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Afrique du sud: la fée électricité se fait désirer
Les Sud-Africains ont profité de la 17e conférence sur le climat à Durban pour revoir la politique énergétique du pays.
Mise à jour du 11 décembre 2011: Une feuille de route pour un accord pour tous les pays de la planète en 2015 a été adopté à l'issue de la conférence sur le climat de Durban en Afrique du Sud. La feuille de route est censée aboutir à un accord pour tous les pays de la planète en 2015 sur la réduction des gaz à effet de serre. L'objectif est que cet accord, dont la nature juridique devra encore être précisée, entre en vigueur à l'horizon 2020.
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En plein coeur de Soweto, le plus grand township sud-africain aux portes de Johannesburg, plusieurs dizaines de milliers de personnes vivent sous des baraques en zinc et en plastique. De frêles fils électriques se promènent d’une habitation à l’autre. Les câbles passent par les fenêtres, par les toits, entre deux planches de bois.
«Nous sommes à Kliptown, nous guide Selo M’afrika. C’est ici même que nos leaders ont signé la Charte de la Liberté.»
Une douce ironie. La Charte de la Liberté, signée en 1955 par les membres de l’ANC (African National Congress, parti désormais au pouvoir), a servi de base pour établir la constitution sud-africaine au lendemain de l’apartheid. Au milieu du bidonville, un monument érigé en souvenir de cette charte, rappelle que «tous les Sud-Africains ont le droit aux services de base», tels que l’eau courante, l’électricité, et un toit au-dessus de leur tête.
Une égalité de façade
Mais Kliptown a été classé comme zone non-habitable par la municipalité, car elle est inondable. La compagnie nationale d’électricité Eskom n’a donc pas connecté les habitations.
«Ils nous disent qu’il faut partir, poursuit Selo. Mais pour aller où? Ca fait 17 ans qu’on nous dit la même chose, et pendant ce temps-là, de plus en plus de gens arrivent des campagnes et des pays voisins.»
En attendant d’être relogés, les résidents de Kliptown ont donc adopté le système-D. Et Selo s’est transformé en «militant de l’électricité». Avec son T-shirt à la gloire du «martyr» Kadhafi, le jeune homme raconte son engagement:
«On a relié des fils à ces bornes électriques de l’autre côté de la voie ferrée. Normalement, elles alimentent les magasins alentours. Mais on fait passer des câbles dans les égoûts et ils arrivent directement dans les maisons. Je ne me considère pas comme un criminel, l’électricité n’est pas un privilège, c’est le droit de tout citoyen.»
Selo parle franchement, aux yeux de tous, et pourtant, il risque la prison.
«On a prévenu les responsables des magasins que s’ils se plaignaient trop, on ne viendrait plus acheter chez eux. Ils ont besoin de nous autant que l’on a besoin d’eux.»
Même la police ne vient plus dans le quartier pour arracher les connexions.
«Ils ont peur», paraît-il. Peut-être aussi qu’ils ont abandonné.
L'ANC déçoit ses électeurs
Les connexions illégales sont chose courante dans les bidonvilles sud-africains. Mais pas seulement. Même dans les maisons de la classe moyenne des townships, rares sont ceux qui payent encore. Pourtant, ils sont connectés. En moyenne 300.000 nouveaux foyers sont reliés à l’électricité chaque année. Pendant le régime d’apartheid, 80% des foyers noirs n’avaient pas de courant. En 17 ans, le chiffre est tombé à 30%.
Mais pour produire plus d’énergie, atteindre de plus en plus de maisons dans les villes comme dans les campagnes, il faut investir plus d’argent. Les factures ne cessent d’augmenter (25% chaque année de 2010 à 2013), et la petite classe moyenne se retrouve incapable de les payer.
Camarade Dudu, 58 ans, vit dans une maison modeste à Pimville, un autre quartier de Soweto, avec ses deux enfants et ses petits-enfants. Pendant l’apartheid, elle s’est battue aux côtés de l’ANC. Aujourd’hui, elle se bat contre l’ANC, son gouvernement, en participant au groupe de crise de l’électricité de Soweto (Soweto Electricity Crisis).
«Ils ont peur à chaque fois qu’ils me voient arriver aux meetings!», s’amuse-t-elle.
