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«Le meilleur colonisateur, celui qui a le moins colonisé»
Parler de conséquences positives pour la colonisation française est synonyme de tollé en France. Outre-Manche, la question se pose.
Difficile de trouver des pays nostalgiques du colonialisme, en tout cas du côté de ceux qui l’ont subi. Car en France, il y a toujours des hommes politiques, comme Emmanuel Macron, pour penser que la colonie a fait plus de bien que de mal. «En Algérie, il y a eu la torture mais aussi l'émergence d'un Etat de classes moyennes, c'est aussi ça la réalité de la colonisation», a déclaré l'ancien ministre de l'Economie dans l'hebdomadaire Le Point du 23 novembre 2016..
Ceci dit, il n’est pas non plus aisé d’échapper à l’impression que certains pays en ont plus pâti que d’autres. Dans l’Empire britannique figuraient l’Inde, aujourd’hui puissance émergente, et les pays les plus stables et les plus prospères d’Afrique—le Botswana, le Ghana et l’Afrique du Sud. Les anciennes dépendances françaises en Afrique et dans le sud-est asiatique, de la Côte d’Ivoire au Cambodge, ne semblent pas s’en être si bien sorties dans la période post-coloniale.
D’aucuns, tel l’historien Niall Ferguson, ont même avancé la théorie d’un héritage positif de l’Empire britannique, et considèrent la Pax Britannica non seulement comme une période d’expansion impérialiste mais aussi comme ayant favorisé la «diffusion de valeurs progressistes en termes d’économie de marché, d’état de droit et enfin de gouvernement représentatif.»
Les conséquences réelles de la colonisation
Au-delà des observations anecdotiques, existe-t-il des preuves que le type de colonialisme ait pu avoir une influence sur les pays décolonisés? Les sanglantes guerres civiles post-indépendance de l’Angola et du Mozambique, par exemple, furent-elles un héritage du colonialisme portugais, ou sont-elles davantage imputables aux rivalités autour des ressources du pays et à la Guerre froide? À quel point l’histoire récente de l’Algérie et du Vietnam aurait-elle été différente si la France les avait laissé paisiblement partir?
Alexander Lee, doctorant à l’université de Stanford University, et le professeur Kenneth Schultz ont étudié le cas du Cameroun, pays qui, fait rare, comprend de vastes régions colonisées par différentes puissances, la Grande-Bretagne et la France, unifiées après l’indépendance en 1960. Le seul pays à l’histoire comparable est la Somalie, où l’on comprend aisément qu’il est difficile d’obtenir des données économiques après plus de trois décennies de guerre.
«Le meilleur colonisateur, celui qui a le moins colonisé»
Il y a peut-être du vrai dans cette théorie de l’héritage britannique: Lee et Schultz ont découvert que les zones rurales du Cameroun autrefois sous domination britannique présentent un niveau de richesse plus élevé et disposent de meilleurs services publics que celles qui appartenaient à la France. Pour prendre un exemple, presque 40% des ménages ruraux des anciennes provinces britanniques étudiées ont accès à l’eau courante, contre moins de 15% côté français. Ce qui pourrait laisser penser que le système colonial britannique, qui exerçait ce que Lee appelle «de plus hauts niveaux de gouvernement indirect et accordait davantage d’autonomie aux chefs au niveau local» était plus bénéfique, ou en tout cas moins dommageable que le modèle français plus interventionniste, qui impliquait «un plus grand niveau de travail forcé.»
Rien ne prouve cependant qu’aucune sorte de colonialisme soit bonne pour les colonisés. Lakshmi Iyer, économiste de Harvard, a découvert qu’en Inde, les régions qui avaient été sous autorité directe de la Grande-Bretagne disposaient aujourd’hui de moins bons niveaux de services publics que celles où les dirigeants locaux avaient conservé un certain niveau de pouvoir; ces «états princiers» comprennent les centres d’affaires high-tech actuels d’Hyderabad et de Jaipur. Et pour ce qui concerne l’Amérique latine, un article qui sera prochainement publié par les économistes Miriam Bruhn, de la Banque mondiale, et Francisco Gallego, de la Pontificia Universidad Católica du Chili, révèle que les régions où le colonialisme dépendait largement de l’exploitation de la main d’œuvre affichent aujourd’hui un moins bon niveau de développement économique que celles où les colonisateurs s’impliquaient moins (dans ce contexte, le sordide héritage du roi Léopold II de Belgique qui exploita ses vastes territoires, aujourd’hui inclus dans la République démocratique du Congo, comme une plantation personnelle où régnait la violence—ne semble plus si surprenant).
En conclusion, pour paraphraser Henry David Thoreau, il semble que le meilleur colonisateur ait été celui qui a le moins colonisé.
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Par Joshua E. Keating [Traduit par Bérengère Viennot]
Cet article, publié le a été mis à jour le 24 novembre 2016.