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Alassane Ouattara vote le 11 décembre 2011 à Abidjan. REUTERS/Thierry Gouegnon /
Alassane Ouattara vote le 11 décembre 2011 à Abidjan. REUTERS/Thierry Gouegnon /

Législatives ivoiriennes : qui a gagné, qui a perdu?

Les gagnants des législatives ivoiriennes du 11 décembre ne sont pas nécessairement ceux que l’on croit. Et si la victoire du camp Ouattara était trop écrasante?

Hasard du calendrier ou clin d’œil du président Alassane Ouattara à son adversaire d’hier? Les élections législatives du 11 décembre ont eu lieu, huit mois jour pour jour après l’arrestation de Laurent Gbagbo dans son bunker, son « trou », de la résidence présidentielle du quartier Cocody, à Abidjan.

Que de chemin parcouru. Le vainqueur rencontre les Grands de ce monde, parcourt la planète pour attirer les investisseurs. Le vaincu le regarde faire depuis sa petite télévision de sa minuscule cellule de la Cour pénale internationale (CPI). L’Histoire est cruelle…

       Ouattara, une trop large victoire

Elu en novembre 2010, Ouattara n’a pu s’asseoir dans le fauteuil présidentiel qu’en avril, après une éprouvante «bataille d’Abidjan» et l’aide militaire décisive de l’ONU et de la France.

Les législatives constituaient pour lui un moyen pour tourner la page de plus d’une décennie perdue, d’une décennie Gbagbo. Mais aussi de quatre mois de crise post-électorale, avec ses 3.000 morts et ses massacres dans l’Ouest, notamment à Duékoué, qui un jour intéresseront les enquêteurs de la CPI. Tourner la page et conforter son pouvoir.

Les partisans de Gbagbo boycottant le scrutin, la victoire ne faisait guère de doute. Sur les 254 sièges à pourvoir à l’Assemblée le 11 décembre, le Rassemblement des républicains (RDR) du président Ouattara en a raflé la moitié, soit 127 sièges. Avec les 35 indépendants qui vont vouloir leur part de foufou, le parti présidentiel obtient donc la majorité absolue, le pouvoir absolu au Parlement.

Et c’est là que le bât blesse. Il y a des victoires lourdes à porter, difficiles à assumer. Ce raz-de-marée Ouattariste a immédiatement suscité des crispations. Tout le monde avait déjà remarqué que les « nordistes » dominaient la nouvelle armée, que les « dioula » (terme générique désignant les populations du Nord ivoirien) étaient bien placés depuis quelques mois dans les ministères et les grandes entreprises.

Avec l’Assemblée nationale, la « domination » nordiste devient voyante, trop voyante. Déjà les partisans de Gbgabo évoquent un «Parlement tribal», pointent du doigt la fréquence des patronymes du Nord chez les députés RDR. Ils peuvent se mordre les doigts, eux qui ont boycotté le scrutin…

Le nouveau pouvoir devra tenir compte des craintes d’un « Etat-RDR » ou d’un « Etat-dioula » chez une partie de ses concitoyens. Et devra rapidement, très rapidement, donner des signes d’ouverture.

Ouverture vers le Front populaire ivoirien (FPI) de Gbagbo en libérant certains de ses cadres, les moins radicaux. Ouverture vers son allié du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) en lui donnant des postes en vue. Comme le poste de président de l’Assemblée. Ou celui de Premier ministre.

                FPI, l’erreur d’un boycott

 

Le Front populaire ivoirien aura cinq ans pour réfléchir à sa première grande erreur de l’ère Ouattara: le boycott des législatives. Lors des dernières élections de 2000, il était arrivé en tête, avec près de 100 députés. Il n’en a plus un seul. Se privant ainsi d’un rôle de leader de l’opposition parlementaire.

Le FPI est tombé dans le piège que Ouattara lui a tendu. Le boycott ne pouvait qu’arranger le nouveau pouvoir. Si le parti de Gbagbo avait concouru, la campagne électorale aurait été beaucoup plus tendue, les incidents se seraient multipliés et peut-être même les violences. Le FPI aurait eu le beau rôle, appelant à témoin la communauté internationale sur ses difficultés à faire campagne, sur les menaces et intimidations pesant sur ses candidats, etc…

Au final, le camp Ouattara aurait peut-être gagné, mais le scrutin aurait été entaché d’irrégularités et le FPI aurait eu des députés pour porter son message dans l’hémicycle. Au lieu de cela, les observateurs internationaux ont applaudi un scrutin sans incident majeur et pris acte de la victoire écrasante du camp Ouattara. Le chef de l’Etat peut dire merci au parti de son plus féroce adversaire.

Le FPI a boycotté les législatives. Il faudrait, s’il veut continuer à exister sur la scène politique, qu’il participe aux prochaines municipales, début 2012.

                     PDCI, le baiser mortel

Le parti de feu Félix Houhouët-Boigny devrait méditer le « baiser de la mort » donné par le Socialiste François Mitterrand à son allié communiste, une fois arrivé à la présidence en 1981 : il lui a ouvert les portes du gouvernement pour mieux l’étouffer. Aujourd’hui, le PS est toujours là et le Parti communiste a quasiment disparu.

Le PDCI avec seulement 77 sièges réalise le plus mauvais score de son histoire, en retrait d’une vingtaine de sièges par rapport aux législatives de 2000. Si la direction du PDCI (officiellement du moins) ne bronche pas, la base grogne.

Les candidats PDCI n’ont pas apprécié de voir débarquer dans leurs circonscriptions des candidats RDR. Et la campagne a quelques fois été tendue entre les deux « alliés ».

Après le 11 décembre, plusieurs candidats PDCI ont contesté la victoire de leur allié du RDR, évoquant intimidations et tricheries. Et certains vont même aller devant le Conseil constitutionnel. Ambiance délétère entre alliés…

Pour éviter de succomber au « baiser mortel » d’un RDR hégémonique, qui n’a pas besoin de lui à l’Assemblée, le PDCI devra s’affirmer, élever la voix. Le premier test sera le choix du Premier ministre. Ouattara l’avait promis au PDCI en échange de son soutien, décisif, au second tour de la présidentielle de novembre 2010.

Mais une fois à la présidence, Ouattara a gardé Guillaume Soro pour gérer la délicate période de transition jusqu’aux législatives. Et maintenant ? Le PDCI peut réclamer son dû au chef de l’Etat. Mais qui, au sein du PDCI, sera candidat à la Primature pour mener à bien la réforme de l’armée, avec un Soro en embuscade ?

En tout cas, le parti fondé par Félix Houphouët-Boigny sait qu’il est indispensable au président Ouattara. En lui apportant sur un plateau l’électorat baoulé, il a hissé le candidat Ouattara jusqu’à la présidence. Pour conserver ce soutien, le nouveau pouvoir devra panser les blessures des législatives et choyer son «allié». Car on ne gouverne jamais bien en étant trop seul.

Adrien Hart

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Adrien Hart est journaliste, spécialiste de l'Afrique.

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