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La présentatrice Khadija Khattab de Channel 2, dans le viseur du réseau de la télévision égyptienne. Capture d'écran YouTube
La présentatrice Khadija Khattab de Channel 2, dans le viseur du réseau de la télévision égyptienne. Capture d'écran YouTube

Les présentatrices égyptiennes jugées trop grosses pour travailler

Le réseau national de télévision a suspendu huit présentatrices, à cause de leur surpoids. Inadmissible pour les associations féministes.

Un mois de vacances, tous frais payés, c'est ce que le réseau de télévision égyptien a offert à huit de ses présentatrices. À condition toutefois qu'elles occupent bien leur temps, qu'elles fassent du sport et qu'elles reviennent avec une apparence «appropriée». Car, comme le révèle le site Al-Yawm Al-Sabi repris par la BBC, leur employeur a pris la décision ahurissante de les suspendre à cause... de leur surpoids.

La nouvelle n'a pas manqué de faire réagir, à commencer par les présentatrices elles-mêmes, comme Khadija Khattab, sur Channel 2, qui a proposé aux téléspectateurs de juger eux-mêmes d'après ses dernières apparitions, si elle était «grosse» au point de devoir quitter son poste. Selon le New York Times, la présentatrice a précisé qu'elle n'avait pas reçu directement d'ordre dans ce sens, mais qu'on lui avait précisé que «des mesures seraient prises» contre celles qui n'auront pas suffisamment perdu de poids d'ici la mi-septembre. «Je pense que je suis une femme égyptienne ordinaire, normale, qui ne se maquille pas trop», a-t-elle expliqué.

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Dans les médias, le débat est lancé. Certains défendent la mesure en expliquant que le surpoids des «bakabouzas», terme péjoratif pour évoquer ces présentatrices, serait à l'origine des mauvais scores d'audience de la télévision nationale. «Leur apparence est dégoûtante et repoussante», a déclaré Alaa el-Sadani, du journal Al-Ahram, rejointe par sa collègue Fatma Al-Sharawi, qui souhaiterait que la mesure soit étendue à la télévision locale.

«Nous jugeons les personnes sur leur apparence plutôt que sur leurs performances»

À l'inverse, les associations de défense des droits des femmes dénoncent un "fat shaming" (discrimination des personnes grosses) qui «viole la constitution» et représente une forme de violence contre les femmes, comme l'écrit le centre d'orientation et de sensibilisation des femmes sur Facebook, repris par la BBC. «Le problème, c'est que nous jugeons les personnes sur leur apparence plus que sur leurs performances et leur contenu, regrette Eman Beibers, présidente de l'Association pour le développement et l'émancipation des femmes, dans une interview à Gulf News reprise par The Independent. Tant que le présentateur n'utilise pas de mots violents à l'antenne et sait comment recevoir ses invités, peu importe qu'il soit gros ou mince.»

La décision paraît d'autant plus absurde que la présidente du réseau, Safaa Hegazy, est elle-même une ancienne présentatrice de télévision. «Le fait que ce soit une femme qui soit à l'origine de tout ça le rend encore pire», regrette Mostafa Shawky, militant de l'Association pour la liberté de la presse et d'expression. «Ça n'a rien à voir avec l'apparence, mais ça montre qu'ils ne se soucient pas vraiment de leur compétence, explique-t-il au New York Times. Ils ne comprennent pas que si les gens ne les regardent pas, c'est parce qu'ils n'ont ni crédibilité, ni qualité.» Un argument repris par d'autres journalistes et politiciens, comme Sayyid Hegazy, qui se pose la question de savoir quel devrait être «poids idéal» de la femme égyptienne. La discrimination des personnes selon leur poids est un problème récurrent dans le pays et touche profondément le secteur de la culture, comme l'expliquait Egyptian Streets en 2015.

Paul Verdeau

Journaliste à Slate Afrique. 

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