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Manifestation à Tunis le 11 janvier 2012. AFP/FETHI BELAID
Manifestation à Tunis le 11 janvier 2012. AFP/FETHI BELAID

La révolution ne fait que commencer!

Il y a un an déjà, Ben Ali fuyait la Tunisie. Le 14 janvier 2011 a donné des idées aux Égyptiens, Algériens, Syriens...

Un an déjà…Le 14 janvier 2011, sous la pression de la rue mais aussi d’une armée ayant refusé de tirer sur la population, le président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali s’enfuyait de son pays. La chute de son régime, impensable dix jours auparavant, a été le moment fondateur de ce que l’on appelle depuis le Printemps arabe. Après quatre semaines de manifestations courageuses face à un appareil policier déchaîné, les Tunisiennes et les Tunisiens venaient d’abattre le mur de la peur et de prouver qu’il vient toujours un temps où le tyran n’est plus qu’un tigre de papier voire une poule mouillée. C’est en cela que réside la force symbolique du 14 janvier, un jour-anniversaire qui va être célébré par une Tunisie aujourd’hui en proie aux querelles politiciennes, à la crise économique et à l’angoisse des lendemains qui déçoivent.
 

Une séquence historique

On peut comprendre le désenchantement de nombre de Tunisiens, accablés par la dérive autocratique du parti islamiste Ennahdha au pouvoir mais, pour autant, il ne faut pas oublier ce que la fuite de Ben Ali a ouvert comme champ de possibilités. C’est bien parce que le président tunisien a fini par prendre la poudre d’escampette qu’ailleurs, dans le reste du monde arabe, des jeunes, des activistes, des anonymes ainsi que des opposants se sont dit: «C’est possible. On peut abattre le régime. On peut faire comme les Tunisiens». La séquence des mois de janvier et février restera historique et inoubliable. Soudain, le monde arabe a été pris par une frénésie libératrice, des peuples que l’on disait soumis et vaincus se sont engagés dans la contestation en hurlant leur volonté de mettre le régime à terre. Ce fut le cas en Egypte, avec la manifestation phare du 25 janvier place Tahrir au Caire, mais aussi au Yémen, en Libye, en Algérie et à Bahreïn sans oublier le très discret sultanat d’Oman.

Partout des hommes et des femmes ont levé la tête pour dire «assez !». Assez de «hogra» (d’injustice). Assez de dignités bafouées, assez de chômage et de difficultés pour se nourrir, s’éduquer ou se soigner. Ce cri de ras-le-bol était attendu depuis longtemps. Au début des années 2000, un rapport d’experts du Programme des Nations-Unies pour le Développement (Pnud) avait tiré la sonnette d’alarme. Selon eux, le monde arabe prenait du retard sur le reste de la planète. Loin de la vigueur des pays émergents, cette zone s’enfonçait dans la régression politique mais aussi sociale et culturelle. Pas ou peu de libertés, une corruption endémique, des systèmes éducatifs produisant des dizaines de milliers de chômeurs: le rapport avertissait implicitement de l’existence de risques d’une déflagration générale. Mais cette mise en garde n’a pas été entendue, pas plus que ne l’ont été les appels au secours des militants arabes des droits de la personne humaine. Comment oublier les propos de ces officiels français ou européens selon lesquels il fallait apprendre à composer avec Ben Ali ou Moubarak parce que ces derniers étaient jugés inamovibles et surpuissants.
 
Et pourtant… Qui, mais qui, en janvier 2011, aurait pu prédire que Ben Ali et sa femme seraient en exil en… Arabie Saoudite? Que Hosni Moubarak serait jugé en risquant la peine capitale? Que Mouammar Kadhafi serait mort lynché par des civils en armes venus pour la plupart de Misrata et soutenus par l’Otan? Que le régime syrien de Bachar al-Assad ferait face à la plus importante contestation en Syrie depuis cinquante ans? Qui aurait parié sur une victoire électorale des islamistes marocains du PJD? Qui aurait prédit la révolte des yéménites contre Ali Saleh, obligé aujourd’hui de louvoyer pour sauver son clan? En un mot comme cent: personne. 2011 a été une année incroyable pour le monde arabe. Il ne faut pas l’oublier.
 

