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Les manifestants se sont rassemblé place de la République. PV
Les manifestants se sont rassemblé place de la République. PV

À Paris, la diaspora gabonaise évacue sa colère et sa peur

Les manifestants se sont retrouvés place de la République jeudi 31 août pour protester contre la réélection frauduleuse d'Ali Bongo et la répression qu'il mène dans le pays.

Debout sur le mur en pierre qui entoure l’entrée de la station de métro République, un jeune Gabonais fait flotter sur ses épaules le drapeau national, vert, jaune et bleu. Autour de lui, un petit groupe s’agglutine pour écouter les orateurs du soir. Il n’est pas encore 17h30, mais une cinquantaine de manifestants est déjà là. Beaucoup ont choisi de s’habiller en jaune ou avec des motifs panthère, symbole de l'équipe nationale de football. Au milieu de la foule, plusieurs «acteurs culturels gabonais» comme ils se nomment eux-mêmes, lancent des slogans: «Ali Bongo, dégage!», «Ali Bongo dictateur!». Les membres de la diaspora française au Gabon se sont donnés rendez-vous sur la place de la République pour dénoncer la réélection du président au pouvoir depuis 2009, qu’ils estiment frauduleuse. De toute la France, les Gabonais sont venus soutenir leurs idées, leur vote. Se soutenir eux-mêmes surtout.

Un orateur au micro place de la République. PV

La chaleur de la fin de journée accable les manifestants, au moins autant que la colère, plus ou moins contenue. «Les Gabonais sont sortis de manière pacifique, explique Keii, étudiante, en référence aux événements qui ont suivi l’annonce des résultats. Mais nous n’avons jamais été confrontés à une telle violence dans notre Histoire, c’est un coup d’état électoral.» Selon elle, la sanction que le peuple a infligé à Ali Bongo (perdant dans toute la diaspora et dans sept provinces sur neuf au Gabon) doit être respectée. «Depuis sept ans, il y a eu une recrudescence des crimes rituels», dénonce la jeune femme. Aujourd’hui, il y a une fracture sociale, mais on essaie d’apaiser les tensions. Les Gabonais sont tous frères.»

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«La France doit prendre ses responsabilités»

Loin du Gabon, on s’accroche aux informations qui parviennent jusqu’en France. Les médias présents sont assaillis, tout le monde veut être devant la caméra pour témoigner. On parle des morts là-bas: officiellement, deux personnes sont décédées dans l’assaut du QG de Jean Ping jeudi dans la nuit, mais tous sont certains que le bilan s’élève à au moins cinquante morts. «Depuis hier, je ne fais que pleurer», crie une femme avant de s’effondrer, rattrapée par les bras de deux autres manifestants. Il est à peine dix-huit heures et la foule, de plus en plus nombreuse, se dirige vers l’est de la place, près de la rue du Temple. C’est le mouvement Nuit Debout, présent à République depuis bientôt six mois, qui les encourage à venir profiter de leurs installations de sonorisation. «Nous avons vu qu’ils étaient près de la sortie de métro, c’était dangereux, alors nous leur prêtons l’emplacement, explique Nicolas, un des organisateurs du mouvement. Lorsque c’est une cause comme celle-là, on les accueille volontiers», ajoute-t-il en souriant.

Des manifestants préparent des banderoles «non à la fraude», «libérez-nous», «dégage Ali». PV

La manifestation est devenu une immense ronde autour de ceux qui veulent prendre le mégaphone. François Hollande et son ministre des Affaires Etrangères Jean-Marc Ayrault sont régulièrement interpellés. «Il faut que la France prenne ses responsabilités», lance l’orateur. Les Etats-Unis aussi: «J’en appelle à Obama: tu es où ?» Un petit rire parcourt l’assemblée. «Ce n’est pas une affaire de présidentielle, reprend-il. Nous parlons de nos familles qui sont en train de mourir. Le Gabon est en guerre, il faut le dire.»

«Ne pas tomber dans le tribalisme»

Entre chaque prise de parole gronde le rugissement collectif des Panthères, ou bien c’est La Concorde, l’hymne national gabonais, qui résonne. Pourtant, on craint que la concorde nationale soit fragilisée par les manœuvres d’Ali Bongo au pays. «Certains Gabonais sont dans une spirale où ils se mettent à éprouver une haine pour le Haut-Ogooué, regrette Farel, étudiant à Saint-Denis. Il ne faudrait pas qu'on tombe dans le tribalisme.» Dans la journée du 31 août, la province du Haut-Ogooué avait affiché un score de 95% pour Ali Bongo, assorti d’un taux absurde de 99,9% de participation. «C’est un score soviétique, s’exclame Wendy. Moi, je suis Altogovéenne de père et de mère, et je ne peux pas concevoir que toute la population du Haut-Ogooué a voté pour Bongo.»

Wendy, au mégaphone, s'adresse aux manifestants. PV

Au passage, la militante ne se prive pas de rappeler qu’Ali ne serait pas le fils naturel d’Omar Bongo, mais qu’il aurait été adopté. «Le Gabon est un pays riche, avec un peuple pauvre, soupire-t-elle. Il faut savoir ce que l'on veut: du champagne pour quelques-uns, ou de l'eau pour tout le monde.» Mais même si le pays s’embrase et qu’un jeune homme du Haut-Ogooué aurait déjà été lynché à Port-Gentil, Wendy «n’a pas peur», elle dénonce seulement un comportement «irresponsable» de la part d’Ali Bongo. Et considère que les recours que propose la France et la communauté internationale sont impossibles. «L’Assemblée est aux couleurs du pouvoir, le Palais de Justice aussi, explique-t-elle. Négocier devant les tribunaux, ça ne marchera pas.»

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L’orateur au T-shirt jaune exhorte son public à s’asseoir. Mais devant l’absence de réaction, il se réjouit : «Eh bien, si vous voulez rester debout, on reste debout! C’est ça la démocratie», s’amuse-t-il, en rebondissant sur l’occasion pour narguer Ali Bongo. Une femme âgée lui succède à la tribune. Son mari journaliste est décédé dans les années 1980, sous le régime d’Omar Bongo. Dans l’ombre de la statue de la République, elle profite des lieux pour rappeler qu’ici, il y a un an et demi, un million de personnes s’étaient rassemblés pour marcher avec Charlie Hebdo. «Aujourd’hui, j’aimerais que le monde entier marche avec le Gabon», lance-t-elle à la foule qui l’applaudit. C’est notre 1789, notre Commune de Paris. C’est notre Libération à nous!», continue la pasionaria gabonaise.

L’assemblée est galvanisée. Elle bouge, danse, remue constamment, lève le bras pour chanter la Concorde. En somme, elle fait tout pour se rassurer, pour se dire que les choses vont changer et qu’ils vont finir par bouter Bongo hors du Gabon. Même si la perspective de voir Jean Ping, ancien ministre et proche d’Omar Bongo, au pouvoir n’est pas beaucoup plus réjouissante. «Beaucoup de gens ici crient Ping président, mais ils n’ont pas lu son programme, explique une jeune Gabonaise. Moi, je l’ai lu, et il est complètement irréaliste. C'est vraiment dommage qu'on en soit réduits à ça.»

Paul Verdeau

Journaliste à Slate Afrique. 

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