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Hamadi Jebali, le Premier ministre tunisien à l'assemblée nationale, le 8 décembre 2011. AFP/ FETHI BELAID
Hamadi Jebali, le Premier ministre tunisien à l'assemblée nationale, le 8 décembre 2011. AFP/ FETHI BELAID

Hamadi Jebali, le nouveau Calife?

Le Premier ministre est devenu l'homme le plus puissant de Tunisie. Mais parviendra-t-il à résister aux exigences de Ghanouchi, le dirigeant d'Ennahda?

Mise à jour du 18 décembre : Dans un entretien au Journal du Dimanche, le président de Tunisie Moncef Marzouki a déploré que les Français, «prisonniers d'une doxa au sujet de l'islam», sont «souvent ceux qui comprennent le moins le monde arabe». L'ancien opposant de gauche et défenseur des droits de l'homme, longtemps exilé en France, estime que «les craintes à l'égard d'Ennadha sont absurdes».

***

Ce n’est faire insulte à personne que d’affirmer que Hamadi Jebali est désormais l’homme qui dispose de plus de pouvoirs en Tunisie. En effet, le Secrétaire général du parti Ennahda, qui vient d’être désigné Premier ministre par le président Moncef Marzouki, n’aura pas pour seul prérogative de former le nouveau gouvernement tunisien. Bien au contraire, cet homme de 62 ans qui a passé quinze années dans les geôles de Ben Ali pour «appartenance à une organisation illégale et complot» sera l’homme clé de la nouvelle phase de transition politique que connaît la Tunisie depuis le 14 janvier 2011.

Celui que l’on présente souvent comme un «islamiste modéré» sera le vrai patron du pouvoir exécutif. Il pourra nommer des ministres, les révoquer et même créer ou dissoudre des ministères. Plus important encore, il pourra édicter des décrets et nommer les juges de la Cour suprême. Et cette concentration de pouvoirs inquiète d’ores et déjà l’opposition démocratique qui n’hésite pas à qualifier Jebali de «Calife», ce qui pris au sens originel du terme, signifie un successeur du Prophète. En clair, un homme tout puissant à l’image de ce que furent les Califes de La Mecque, Medine, Bagdad ou Damas.

Une accusation qui fait aussi allusion au fait, qu’emporté par son enthousiasme après la victoire électorale d’Ennahdha, le nouveau Premier ministre tunisien a annoncé à ses compatriotes «l’avènement proche du sixième califat».

Une sortie qu’il ne cesse depuis de relativiser sans vraiment avoir réussi à effacer l’effet contreproductif d’un tel propos. De fait, comment convaincre qu’Ennahdha est une formation moderniste comparable à l’AKP turc et faire référence à un terme que l’on retrouve dans tous les discours salafistes? Mais ce faux pas ne doit pas faire oublier la montée en puissance du Chef de gouvernement tunisien.

Calife contre président?

Comme l’explique un observateur attentif de la scène politique tunisienne,

«Jebali risque fort d’être la grande surprise de cette transition. Tous les regards sont tournés vers Marzouki ou Ghanouchi, or Jebali a désormais toutes les cartes en main pour bâtir son système de pouvoir».

Et de prédire dans la foulée que le chef du gouvernement tunisien va devoir faire preuve de beaucoup de doigté pour ne pas entrer trop vite en confrontation avec Moncef Marzouki mais aussi avec Rached Ghanouchi, qui campe désormais dans le rôle de guide d’Ennahdha en attendant, peut-être, d’être celui de la Tunisie… Concernant le président Marzouki, qui n’en finit pas de recevoir son lot d’insultes et de critiques quotidiennes pour avoir «pactisé» avec les islamistes, Hamadi Jebali est d’ores et déjà en position de force. En effet, il n’est tenu que par un «devoir d’informer» le locataire du Palais de Carthage. Un devoir qui lui laisse toute latitude pour décider et prendre des initiatives quitte, ensuite, à subir les inévitables colères de Marzouki.