Avec son groupe, elle encourageait la communauté à boycotter les factures, à débrancher les câbles Eskom et à se reconnecter illégalement.
«Je me retrouvais avec des factures mensuelles de 1.000 rands (100 euros). Comme si j’avais une usine ou une piscine comme chez les riches!»
Institutrice, elle ne gagne que 5.000 rands par mois (500 euros). A l’entrée du township, la route porte encore les cicatrices des violentes manifestations du mois de juillet. A l’appel du Soweto Electricity Crisis, trois cents habitants ont dressé des barricades en feu et ont incendié les maisons de deux conseillers locaux. Un acte criminel qui a valu la dissolution du groupe. Mais le combat continue. Dudu confie avec amertume:
«Je pense que les Sud-africains ont été trahis par le gouvernement de l’ANC. Ils nous ont promis l’eau, le logement, l’électricité et l’éducation, et tout ça, gratuitement. C’était leurs promesses de campagne en 1994.»
Des promesses irréalistes, faciles à brandir lorsque l’ANC était un mouvement de liberation. Maintenant que le Congrès est au pouvoir, la réalité les a rattrapé: d’ici à 2030, le pays devra doubler sa production énergétique (de 40 à 90 gigawatts) pour assurer sa croissance, essentiellement basée sur l’extraction minière et l’agriculture, deux secteurs gourmands en énergie, mais aussi pour distribuer l’électricité à ses 50 millions d’habitants.
Un projet de grande envergure
Des centaines de milliards d’euros devront être investis pour construire de nouvelles centrales à charbon, hydrauliques, mais aussi installer six nouveaux réacteurs nucléaires et un nouveau dispositif d’énergies solaires et éoliens.
Devant l’ampleur du phénomène et la forte hausse des connexions illégales, Eskom a mis en place une campagne de sensibilisation: l’opération Khanyisa (illuminer en langue zouloue). Maboe Maphaka, responsable de l’opération, raconte:
«Nous avons déployé des acteurs de terrain dans les communautés à risque. Ils expliquent aux gens que l’électricité ne peut pas être gratuite, comment elle est acheminée, mais aussi leurs droits.»
En effet, même si l’électricité n’est pas entièrement gratuite, les quartiers les plus défavorisés peuvent utiliser quelques kilowatts gratuitement tous les mois. Pas suffisamment, selon Dudu et son groupe. Et le représentant de poursuivre calmement:
«Si nous arrachons les câbles illégaux, le lendemain, ils sont à nouveau rebranchés. C’est un combat qui prendra des années. Il faut changer les mentalités et expliquer que voler de l’électricité, c’est un crime.»
Pendant l’apartheid, l’ANC avait lancé déjà une autre opération Khanyisa… contre le gouvernement blanc de l’époque. Le mouvement de libération encourageait alors les habitants des townships à boycotter les factures pour protester contre les mauvaises conditions de vie et le manque de services. Une habitude que les townships ont conservée. Un «crime» désormais pour Eskom.
La compagnie nationale perd environ 1,2 milliards de rands (102 millions d’euros) chaque année avec ces connexions illégales. Et avec l’augmentation de l’électricité prévue en 2012 et 2013, de 25% chaque année, le phénomène va sans aucun doute s’amplifier.
L’Afrique du Sud est face à un dilemne que connaissent la plupart des pays en développement, accentué par les plus fortes inégalités au monde: il faut produire une énergie digne des pays développés pour encourager les investisseurs, mais la population, encore très pauvre, ne peut en assumer le coût.
Il y aurait cependant des solutions, car finalement, l’électricité résidentielle représente à peine 15% de la consommation dans le pays. Les industries, minières pour la grande majorité, achètent quasiment la moitié de la production nationale, à des prix très bas, depuis les accords signés avec le gouvernement d’apartheid (55 cts/ kW contre 80 cts/kW en moyenne pour les foyers individuels).
Un ancien privilège que le lobby des mines n’est pas prêt à sacrifier. Le groupe des utilisateurs intensifs d’énergie (Energy Intensive User Group) a prévenu le gouvernement Zuma qu’il n’accepterait aucune hausse des tarifs. En totalisant à eux-seuls 43% des achats d’énergie dans le pays, ils auront sans doute plus de poids dans les négociations sur la nouvelle politique énergétique que la Camarade Dudu et ses voisins de Soweto.
Sophie Bouillon
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