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Manifestation à Alger le 7 mars 2011. AFP/FAROUK BATICHE
Manifestation à Alger le 7 mars 2011. AFP/FAROUK BATICHE

Le Brigadier anti-émeute, homme de l'année 2011

L'Algérie n'a pas eu de printemps, contrairement à son voisin tunisien. L'homme de l'année en Algérie porte une matraque!

Pour le célèbre magazine Time, l'homme de l'année 2011 est «Le Manifestant». Qu'il soit le révolutionnaire arabe, le jeune de Occupy Wall Street, le Russe en colère ou l'Indigné de Hessel. D'où l'exercice de style: qui est l'homme de l'année 2011 en Algérie? Des pistes s'offrent et s'épuisent. D'abord le Manifestant. Sauf qu'en Algérie, singularité de la région, il n'y a pas eu de grandes manifestations pro-démocratie. Le manifestant a tenté d'exister puis a été réduit en plusieurs manifestants avant d'être réduit à l'émeutier puis à rien du tout. L'immolé? Oui, mais c'est une figure tunisienne et une tragédie banalisée algérienne. Il y a eu des immolés en Algérie mais sans suite. Ils n'ont pas changé l'histoire. Le chroniqueur a expliqué un jour qu'il s'agit de mauvaise synchronisation: Bouazizi aurait brûlé vainement à l'époque de Bourguiba. Pour que l'immolation ait un sens, il lui faut un Ben Ali.

Chez nous, le «Bourguibisme» est ambiant, avec ses soucis de santé et ses rumeurs. Donc, l'immolé n'est pas l'homme de l'année. Que reste-t-il? Le réformateur. Là aussi c'est un ratage: il n'y a pas eu des réformes en Algérie. Malgré ce que dit l'ENTV( la télévision publique algérienne). Juste des ruses, des amendements, des lois et des codes. Sans réformes vraies, le Réformateur est une figure abstraite. Il n'y a pas eu ni de Mandela ni de Churchill en Algérie. Le régime n'a pas réformé mais a pris des précautions. Donc, passons.

Le chômeur, sans repère et sans avenir, homme de l'année en Algérie?

Que reste-t-il ? Le Harrag (brûleur de frontière): déjà lauréat du prix l'année passée. L'émeutier? Déjà sélection l'année d'avant. Le mot «Dégage»? Oui, mais ce n'est qu'un mot quand il n'est pas crié.

Il y a aussi la figure du candidat à l'ANSEJ( Agence national de soutien à l'emploi de jeunes). Le demandeur est en effet presque l'homme de l'année: il a été là depuis janvier et jusqu'à hier. Il incarne le jeune qui ne sait pas quoi faire de sa jeunesse, le sang inutile qui tourne, la conséquence indésirable de l'Indépendance. Il est aussi l'incarnation de l'infanticide, la preuve qu'il y a eu échec et le modèle offert aux générations futures: ne rien faire puis faire n'importe quoi avec n'importe quel argent. Il est l'argent gratuit des économies de rente, le corrompu inconscient du régime, le mouton de la farce, la force vive transformée en alimentation générale. Il est tout ce qui a été trouvé comme solution à quelques mois du cinquantenaire de l'indépendance. Reste que le demandeur ANSEJ est un produit contrefait: on le voit partout mais ce n'est qu'un personnage secondaire de la vie nationale.
Qui est donc l'homme de l'année s'il n'est pas un ministre, un Premier ministre, un patron d'entreprise, un journal, un barbu, une voilée, un opposant devenu président, un parlementaire qui a un pantalon. Qui est-il donc?

L'homme de l'année est...un homme portant une matraque..qui suis-je?

Le choix est arbitraire et subjectif mais le chroniqueur le revendique: l'homme de l'année est le brigadier anti-émeute. Sans être larbin pro-police, pro-régime, il s'agit de dire que c'est le seul métier politique bien fait en Algérie depuis janvier 2011 et même avant. Le seul salaire politique qui se justifie et dont l'augmentation a un sens, bon ou mauvais. Un brigadier anti-émeutier avait dernièrement précisé au quotidien algérien El Watan que les brigades ont opéré 2777 opérations ces cinq derniers mois. Le titre de l'article de notre consoeur d'El Watan était clair: une intervention toutes les deux heures depuis janvier. Vu à partir d'une position neutre, on aura compris que l'anti-émeutier fait tout en Algérie: il fait le travail que ne fait pas le président, le travail que ne font pas les ministres, il bosse à la place des élus qui sont faux, des médiateurs, des élites et des partis et des Think tank.

Brigadier, président!

En Algérie, l'Etat peut être dessiné par un enfant de deux ans: c'est une matraque et des mots avec un drapeau. Le seul acte concret c'est la matraque qui s'abat. Le reste c'est les chiffres de la relance. Hormis le pipeline, la matraque de l'anti-émeutier est le seul mouvement que l'on peut voir du ciel, le seul effort musculaire vérifiable, le seul salaire, en politique, qui provoque de la sueur.

L'anti-émeutier, brigadier, est donc l'homme de l'année: il a bien travaillé cette année et a bien prouvé que l'Etat n'existe pas. Il a travaillé mieux que tous. Mieux que quiconque. Il est partout où l'Etat qui n'existe pas aurait dû être : lors des crises de logements, demandes de démocratie, matchs de foot, emplois, immolations, routes coupées, inaugurations, etc. Saluons donc. Question: pourquoi l'anti-émeutier et pas l'émeutier? Parce que l'émeutier manque de constance et ne fait pas de politique alors que le Brigadier fait la politique, toute la politique, la seule qui se pratique en réalité.

Kamel Daoud (Le quotidien d'Oran)

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Kamel Daoud

Kamel Daoud est chroniqueur au Quotidien d’Oran, reporter, écrivain, auteur du recueil de nouvelles Le minotaure 504 (éditions Nadine Wespieser).

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