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Laurent Gbagbo, lors de sa déclaration de candidature à l'élection présidentielle, Abidjan, octobre 2010. REUTERS/Luc Gnago
Laurent Gbagbo, lors de sa déclaration de candidature à l'élection présidentielle, Abidjan, octobre 2010. REUTERS/Luc Gnago

Gbagbo, l'homme qui divise l'Afrique

Un an après le début de la crise post-électorale en Côte d'Ivoire, le sort de l'ancien président Laurent Gbagbo, inculpé par la Cour Pénale Internationale, déchaîne toujours les passions des lecteurs de SlateAfrique.

Laurent Gbagbo, l’ancien président de la Côte d’Ivoire, comparaît le 5 décembre 2011 devant la Cour Pénale Internationale (CPI) pour «crime contre l’humanité commis lors des violences post-électorales de 2010-2011».

Un an après le début de la crise ivoirienne déclenchée par le refus de Laurent Gbagbo de reconnaître sa défaite au second tour de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010, le débat sur le sort l’ex-président fait toujours rage. Les nombreux commentaires des lecteurs de SlateAfrique qui se répondent entre eux dans de longues tirades, montrent à quel point le chemin de la réconciliation est encore long et ardu, a fortiori entre les Ivoiriens.

Un débat violent et récurrent

Qu’ils soutiennent Laurent Gbagbo ou son opposant, Alassane Ouattara, les internautes réagissent souvent de façon virulente, rivalisant de substantifs pour nommer leur ennemi respectif. Pomintena2010 pense que Ouattara est un «sanguinaire» qui «est inscrit désormais avec les lettres de sang dans l’Histoire de l’Afrique du XXIème».  Plus encore, c’est un «voleur, un tricheur, un président fantoche», pour Florence 10.

A l'inverse, Gbagbo apparait aussi à plusieurs reprises comme un défenseur de la démocratie: «Je suis désolé pour vous, répond Tygre à un autre internaute, c'est grâce à Laurent Gbagbo que l’on a aujourd'hui la démocratie véritable en Côte d'Ivoire (…) et que le multipartisme véritable est née ici». Quant aux défenseurs de la légitimité du nouveau président Ouattara, ils dénoncent ceux qui font l’éloge du «Saint Gbagbo» que Béhibro, appelle «l'homme de sang, l'homme abject».

Soif de justice

Chacun dénonce les «crimes du camp d’en face» et reproche à l’autre de le «diaboliser» (Gabonais). Mais ils sont assez nombreux à vouloir en finir avec l’impunité de ceux, les uns ou les autres, qui ont commis des crimes en Côte d’Ivoire. Certains, comme Frange, ont salué l’inculpation du président déchu par la Cour Pénale Internationale:

«Il est important d’en finir avec l'impunité dans mon pays. C'est pour cela que l'implication de la CPI s'avère nécessaire, car elle au moins a le mérite d'être impartiale. Il faut en finir. C'est important et je crois en la CPI, car Alassane Ouattara n'aura d'autre choix que de livrer ceux qui, dans son camp, se seraient rendus coupables de crimes contre l'humanité».

Akeem76, comme d’autres, insiste sur la nécessité d’éviter une justice partielle ou dite «des vaincus».

«Si la CPI tient aujourd’hui Laurent Gbagbo pour responsable de crimes commis par l’armée ou des miliciens lorsqu’il était encore aux affaires, que peut-il en être d’Alassane Ouattara? Les FRCI, Forces républicaines de Côte d’Ivoire pro-Ouattara, ont été créées par décret présidentiel le 17 mars 2011. Quelques jours plus tard —selon le CICR, Amnesty International et Human Rights Watch— des membres de ces mêmes FRCI se sont livrés à des massacres de grande ampleur dans la ville de Duékoué, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire»

Pour Taioulong, la fin de l’impunité est la condition sine qua non de la réconciliation:

«Ouattara et [son Premier ministre] Soro doivent répondre de leurs crimes et payer pour cela avant toute évocation de réconciliation. Pas de réconciliation possible sans règlement des factures.»

Contre l’ingérence de l’Occident

Mais l’action de la Cour Pénale Internationale n’est pas du goût de tout le monde, notamment pour les adeptes de la théorie du complot des pays occidentaux:

«La CPI apparaît de plus en plus comme une entreprise néo-coloniale pour les plus faibles, au profit des auto-proclamés maîtres du monde», écrit Ivoire.

Certains relayent le sentiment d’une institution seulement faite pour juger les dirigeants africains, à l’image de Margeriiiti :

«Je constate surtout que Georges W Bush et son équipe de menteurs, ainsi que Blair sont toujours libres, sans aucune inculpation, pourtant ils sont responsables directement de plusieurs millions de morts en Afghanistan et en Irak. Tant qu'ils ne seront pas inculpés par le TPI, on saura que le TPI un outil des puissants fait pour les pauvres»

La France, dont la force Licorne soutenue par l'Opération des Nations Unies en Côte d'Ivoire (Onuci) a participé à l'arrestation de Gbagbo le 11 avril dernier, est la première cible de ces critiques du néocolonialisme. Selon Wu Afrika, par exemple, 

«les Ivoiriens sont tombés dans les filets de cet ogre dont une des spécialités est l'usage de la puissante stratégie de Machiavel (=diviser pour mieux régner). Ils ne veulent pas lâcher le morceau».

S'affranchir de l’anti-colonialisme

Pour L’Africain, «L'homme Africain doit se décharger du complexe français»:

«Après la lecture des différents commentaires, je suis déçu du complexe que bon nombre de lecteurs ont vis à vis de la France et de l'homme blanc. C'est la France et l'occident qui seraient à l'origine de tous nos maux, disent certains. La liberté, la vraie, celle que nous ont appris nos pères, nos mères d'Afrique, se mérite par le travail, l'abnégation et le respect mutuel. Mettons fin au discours anti-colonial à n'en point finir et privilégions la saine formation et l'avenir des jeunes d'Afrique.»

Andrew apporte enfin une note pondérée au débat. Il appelle les Ivoiriens à aller de l’avant, tout en gardant un oeil vigilant sur les nouveaux responsables politiques qui les dirigent, pour bâtir la nouvelle Côte d’Ivoire:

«Le message de réconciliation commence par accepter et respecter que d'autres Ivoiriens l'adulent [Gbagbo]. (...) Regardez vers l'avenir c'est exiger déjà la plus grande transparence des nouvelles autorités. (…) À toujours regarder dans le rétroviseur un Gbagbo humilié, on n'oublie que ceux au pouvoir aujourd'hui sont des hommes et gardons-nous de voir en eux des répliques de vertu absolue.Vigilance.»

Les clivages sont bel et bien là, et persistent. La réconciliation prendra du temps.

Fanny Roux

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Fanny Roux

Journaliste à Slate Afrique

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