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Alassane Ouattara et son épouse votent le 11 décembre 2011. REUTERS/Thierry Gouegnon /
Alassane Ouattara et son épouse votent le 11 décembre 2011. REUTERS/Thierry Gouegnon /

Les Ivoiriens se méfient plus que jamais des politiciens

Un an après la crise post-électorale qui a mené le pays à la guerre, les Ivoiriens rêvent d’une vraie reprise économique – mais se montrent plus méfiants vis-à-vis de la politique.

Mise à jour du 16 décembre: Le parti du président ivoirien Alassane Ouattara a obtenu la majorité des sièges aux législatives du 11 décembre, boycottées par le camp de l'ancien chef d'Etat Laurent Gbagbo après la crise meurtrière de 2010-2011, a annoncé le 16 décembre la commission électorale.

Le Rassemblement des républicains (RDR) de M. Ouattara a obtenu 127 des 254 sièges à pourvoir dimanche, a indiqué sur la télévision publique le président de la Commission électorale indépendante (CEI), Youssouf Bakayoko, après une attente de quatre jours.

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Le 4 décembre 2010, la Côte d’Ivoire se retrouvait avec deux présidents, deux gouvernements et un imbroglio post-électoral qui a viré au drame. La crise, qui s’est achevée avec l’arrestation de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011, a fait au moins 3.000 morts, des milliers de déplacés et des cohortes de chômeurs.

Comme au moins 80% des électeurs, Marcelin, patron d’une petite agence d’architecture à Abidjan, n’a pas voté lors des législatives du 11 décembre.

Boycott des législatives

Explication:

«Ces élections, je n’en ai rien à faire, parce que les députés n’ont rien fait jusqu’à présent. Dans la zone résidentielle où j’habite, Zone 4 à Abidjan, ils n’ont fait que vendre à des Libanais les terrains qui se trouvent en bord de mer…»

Le boycott des élections par le Front populaire ivoirien (FPI) n’émeut guère Marcelin, qui a voté pour Ouattara en 2010, pour sortir le pays de ce qu’il considérait comme la mauvaise gestion du régime Gbagbo. Le transfèrement de Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, à la veille du scrutin, l’a également laissé de marbre.

«Il ne faut pas se leurrer, explique ce chef d’entreprise. Les deux camps sont certes responsables des 3.000 morts qu’a fait la crise post-électorale, mais le FPI en est le premier responsable…»

L’architecte, qui avait licencié tout son personnel en février 2011, n’a repris que la moitié de ses effectifs. L’activité n’a pas vraiment redémarré pour lui. Comme bien d’autres opérateurs économiques, il s’inquiète des rumeurs qui circulent sur une éventuelle dévaluation du franc CFA, mais garde bon espoir pour une vraie reprise d’ici février ou mars.

Le fort taux d’abstention aux législatives fait débat, mais semble aux yeux de certains observateurs relever d’une fatigue générale.

«Les Ivoiriens en ont marre de la politique, ils veulent juste revivre, recommencer à sortir dans les maquis», note Bouna Medoune Seye, un photographe sénégalais en résidence à Abidjan.

Le départ de Laurent Gbagbo pour La Haye n’a guère fait de remous dans la capitale, qui a pourtant majoritairement voté pour lui lors de la présidentielle de 2010.

«Les partisans de Laurent Gbagbo ont peut-être manifesté lors de son départ, mais dans leur coeur et en silence, sans faire de grands mouvements physiques en ville, note André Kamaté, président de la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (Lidho). Peut-être parce qu’ils sont découragés et savent que ce n’est pas la peine. Tant qu’il était sur le territoire, il y avait encore un espoir pour eux d’obtenir sa libération. Mais maintenant qu’il est à La Haye…»

Certaine méfiance à l’égard du politique

Ce militant des droits de l’homme, très actif pendant la crise, estime que la forte abstention observée lors des législatives s’explique par plusieurs facteurs.

«La pauvreté a beaucoup joué, rappelle-t-il. Les Ivoiriens se sont massivement déplacés dans leurs régions pour voter lors de la présidentielle, mais ils n’ont plus les moyens de se payer les transports. Les entreprises ont licencié, des familles se retrouvent avec des personnes déplacées à gérer chez elles…»

Il évoque aussi une certaine méfiance à l’égard du politique, l’élection présidentielle de 2010, censée ramener le pays à la paix, l’a en fait ramené à la guerre. Méfiance d’autant plus vive que

«les députés n’ont jamais été très proches des populations locales en Côte d’Ivoire, où le président peut gouverner à coups d’ordonnances, sans tenir compte de l’Assemblée nationale.»

De fait, les législatives n’ont jamais fortement mobilisé en Côte d’Ivoire. Les taux de participation à ces élections ont oscillé entre 25% et 45% entre 1990 et 2000 —le plus élevé, 45%, ayant été observé en 1996.

Du coup, le boycott des élections par le FPI ne semble pas primordial pour expliquer l’abstention —quoi qu’en disent les partisans de Laurent Gbagbo. «Ce faible taux de participation constitue un désaveu cinglant pour M. Ouattara, affirmait dès le 11 décembre au soir Alain Toussaint, conseiller de Laurent Gbagbo. En boudant massivement les urnes, les Ivoiriens ont voulu sanctionner son régime impopulaire.»

L’inertie de la Commission dialogue, vérité et reconciliation

Alors que certains s’inquiètent de l’inertie de la Commission dialogue, vérité et reconciliation (CDVR), d’autres espèrent encore que le pays se trouve sur la voie de la réconciliation. Tout, pour l’instant, indique le contraire: le climat politique reste crispé, les exilés du camp Gbagbo ne rentrent pas, les responsables de l’opposition ont vu leurs avoirs gelés, et l’économie n’a pas repris à plein régime. Les Jeunes patriotes se sont évanouis dans la nature, et des jeunes du FPI comme Justin Koua ont pris le relais.

Seul point positif qui fasse pour l’instant l’unanimité: un retour progressif à la sécurité dans les rues d’Abidjan. Selon André Kamaté, de la Lidho (Ligue ivoirienne des droits de l’homme), pas moins de 2.000 faux membres des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) se trouvent à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca). Des jeunes qui n’ont pas hésité à revêtir des treillis pour se prétendre de l’armée favorable à Alassane Ouattara, pour mieux racketter les passants.

«Il y a encore du racket à Abidjan, mais les policiers ne sont plus tous les jours comme avant à chaque coin de rue pour arrêter les véhicules à tout-va, note un opérateur économique. Ils ne font des contrôles surprise qu’une journée par semaine

Un médecin bété non politisé, mais considéré comme proche de Gbagbo en raison de son origine ethnique, a vu sa maison pillée en avril, au moment de l’arrivée des FRCI à Abidjan. Cet homme, qui a perdu un neveu pendant la crise, un jeune victime d’une exécution sommaire à Grand Bassam, affirme avoir ensuite été protégé dans son quartier par des policiers pro-Ouattara.

«Il y avait parmi eux certains de mes anciens étudiants», témoigne-t-il.

S’il se réjouit du retour au calme, ce médecin ne cesse de revivre en pensées les évènements de l’année écoulée. Les plaies restent à vif, pour lui comme pour les centaines d’Ivoiriens qui ont perdu un parent ou un proche pendant la crise.

Sabine Cessou

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Sabine Cessou

Sabine Cessou est une journaliste indépendante, grand reporter pour L'Autre Afrique (1997-98), correspondante de Libération à Johannesburg (1998-2003) puis reporter Afrique au service étranger de Libération (2010-11).

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