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L'équipe de football du Cameroun le 11 mai 1994 (Bell est le gardien de but).
L'équipe de football du Cameroun le 11 mai 1994 (Bell est le gardien de but).

Le Lion indomptable ouvre encore sa gueule

Joseph-Antoine Bell, ancien gardien de buts de l'équipe de foot du Cameroun, revient sur des épisodes controversés de sa carrière.

Mise à jour du 13 août 2012: SlateAfrique tient à rendre un vibrant hommage à l'auteur de cet article. Stéphane Tchakam est décédé le 13 août, à Douala, au Cameroun, dès suites de maladie. Il était jusqu'à sa mort, directeur de la rédaction du célèbre quotidien camerounais Le Jour.

***

Il a encore pris son monde à contre-pied. On pensait que Joseph-Antoine Bell s’était essayé à l’autobiographie. Mais Vu de ma cage (éditions Schabel), le livre qu’il vient de publier aux éditions Schabel et dont tout le monde parle en ce moment au Cameroun, revient simplement sur des épisodes de sa carrière qui l’ont mis non pas seulement sur le banc de touche, mais aussi au ban d’une certaine opinion publique.

Pour l’auteur de Vu de ma cage, préfacé par Gaston Kelman, le besoin d’écrire est né du désir de rétablir des vérités:

«Je savais que ce que les gens savaient ou racontaient était parcellaire et, quelques fois, dirigé. Je peux prendre un très bon exemple de fait public. Quand vous prenez la Coupe du monde de 1990, ce que les gens savent et ce qui a été dit publiquement était quelque chose qui avait un large parti pris.»

Parti évoluer à l’étranger au début des années 80, Joseph-Antoine Bell rejoint les rangs des Lions indomptables pour diverses compétitions internationales. De longues années durant, il évolue dans l’ombre de Thomas Nkono, autre légende du football camerounais. Nkono est le gardien attitré de la sélection et sa domination est incontestée. A la satisfaction du public camerounais.

Seulement, dès 1984, «Jojo», comme on l’appelle, est de plus en plus en forme et en confiance et occupe les buts dès le troisième match du Cameroun à la Coupe d’Afrique des nations en Côte d’ivoire. Le Cameroun gagne alors son premier trophée continental. Jojo a définitivement gagné ses galons.

Seulement, l’environnement des Lions indomptables est assez particulier. Avec des dirigeants qui, manifestement, n’ont pas l’intention de rendre aux joueurs ce que le football rapporte. Dérisoires au début des années 80, les primes diverses deviennent très vite le ballon de la discorde. Les joueurs en veulent plus et Bell, doué de vraies capacités de leader, devient le porte-parole de ses coéquipiers.

Haine contre un paria

Le verbe haut, il porte les revendications sur la place publique. Mieux encore, le bonhomme ne se gêne pas pour critiquer vertement l’encadrement de la sélection et la gestion du football au pays de Roger Milla. Pourtant, les Lions indomptables gagnent. Bell devient la grande gueule et est traité comme tel. Carton rouge!

«Les victoires en sport, explique-t-il aujourd’hui, ne suffisent pas pour juger. Nous avons pris des raccourcis depuis le début. Nous avons toujours voulu juger avec les résultats et même là, nous n’avons pas été honnêtes. Parce que quand il n’y a pas eu de résultats, nous avons refusé de juger. Avec ce manichéisme, quand il y avait des résultats, on disait que c’était bon et quand il n’y en avait pas, on trouvait des excuses.»

Rien ne l’arrête. Le bonhomme est hors-jeu pour ceux qui voyaient simplement les footballeurs comme des gladiateurs du dimanche après-midi. Le «joue et tais-toi», ce n’est pas pour lui. Les représailles arrivent très vite. Les médias d’Etat, les seuls à l’époque, ou plutôt certains journalistes, ne le ménagent pas. Au sein même de l’équipe nationale, ce paysan du Danube accumule les frustrations et n’est pas toujours aligné, alors même, qu’à une époque, il est en pole position et que son rival, Nkono, est en baisse de forme. C’est ce qui arrive à la Coupe du monde de 1990 en Italie. Bell y a encore fait des siennes.  

«Nous revendiquions, je revendiquais pour les joueurs, le produit de leur travail et la contrepartie de ce qu’ils faisaient. Et ça me semblait logique.» 

Le 8 juin 1990, le Cameroun doit ouvrir la compétition face au champion sortant, l’Argentine. Pas de doute, Bell sera dans les buts. Pas du tout.  

«La lâcheté me frappe en plusieurs points: je ne suis pas dans les buts et pire encore, aucun de mes partenaires n’a bronché. Je reste impassible et silencieux; après la causerie, Nepomniachi [le sélectionneur russe de l’époque] m’invite à le retrouver dans sa chambre. En présence de son traducteur Gallus, il m’explique qu’il n’est pas l’auteur de cette décision. Pendant une grande partie de la nuit, il a subi la pression des dirigeants qui insistaient pour qu’il m’enlève des buts. Il s’est refusé à modifier son équipe mais a dû céder lorsqu’on lui a affirmé qu’il s’agissait d’une question de haute politique intérieure camerounaise à laquelle lui, l’étranger, ne devait pas se mêler», ecrit Joseph-Antoine Bell dans son ouvrage.

