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Walking beach boy along the Cotonou Benin coast 2006, by nlnnet via Flickr CC
Walking beach boy along the Cotonou Benin coast 2006, by nlnnet via Flickr CC

Vidomégons, les enfants-esclaves du Bénin

La tradition béninoise de placer des enfants dans des familles d’accueil pour leur donner une meilleure éducation s’est transformée en esclavage moderne.

Le Bénin traîne la triste réputation du phénomène de ce qu’on appelle les «vidomégons» en langue Fon ou communément «les enfants placés» en français. Une sorte de préceptorat dans les temps anciens, mais qui s’est transformé au fil du temps en un véritable esclavage moderne.

Jadis, il était de coutume que les familles nanties prennent en charge des enfants de leurs parents afin de s’occuper de leur donner une bonne éducation et une formation pour la vie socioprofessionnelle.

Beaucoup d’éminents cadres du pays doivent quelque part leur réussite dans la vie à ce genre de tutorat, sans lequel ils n’auraient certainement pas pu faire des études et parvenir à des positions sociales enviables.

Ce qui était un devoir avec des obligations de résultat est malheureusement devenu un fonds de commerce pour beaucoup, aussi bien pour les professionnels du «placement des enfants» ou encore les trafiquants que pour ceux qui les utilisent à des fins diverses.

«Autrefois, les enfants qui étaient placés dans une famille d’accueil, que ce soit chez des proches parents ou non, étaient traités au même pied d’égalité que les enfants de la famille d’accueil.

Ce qui n’a rien à voir avec ce que nous vivons aujourd’hui avec la maltraitance des “vidomégons” et autres dérives attentatoires aux droits des enfants», déclare Catherine Mondja, sociologue de son état.

Le phénomène des «vidomégons» a commencé à défrayer la chronique avec son corollaire de maltraitance, en particulier au niveau des commerçantes du marché international de Dantokpa à Cotonou.

Ce dernier est, de toute évidence, le plus grand demandeur de main-d’œuvre enfantine. Et les commerçantes qui emploient ces enfants non seulement pour vendre leurs produits mais aussi pour les travaux domestiques n’hésitaient pas à leur faire faire des travaux pénibles. Voire leur faire subir des sévices corporels au point de les blesser gravement quand ils venaient à commettre la moindre erreur.

Des petits forçats vendus à l'étranger

Pire que ceux qui travaillent sur les marchés de Cotonou ou ailleurs dans les maisons des fonctionnaires des grands centres urbains du pays, il y avait ceux qui étaient aussi transportés par vagues successives et vendus dans des pays voisins, notamment le Nigeria. Un trafic lucratif pour les «placeurs d’enfants» ou les trafiquants qui les vendaient carrément contre espèces sonnantes et trébuchantes. Ou qui louaient leur main-d’œuvre moyennant le versement d’une somme d’argent par mois.

Des pays comme la Guinée équatoriale, le Cameroun, le Gabon, le Congo, la Côte d’Ivoire étaient des destinations de prédilection pour ces trafiquants d’enfants. On se souvient encore du fameux navire Etireno dans lequel une cargaison d’enfants béninois avait été arraisonnée, pour ainsi dire, alors qu’il était en partance vers ces eaux.

Dans ces pays, les «vidomégons» étaient employés dans les travaux domestiques et le petit commerce. Mais, au Nigeria, ils étaient plutôt traités comme de vrais forçats, obligés de casser des pierres dans des carrières pour avoir la pitance quotidienne. Il aura fallu la coopération entre les polices béninoise et nigériane pour parvenir à démanteler ces réseaux et ramener des centaines d’enfants au Bénin. Non sans l’implication et le soutien de l’Unicef à Cotonou dans la lutte contre ce phénomène.

«J’ai été interpellé à Natitingou par des agents de police qui avaient été alertés par un dénommé Burkinabé chez qui nous étions partis avec mes deux nièces pour laver notre voiture.

Il m’a fallu l’intervention du directeur départemental de la police nationale qui a été contacté par des amis pour être libéré —après que j’ai prouvé que les deux petites filles étaient effectivement mes nièces», confie Ahmed Saka, ancien élu local dans le département de l'Atacora.

Une législation plus protectrice

Les dispositions de la loi en matière pénale et civile sur les «conditions de déplacement des mineurs» [PDF], tant à l'intérieur que vers l'extérieur du territoire de la République du Bénin, et l'entrée d'enfants de nationalité étrangère en République du Bénin dispose par exemple, aux termes de l'article 7, qu'«aucun enfant ne peut être déplacé à l'intérieur du pays séparé de ses parents biologiques ou de la personne ayant autorité sur lui sans une autorisation spéciale délivrée par l'autorité administrative compétente du lieu de sa résidence sauf décision judiciaire ou les cas spécialement recommandés par les services sociaux et les services sanitaires».

Manifestement, le durcissement de la législation sur les déplacements des enfants et les nombreuses campagnes de sensibilisation sur les droits des enfants semblent porter petit à petit leurs fruits. Et l’on enregistre de moins en moins de cas de trafics d’enfants.

Toutefois, il reste que les pesanteurs sociologiques ont la vie tellement dure qu’il est sinon impossible, du moins difficile de lutter contre le placement des enfants à des fins domestiques, comme le relève Ahmed Saka:

«Le problème du placement des enfants réside fondamentalement en ce que certains parents pauvres se laissent appâter par des marchands d’illusion qui leur font miroiter des lendemains meilleurs pour leur arracher leurs enfants et les confier à des familles tierces moyennant rétribution.

Et les familles d’accueil ne sont pas toujours à la hauteur des attentes des parents, d’autant que c’est généralement des enfants en âge d’être scolarisés qui malheureusement en sont ainsi privés.»

Dans les familles des grandes villes du Bénin où les couples travaillent, le besoin d’une main-d’œuvre pour s’occuper des enfants ou du ménage est de nos jours une nécessité. Et les citadins vont dans les campagnes pour la trouver. Avec quelques billets de banque et quelques cadeaux, le tour est joué par les entremetteurs. Les parents ne s’aperçoivent de la supercherie que bien des années plus tard. Mais le mal est déjà fait aux enfants.

Marcus Boni Teiga

Marcus Boni Teiga

Ancien directeur de l'hebdomadaire Le Bénin Aujourd'hui, Marcus Boni Teiga a été grand reporter à La Gazette du Golfe à Cotonou et travaille actuellement en freelance. Il a publié de nombreux ouvrages. Il est co-auteur du blog Echos du Bénin sur Slate Afrique.

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