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Nicolas Sarkozy et Omar Bongo le 27 juillet 2007 à Libreville. REUTERS/ Pascal Rossignol
Nicolas Sarkozy et Omar Bongo le 27 juillet 2007 à Libreville. REUTERS/ Pascal Rossignol

Pourquoi Omar Bongo a misé sur Nicolas Sarkozy

Le scandale des biens mal acquis revient dans l'actualité à la veille de la présidentielle française. Thomas Hofnung qui vient d'y consacrer un ouvrage analyse pour Slate Afrique les ramifications de ce système au coeur de la classe politique française.

Mise à jour du 11 juillet 2012 : Dans un rapport publié hier, la Banque mondiale affirme avoir réussi à rapatrier vers l’Afrique un montant avoisinant les cinq milliards de dollars américains depuis le début des procédures lancées contre le détournement de l’argent public, en Afrique.

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SlateAfrique - A lire votre ouvrage (Le scandale des biens mal acquis: enquête sur les milliards volés de la Françafrique, co-écrit avec Xavier Harel. Ed La découverte), on a le sentiment que la Françafrique reste une réalité?

Thomas Hofnung - C’est exact, mais disons d’emblée qu’elle est en perte de vitesse. Cette nébuleuse hors norme se perpétue mais elle est condamnée à disparaître, faute d’acteurs. Une génération nouvelle est en train d’arriver aux commandes en Afrique, qui est née après l’indépendance. Certes Ali Bongo a pris la succession de son père à Libreville, mais on voit bien qu’il veut ouvrir le Gabon à d’autres partenaires ; ce qu’avait déjà commencé à faire son père. On pense à la Chine, mais pas seulement: le Brésil, le Qatar, Dubaï et l’Iran sont sollicités. La Françafrique n’est pas un astre mort qui donnerait l’illusion de continuer à briller, mais une étoile déclinante. Cette mutation s’observe, d’une autre manière, en France: Nicolas Sarkozy ne s’intéresse guère à l’Afrique. Il n’y met pas d’affect et nourrit une relation purement utilitariste. Pour lui, c’est un continent où l’on peut faire des affaires, y exploiter des matières premières et dont il faut contenir les «débordements» (immigration clandestine, menace terroriste). Pas plus, pas moins.

SlateAfrique - Le président Sarkozy avait promis de mettre un terme aux pratiques de la Françafrique. Peut-on dire que ses promesses ont été suivies d’actes?

T.H - Clairement non. La seule véritable avancée est dans le domaine militaire: Nicolas Sarkozy a demandé une rénovation des accords de défense liant notre pays à d’anciennes colonies et leur publication. On a fermé les bases de Dakar et d’Abidjan, même si nous maintenons une présence militaire sur place. Mais il n’est plus question, officiellement, d’intervenir dans les affaires intérieures d’un pays, comme ce fut le cas en 2002 en Côte d’Ivoire. Certes, en avril dernier, la France est intervenue pour forcer Laurent Gbagbo à lâcher le pouvoir, mais c’était un cas très spécifique: le dispositif Licorne, en appui de l’ONU, était déjà en place, Nicolas Sarkozy en a hérité en arrivant à l’Elysée. En 2008, l’armée française a certes aidé Idriss Déby assiégé par les rebelles dans son palais, mais Paris avait aussi proposé de l’exfiltrer. Je pense que désormais la France essaiera de rester en retrait le plus possible dans les conflits qui se déroulent dans son ancien «pré carré».

Pour le reste, Nicolas Sarkozy n’a en rien modifié les usages. Bien au contraire, le poids qu’a eu un Robert Bourgi dans les affaires africaines jusqu’à l’arrivée d’Alain Juppé au Quai d’Orsay témoigne même d’une régression.

SlateAfrique - Peut-on affirmer que la famille Bongo a financé sa campagne de 2007?