Ça se complique même après la compétition. Certains journalistes annoncent la radiation du récalcitrant, certains évoquent une déchéance de sa nationalité, le ministre des Sports de l’époque, feu Joseph Fofe, essaye de l’empêcher de revenir au Cameroun avec ses camarades. D’autres envisagent carrément de le faire arrêter. De la haine, estime le paria. Pourtant, Bell est décoré en même temps que les autres par le président Paul Biya. Incorrigible, Joseph Antoine Bell remet le couvert quatre ans plus tard pendant la Coupe du monde de football, aux Etats-Unis, qui sera catastrophique pour les fauves camerounais. Pour lui, la cause est entendue, sa réputation, faite.

C’est définitivement une voix discordante et même dissidente dans le concert de vivats et de youyous des aficionados du football camerounais. Des fans qui se recrutent d’abord au sein même du régime de Yaoundé que l’on soupçonne, à juste titre, d’exploiter les succès des Lions indomptables à des fins politiques. Bell est sans doute, crient ceux-là, un opposant, pour parler comme au Cameroun. Un opposant sur les terrains de foot. C’est ce qu’on lui dira lorsqu’il soutiendra, au milieu des années 80, qu’aucun club camerounais ne pourrait gagner de coupe africaine de clubs dans les dix années à venir.  

«Pour tous, j’étais un élément inclassable, gênant et dangereux. Dans leur entendement, mes propos sur le football ne pouvaient relever que d’une opposition à la politique du Renouveau du président Biya, voire plus grave, d’une absence de patriotisme», réagit aujourd'hui l'ancien footballeur.

Trente après, les clubs camerounais, qui ne jouissent certainement pas de la même bienveillance des pouvoirs publics, courent toujours après un titre continental.

Bernard Tapie

Le contexte des ennuis faits au gardien de buts y est sans doute pour quelque chose. Le début des années 90 est marqué au Cameroun, comme dans d’autres pays africains, par une difficile démocratisation. Jusque là en effet, il n’y avait qu’une seule vérité et aucune tête ne devait dépasser. Surtout pas celle d’un footballeur. Du jamais vu. En France aussi, où Joseph-Antoine Bell évolue à partir de mai 1985. En provenance d’Egypte, Bell, premier gardien noir en championnat de France, débarque à l’Olympique de Marseille. Bernard Tapie aussi bientôt. Les deux tempéraments se frottent très vite l’un à l’autre. Bell n’approuve pas toutes les méthodes marketing de l’homme d’affaires. Passes d’armes et joutes oratoires ne manquent pas. Pour Bell, Tapie est «le grand manipulateur».

 Dans son livre, on peut par exemple lire qu’après des réflexions assez limites du patron de l’OM à l’égard des footballeurs de couleur, un incident avec Tapie intervient:

«Il me dit qu’il a un combat à mener avec moi: foutre Jean-Marie Le Pen dehors. C’était le temps où le Front national faisait parler de lui lors des différentes consultations électorales et Tapie, aux aguets de la moindre opportunité, avait décidé de tirer partie de cette situation.

Son idée était simple: il allait m’utiliser pour son combat anti-Le Pen et tirer profit de ma situation de sportif de race noire, de surcroît célèbre et apprécié. Je commençai à me faire une idée du personnage qu’était Bernard Tapie. J’avais trouvé incohérent qu’ils souhaite m’associer à son combat contre le Front national après avoir fait de sombres remarques sur les Africains.»

Là aussi, Bell ne marche pas et quitte bientôt la Canebière pour Toulon, puis pour Bordeaux, où il sera le capitaine, et enfin pour Saint-Étienne. Bell gagne en envergure et figure parmi les grands noms de la diaspora africaine et noire dans l’Hexagone. Mais assurément, c’est en France qu’il aura la considération qu’on lui refuse avec acharnement chez lui. Honni par les uns. Adulé par les autres.

Aujourd’hui, Vu de ma cage donne quelques pistes pour mieux comprendre la personnalité de cette forte tête. Né au sein d’une famille où faire des études étaient la règle pour tous, le jeune Bell se retrouve en prison à l’âge de 17 ans. Une détention préventive qui dure tout de même un an et demie. A l’époque déjà, la prison de New Bell, à Douala, la capitale économique du Cameroun, est réputée pour les conditions de vie exécrables des détenus, surtout mineurs. Pourtant, Bell tiendra et en sortira innocenté. Pour retourner à l’école alors même que le milieu carcéral, dans ce pays plus qu’ailleurs, a vocation à casser tous ceux qui flirtent avec lui. Ce qui lui fait dire que décidément, «personne n’a jamais songé que c’était la preuve d’une force de caractère au-dessus de la normale».

Ce à quoi l’on n’a pas fait attention, c’est que Bell est ce qu’il appelle lui-même «un enfant de l’indépendance» du Cameroun survenue en 1960. Même né à l’intérieur du pays en 1954, l’ancien lion indomptable a grandi à Nkongmondo, un quartier chaud de Douala qui, dans les années 50 et 60, abritait une bonne colonie de nationalistes dont les idées ont assurément effleuré les oreilles du gamin de l’époque. Les nationalistes de l’Union des populations du Cameroun (Upc) étaient partisans d’une indépendance qui remettrait radicalement leur destin aux Camerounais. Les choses ne se passeront pas tout à fait ainsi puisque d’autres, les moins résolus, se retrouveront aux affaires. Ce que Jojo appelle «le péché originel». Joseph-Antoine Bell n’a-t-il pas, en réalité, été très tôt politisé avec toutes les conséquences que l’on sait?  

«Je ne sais pas si c’est être politisé. J’ai simplement, très tôt, été conscient.» 

Stéphane Tchakam

 

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