La fin des dynasties familiales

La fuite de Ben Ali n’a pas simplement provoqué une tempête dans tout le monde arabe, tempête qui dure encore comme en témoignent les tragiques événements en Syrie mais aussi, on l’oublie un peu trop vite, dans une Libye désormais en proie à l’ordre armé des milices. Le 14 janvier restera en effet comme une date fondatrice dans l’histoire des systèmes politiques arabes. Bien entendu, personne ne sait comment la situation va évoluer en Tunisie ou en Egypte. Mais une chose semble certaine. C’en est fini des républiques monarchiques, ces «djoumloukiyas» (contraction de Djoumhouriya, la République, et de mamlaka, le royaume) où le fils se préparait à prendre la place du père (Egypte, Yémen) quand il ne s’agissait pas de l’épouse (Tunisie) ou du frère (Algérie). Quelle que soit la forme des futurs mécanismes de pouvoir qui vont se mettre en place dans les pays engagés dans des transitions plus ou moins démocratiques, on voit mal un dirigeant, qu’il soit islamiste ou non, prendre le risque de préparer l’un de ses proches à sa succession. Vu d’Europe cela peut paraître étrange – encore que certains récents exemples en France mais aussi aux Etats-Unis démontrent que le népotisme et le favoritisme ne sont pas une exclusivité orientale – mais c’est un acquis important du Printemps arabe.
 

Le temps des islamistes

L’euphorie née du 14 janvier puis du 11 février (démission du président égyptien Moubarak) semble aujourd’hui dissipée. Comme l’écrivent de nombreux éditorialistes arabes, le réel reprend le dessus et chasse les rêves les plus fous d’une démocratie moderniste et apaisée. En Tunisie, comme en Egypte voire comme au Maroc et en Libye, les islamistes ont raflé la mise. Discrets pour ne pas dire absents des premières manifestations, ils ont remporté les premiers scrutins organisés après la chute des dictateurs. De quoi donner raison aux soutiens des régimes anciens dont l’argument majeur était «c’est la dictature ‘éclairée’ ou les islamistes». Mais là aussi, il faut se garder de tout défaitisme. En l’état actuel des sociétés arabes, y compris la tunisienne censée être l’une des plus modernistes, la victoire électorale des partis religieux était inévitable. Qui mieux qu’eux a représenté l’opposition aux dictateurs? Surtout, quel parti démocrate, à peine sorti de la clandestinité ou à peine formé, pourrait rivaliser avec ces formations disposant déjà d’une importante logistique (dont l’accès aux mosquées) et de financements importants en provenance notamment des pays du Golfe?
 
Du coup, deux points majeurs sont à considérer pour l’avenir. Le premier concerne la manière dont vont gouverner ces formations islamistes. Vont-elles durcir leur discours après avoir promis de respecter les libertés individuelles dont celles des femmes? Vont-elles engager des réformes destinées à empêcher toute alternance politique? Et, surtout, vont-elles réussir à faire face aux importants défis économiques et sociaux auxquels sont confrontés leurs pays. Dans un monde parfait, et compte-tenu de l’inconsistance des programmes économiques des islamistes, les prochaines élections devraient déboucher sur un rééquilibrage des forces politiques. Et c’est là qu’intervient le second point. Les partis démocrates modernistes auront-ils le temps, et la possibilité, de se présenter comme une alternative à l’islamisme? Battus en Tunisie comme en Egypte car incapables de se dépêtrer des questions liées à l’identité (religion, langue arabe) vont-ils réussir à déplacer le débat politique vers le terrain social et économique? C’est ce qui est en train de se jouer en ce moment. En Tunisie, comme ailleurs, on réalise aujourd’hui qu’abattre le dictateur n’est que le début d’un long processus voire le début d’un autre combat.
 
Akram Belkaïd

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Akram Belkaïd

Akram Belkaïd, journaliste indépendant, travaille avec Le Quotidien d'Oran, Afrique Magazine, Géo et Le Monde Diplomatique. Prépare un ouvrage sur le pétrole de l'Alberta (Carnets Nord). Dernier livre paru, Etre arabe aujourd'hui (Ed Carnets Nord), 2011.

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