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Le marathonien Abebe Bikila dépasse le Marocain Radi et file vers une première médaille d'or africaine. EPU / AFP
Le marathonien Abebe Bikila dépasse le Marocain Radi et file vers une première médaille d'or africaine. EPU / AFP

Le jour où un Éthiopien a marché sur Rome et renversé le cours de l'histoire

Le 10 septembre 1960, Abebe Bakili devenait le héros d'un pays en décrochant sur le marathon la première médaille d'or d'une nation africaine aux Jeux olympiques.

En ce mois de septembre 1960, tous les regards mènent à Rome. La Ville Éternelle accueille les Jeux olympiques, diffusés pour la première fois en direct à la télévision. Cinquante-deux ans après qu’un caprice de la nature, une éruption du Vésuve, les avait empêché d’organiser financièrement l’événement, les Romains prennent leur revanche en voyant les choses en grand. La RAI diffuse 106 heures de direct dans toute l’Europe, les temps sont relevés par plus de 80 membres de la Fédération de chronométrage. Et le clou du spectacle, c'est bien sûr le marathon.

Le parcours des quarante-deux kilomètres de la course serpente autour des monuments emblématiques de la capitale italienne: du Capitole au Colisée, en passant par le Cirque Maxime et les Thermes de Caracalla. Même la mise en scène est parfaite: la course a lieu en fin d’après-midi, et la Via Appia sur laquelle vont courir les athlètes est éclairée tous les vingt-cinq mètres par des soldats armés de flambeaux jusqu'à leur arrivée à la nuit tombante, au pied de l'arc de Constantin. Ce soir-là, les vedettes s'appellent Sergueï Popov (URSS), Osvaldo Suarez (Argentine) ou encore Abdeslam Radi (Maroc). Pourtant, c'est un autre qui va briller sur le marathon: Bikila, un jeune Éthiopien au dossard numéro 11, qui va rentrer dans la légende.

Le Marocain Abdeslam Radi (argent), l'Éthiopien Abebe Bikila (or) et le Néo-Zélandais Barry Magee (bronze), le podium du marathon des JO 1960. Wikimedia Commons

Un outsider aux pieds nus

Né un jour de marathon de Los Angeles en 1932, Abebe Bikila avait son destin tout tracé. Mais c'est dans l'armée qu'il s'inscrit, alors que son pays se reconstruit après s'être affranchi de l'impérialisme italien. Originaire d'un petit village perdu dans les contreforts de la montagne éthiopienne, il intègre la garde rapprochée de l'empereur Haïlé Sélassié à seulement 20 ans. Passionné par l'athlétisme, le jeune homme court d'abord seul, avec l'espoir d'imiter un jour les coureurs qu'il voit s'entraîner pour les Jeux de Melbourne en 1956. La même année, il se lance en participant aux Championnats nationaux des forces armées... qu'il gagne contre tout attente, face à la star éthiopienne Wami Biratu.

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Pour ses premiers Jeux, Bikila est un outsider complet, puisqu'il ne doit sa sélection qu'à la blessure de Biratu, à quelques heures du départ pour Rome. Mais son entraîneur suédois Onni Niskanen croit en lui plus que quiconque, malgré des temps plutôt moyens pour l'époque lors de ses premiers essais sur le marathon (2h 39 minutes). Avant de commencer l'épreuve, le jeune Éthiopien essaie plusieurs paires de chaussures Adidas, sponsor des JO, mais aucune ne le satisfait: il courra pied nus.

Le triomphe sous l'arc de Mussolini

Très vite, le jeune Éthiopien se greffe à un peloton composé de Radi, du Belge Aurèle Van Den Driessche et de l'Américain John Kelley. Le speaker est abasourdi au moment d'annoncer les noms des athlètes qui dominent la course. Le symbole est fort, surtout lorsque Bikila passe tout près de l'obélisque d'Aksoum, dérobé à l'Éthiopie par Mussolini en 1937. «C'est un moment de drame théâtral, tellement unique dans l'athlétisme moderne, lorsqu'un inconnu d'un pays insignifiant traverse les mers et renverse les héros», écrit le rédacteur en chef du magazine World Sports de l'association olympique britannique, cité par The Guardian. Bikila choisit ce moment, à deux kilomètres de l'arrivée, pour amorcer une attaque décisive et distancer Radi, le seul qui pouvait encore lutter pour l'or.

Sous l'Arc de Constantin, où passaient les troupes de Mussolini, Abebe Bikila franchit la ligne d'arrivée en bouclant le marathon en 2h 15 minutes et 16 secondes, faisant ainsi tomber d'une seconde le record de Popov. Pour la première fois aux Jeux olympiques, un athlète d'Afrique noire remporte une médaille d'or, quelques jours après l'argent décroché en boxe par le Ghanéen Clement Quartey. Ce n'est qu'une course mais l'Éthiopie exulte, l'Italie se réjouit de pouvoir d'une certaine manière effacer une des dernières traces de son passé fasciste. De retour au pays, Bikila sera reçu personnellement par le Négus... avant d'être victime d'une tentative de putsch dans laquelle il sera détenu mais survivra. En 1964 à Tokyo, l'infatigable marathonien conservera son titre, avec un nouveau record à 2h 12 minutes.

Bikila lors de sa victoire au marathon des JO de Tokyo en 1964. Universal Studios

Ironie tragique: en 1969, Abebe Bikila perd l'usage de ses jambes après un grave accident de voiture. Il se reconvertit pour le sport à la course en fauteuil et au tir à l'arc, avant de s'éteindre en 1973 à l'âge de 41 ans. Mais sa double victoire permettra de faire éclore de nombreux talents de l'athlétisme, notamment en Afrique de l'Est. Dès les Jeux de 1968, le Kenya décrochera neuf médailles, dont sept en course de fond et une sur 800m. En revanche, l'Éthiopie ne retrouvera les sommets qu'en 1980. C'est un autre coureur de fond, Miruts Yifter, médaillé d'or sur 5.000 et sur 10.000m, qui se chargera de perpétuer la légende.

Paul Verdeau

Journaliste à Slate Afrique. 

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