T.H - L’affirmer est une chose, le prouver en est une autre. Des indices convergent en ce sens (le nombre de rencontres entre Sarkozy et Bongo durant la campagne, l’annulation d’une partie de la dette gabonaise après l’élection de Sarkozy, la Légion d’honneur à Bourgi, l’éviction de Bockel du ministère de la Coopération, etc.), mais quand l'opposant gabonais Mike Jocktane évoque des valises qui auraient continué de circuler entre Libreville et Paris durant la campagne de 2007 et même après, il sait bien que c’est parole contre parole. Les valises ne laissent pas de traces comptables. D’où leur intérêt, à l’heure où l’on peut effectuer très facilement des virements sur des comptes off shore. Mais qui dit que, demain, ces comptes ne seront pas repérés? Mike Jocktane évoque dans notre livre l’existence de vidéos des remises de mallettes. Il faudrait pouvoir les visionner. En l’état actuel des choses, c’est bien sûr impossible. Ce qui est étonnant, c’est le silence assourdissant de l’Elysée face au témoignage de Jocktane. Comme si à Paris on préférait faire profil bas. Une attitude à ranger, selon moi, au rayon des indices convergents dont je parlais…

SlateAfrique - Comment expliquer la proximité d’Omar Bongo avec Nicolas Sarkozy ?

T.H - Je ne crois pas qu’ils aient été très proches. Omar Bongo, qui se piquait de jouer un rôle d’influence sur la scène politique française, a très tôt repéré Sarkozy et a veillé à le voir régulièrement, comme il voyait tous ceux qui pouvaient, à ses yeux, compter sur les rives de la Seine. Il n’avait pas d’atome crochu avec lui, mais quand il a compris qu’il pourrait être le successeur de Chirac, Omar Bongo a misé sur lui. Le vieux dirigeant gabonais a toujours fonctionné ainsi: il «investissait» sur les hommes à la fois pour préserver son pouvoir à Libreville —croyait-il— et pour maintenir son influence dans un pays qui compte sur la scène diplomatique.

Nicolas Sarkozy, lui, savait qu’il était important de garder de bonnes relations avec le «doyen», très influent sur le continent, et généreux.

SlateAfrique - L’opinion publique française est-elle choquée par ces pratiques? Comment réagit l’opinion publique africaine?

T.H - L’opinion publique française est sans doute choquée, mais ce scandale s’inscrit dans un contexte extrêmement chargé avec les affaires Karachi, Bettencourt, Clearstream etc. Elle semble presque lassée. Le pouvoir joue d’ailleurs sur cette lassitude en faisant profil bas. Dans ce contexte, les médias jouent un rôle très important en continuant de parler des enquêtes sur ces pratiques.

Sur le continent, l’enquête sur les BMA est suivie très attentivement. Les pouvoirs ont organisé des manifestations «spontanées» de soutien aux dirigeants visés ou des campagnes dans les médias officiels, comme à Brazzaville. Mais au-delà de ces manifestations de circonstance, les populations ne sont pas dupes. Le train de vie de leurs dirigeants les choque, elles sont au courant de beaucoup de choses. Dénoncer le «néo-colonialisme» des ONG ou de la presse françaises n’est pas une ligne de défense suffisante pour discréditer ceux qui enquêtent sur les BMA.

Slate Afrique - Les Africains ont-ils des chances d’obtenir dans les années à venir une gestion plus équitable des ressources de leurs pays?

T.H - Il faut l’espérer, mais cette impulsion ne peut venir que de l’intérieur. Les ONG du nord jouent un rôle important en dénonçant certaines pratiques et en obligeant les dirigeants occidentaux à mettre leurs actes en conformité avec leurs discours sur la nécessaire lutte contre les paradis fiscaux et contre la corruption. Mais tant que les dirigeants africains ne mettront pas, eux mêmes, un terme à ces pratiques, les changements seront limités. C’est donc aux peuples africains de prendre leurs responsabilités en faisant pression sur leurs dirigeants. Ce n’est pas simple dans un contexte social et politique très difficiles, où l’on se bat pour sa survie quotidiennement et où l’on risque sa peau en dénonçant les abus du pouvoir. Mais je crois que l’exigence de justice n’est pas le monopole des pays riches. Les Africains aspirent à la démocratie et à la justice, comme partout ailleurs dans le monde. A cet égard, le cas de la Tunisie est à méditer.

Propos recueillis par Pierre Cherruau

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Pierre Cherruau a publié de nombreux ouvrages, notamment Chien fantôme (Ed. Après la Lune), Nena Rastaquouère (Seuil), Togo or not Togo (Ed. Baleine), La Vacance du Petit Nicolas (Ed. Baleine) et Dakar Paris, L'Afrique à petite foulée (Ed. Calmann-Lévy).

Ses derniers articles: Comment lutter contre le djihad au Mali  Au Mali, la guerre n'est pas finie  C'est fini les hiérarchies! 

Robert Bourgi

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