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Abdoulaye Wade: une obsession nommée Senghor
Le chef de l'Etat sénégalais est en perpétuelle compétition avec le premier président de son pays. Dans ses moindres faits et gestes, il ne manque jamais une occasion de se comparer à son illustre prédécesseur. Sans manifestement en avoir la carrure.
Habitué des coups d’éclat, le président Wade a récemment encore fait parler de lui. La dernière « Waderie » en date -comme les Sénégalais appellent les initiatives souvent controversées du chef de l’Etat sénégalais- est sa décision de faire des « Dents de la mer », la résidence du défunt président Léopold Senghor, un musée où seront stockés les cadeaux reçus par les anciens chefs d’Etat au cours de leur mandat. Accompagné de quelques collaborateurs, Wade a fait un tour dans cette maison mythique, presque à l’abandon, où le temps semble s’être arrêté avec des chambres bien rangées et une bibliothèque bien ordonnée qui reflètent bien la personnalité de son propriétaire, un homme organisé et méthodique.
Gardiens de la mémoire du président-poète
Il n’en fallait pas plus pour faire ruer dans les brancards les « Senghoristes » historiques, gardiens de la mémoire du président-poète. Ainsi, le poète Amadou Lamine Sall a marqué sa désapprobation. Un autre proche de Senghor, l’écrivain Hamidou Sall, ami d’enfance de son fils Philippe Maguilen Senghor disparu tragiquement dans un accident de la route, tout en soulignant la nécessité de préserver l’héritage de l’illustre disparu, s’est aussi démarqué de l’initiative sur les ondes de Rfi. Pis, la décision de Wade de retirer de la prestigieuse bibliothèque des Dents de la Mer deux livres que lui aurait prétendument empruntés Senghor lui a valu une tribune au vitriol de la part de Théodore Monteil : « Venir chez Senghor, dix ans après sa mort, y trouver des livres et s’en emparer, au-delà du manque de décence, est une profanation de sa mémoire et un viol de l’institution qu’il symbolise. Par ailleurs, Il ne me semble pas que les restitutions et le payement des dettes s’opèrent ainsi selon les enseignements de l’Islam. Venir devant les caméras de télévision, dans la maison d’un défunt, en l’absence de ses héritiers et dire : « voilà ces livres étaient à moi. Je les reprends » n’est pas digne d’un homme de 86 ans élevé dans les préceptes de l’islam. »
Déjà à l’époque, la décision du président Wade de racheter au nom de l’Etat du Sénégal pour un montant de 750 millions de francs CFA (plus d’un million d’euros) les « Dents de la Mer », situés dans le quartier résidentiel de Fann avait suscité beaucoup de polémiques. La Fondation Léopold Sédar Senghor, créée en 1974 et dirigée par Basile Senghor, neveu du défunt poète, s’est dite indignée et surprise par cette annonce de la vente de la résidence. Elle a adressé une correspondance au président Wade pour lui demander des explications qui sont restées sans suite.
Chausser les bottes de Senghor
Dès sa prise de fonction, Abdoulaye Wade s’est évertué à chausser les bottes de Senghor, en dépit du fait que beaucoup de ses compatriotes pensent qu’elles sont manifestement trop grandes pour lui. Ainsi, à la disparition du chantre de la négritude en décembre 2001 Wade, surfant sur l’émotion populaire qui avait gagné tout le Sénégal, n’avait ménagé aucun effort pour organiser des funérailles grandioses au premier président du pays. Dans un discours élogieux, il s’était fait passer pour le digne successeur du disparu, reléguant le président Diouf, qui avait succédé Senghor au pouvoir, au rang de simple parenthèse.
Mais Wade ne s’en était pas arrêté là. Senghor ayant organisé le premier Festival mondial des arts nègres qui avait marqué les esprits en 1966, Wade a lui aussi tenu à avoir « son » Fesman. Un grand raout, co-organisé en 2010 dans des conditions nébuleuses par sa fille Sindiély Wade, que les plus réputées des sommités intellectuelles du continent avait pourtant boycotté car l’évènement était fortement décrié par une bonne partie de l’opinion publique qui dénonçait un « gaspillage » dans un pays pauvre très endetté.
Comme Senghor est l’auteur de l’hymne national du Sénégal, Abdoulaye Wade a aussi composé son hymne destiné aux Africains. Une trouvaille qui est cependant loin de connaître le même succès que celui de Senghor, en dépit d’un matraquage médiatique incessant.
« Trivial pursuit » intellectuel
Hanté par la haute figure de Senghor, Wade a donc entamé avec lui une sorte de « trivial pursuit » intellectuel pour la postérité. Mais « Sengh », comme ses compatriotes surnommaient affectueusement leur ancien chef de l’Etat, semble avoir pris une sérieuse avance dans ce domaine. Elève surdoué durant tout son cursus, latiniste de choc et helléniste flamboyant, Senghor, auteur d’une œuvre littéraire considérable et membre de la prestigieuse Académie française, a fasciné des générations de lycéens par ses poèmes de haute facture.
En comparaison, l’œuvre de Wade la plus connue, en dépit de sa prétention à se considérer comme étant « l’Africain le plus diplômé du Cap au Caire »(sic), se résume à un livre -« Un Destin pour l’Afrique »- qui n’a pas franchement captivé l’humanité par sa densité. Mais Wade pourra peut-être un jour rattraper Leo-le-poète dans sa curieuse course aux honneurs quand il décrochera le prix Nobel, son autre obsession. Il n’est quand même pas interdit de rêver.
Barka Ba
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