«Dans un premier temps, le bras de fer va être implicite. Ni l’un ni l’autre n’auront intérêt à se disputer devant les Tunisiens. Mais, tôt ou tard, Jebali sera obligé de faire comprendre à Marzouki qu’il est le vrai patron de l’exécutif», pronostique avec inquiétude un sympathisant du Congrès pour la République (CPR), la formation politique de Moncef Marzouki.

Ce sympathisant croit même deviner quel sera le casus belli qui pourrait mettre le feu aux poudres.

«Hamadi Jebali a le pouvoir de nommer et de révoquer des hauts fonctionnaires. Il peut aussi créer, réformer ou supprimer des institutions étatiques. C’est là où la bagarre va se dérouler. Marzouki sait que s’il veut rester crédible, il faudra qu’il empêche une ‘islamisation’ de la haute administration tunisienne».

Déjà, des militants d’Ennahdha réclament un «nettoyage» de la Banque centrale tunisienne au prétexte que nombre de ses cadres auraient servi l’ancien régime. Une perspective qui inquiète au plus haut point les milieux d’affaires tunisiens.

Calife contre Guide spirituel?

Hamadi Jebali devra donc aussi composer avec un Rached Ghanouchi qui, officiellement, ne brigue aucune charge officielle mais que de nombreux Tunisiens soupçonnent de vouloir devenir l’équivalent d’un «Guide suprême» d’une future république islamo-conservatrice pour ne pas dire islamique tout court. Officiellement, les deux hommes s’entendent très bien. L’exil de l’un, l’emprisonnement de l’autre, la clandestinité, les multiples vexations infligées par les sbires de Ben Ali à leurs familles respectives, les rapprochent certainement.

Durant la campagne électorale, ils ont même fonctionné à la manière d’un duo où chacun compenserait les dérapages et erreurs sémantiques (ou tactiques) de l’autre. Que Jebali laisse entendre que le peuple, au final, aura la possibilité de décider s’il faut ou non conserver le Code du statut personnel (lequel défend nombre de droits dont bénéficient les Tunisiennes), et c’est Ghanouchi qui déclare aussitôt que le CSP (Code du statut personnel) est figé dans le marbre. Plus que des désaccords, il s’agit donc d’une répartition des rôles comme lorsque Ghanouchi déclare à Washington que le

«Printemps arabe déracinera les Etats du Golfe avec ses rois, ses cheikhs et ses émirs» et que Jebali se dépêche d’affirmer que la Tunisie veut avoir de «très bonnes relations avec l’Arabie Saoudite».

Il reste donc à savoir jusqu’à quand ce pas-de-deux va durer. Déjà, Hamadi Jebali est confronté à un premier dilemme. Pour le poste de ministre des Affaires étrangères, c’est le nom de Rafiq Ben Abdeslam qui est le plus souvent avancé. Or, cet homme, qui a travaillé pour Al Jazeera (ce qui renforce les accusations d’une mainmise du Qatar sur Ennahdha…) est le gendre de Ghanouchi.

De quoi offrir une belle occasion à l’opposition qui crie au népotisme et relève que Ben Ali avait attendu quelques années avant de commencer à placer les siens aux plus hauts postes. Du coup, cette nomination apparaît, à tort ou à raison, comme l’expression de la faiblesse de la position de Jebali face aux exigences de Ghanouchi. De quoi, peut-être, l’encourager à signifier tôt ou tard au vénérable cheikh que le rôle de guide reste symbolique fut-il d’ordre religieux voire politique.

Akram Belkaïd

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Akram Belkaïd

Akram Belkaïd, journaliste indépendant, travaille avec Le Quotidien d'Oran, Afrique Magazine, Géo et Le Monde Diplomatique. Prépare un ouvrage sur le pétrole de l'Alberta (Carnets Nord). Dernier livre paru, Etre arabe aujourd'hui (Ed Carnets Nord), 2011.

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