arène politique. Cet incident rappelle au pouvoir en place la nécessité d’assurer des manifestations publiques autorisées sans perturbations. C’est la condition d’une normalisation et d’une réconciliation nationale.»
Sabine Cessou
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