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Le président kényan Uhuru Kenyatta lors d'un événement interreligieux en avril 2016. TONY KARUMBA / AFP
Le président kényan Uhuru Kenyatta lors d'un événement interreligieux en avril 2016. TONY KARUMBA / AFP

Le gouvernement kényan s'attaque au «syndrome du sauveur blanc»

Le président Uhuru Kenyatta a publié une circulaire pour forcer les ONG à engager des travailleurs locaux plutôt que des expatriés.

C'est ce qui s'appelle ne pas être dans le bon timing. La star américaine Madonna était au Kenya début juillet dans le cadre d'un voyage humanitaire. Elle s'est notamment rendue dans le bidonville de Kibera, l'un des plus vastes d'Afrique. «Elle a été sur place pour voir comment elle pourrait améliorer la vie de ses habitants», a dit à Reuters un membre du staff de la reine de la pop. 

Une initiative – bien mise en valeur par la chanteuse sur son compte Instagram – qui a irrité les habitants du Kenya. 

 

Striking a Pose in Kibera!  Rebel Hearts 

Une photo publiée par Madonna (@madonna) le

Grosse maladresse

Surtout quand Madonna a commencé à confondre un égout à ciel ouvert avec une source d'eau. 

«Imaginez que c'est d'ici que vient votre eau», a t-elle écrit dans une autre photo de son voyage publiée sur Instagram. Dans ce post, elle cite – et critique indirectement – la Shofco, une ONG locale qui fournit de l'eau potable aux habitants de Kibera. Une belle gaffe.

«Le premier endroit que ces occidentaux qui souffrent du syndrome du sauveur blanc visitent, c’est un bidonville, soupire un internaute, qui a commenté le post de Madonna sur Instagram. Le Kenya n’a pas besoin de votre aide si la seule chose que vous voyez ici c’est la crasse.»

«Imaginez que c'est de là que vient votre eau! SHOFCO travaille pour changer ça à Kibera, le plus grand bidonville d'Afrique.»

Le «syndrome du sauveur blanc» – dont on a largement parlé ici – est devenu un problème d’ordre national au Kenya, qui est devenu l’un des principaux pôles de l’humanitaire en Afrique. Selon la BBC, environ 240.000 personnes travaillent pour des ONG dans le pays, dont 12.000 Occidentaux expatriés. Des Occidentaux dont l’omniprésence et le traitement de faveur sont montrés du doigt par le gouvernement du président Uhuru Kenyatta, rapporte le site d'information Quartz.

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«Vous ne pouvez pas me dire que dans tout le pays, nous n’avons pas un seul Kényan qui pourrait prendre la place d’un expatrié, dénonce Fazul Mahamed, directeur du bureau des ONG. Nous avons des Kényans diplômés, il faut leur donner la priorité.» Il accuse également les ONG d’accorder aux Occidentaux des salaires astronomiques (jusqu'à 20.000 euros), parfois quatre fois supérieurs à ceux des locaux. «Les expatriés ont aussi droit à une allocation de logement, et les études de leurs enfants sont prises en charge», note Fazul Mahamed, cité par The Standard, un grand journal de Nairobi.

«Kenyatta s'est fait élire sur un programme anti-étrangers»

Le gouvernement a donc décidé de faire passer une nouvelle circulaire pour réglementer l’humanitaire au Kenya. Les étrangers ne pourront désormais bénéficier d’un permis de travail que pour former des Kényans, ou si aucun travailleur local n’est disponible. Dans le même esprit, chaque ONG devra engager un nombre paritaire de locaux et d’étrangers. Les ONG se défendent d’exercer une telle inégalité de salaires, mais force est de constater que le niveau de vie n’est clairement pas le même. Le Kenya souffre d’un fort taux de pauvreté (42%) et de chômage (20%), alors que de nombreux expatriés qui travaillent dans l'humanitaire vivent dans de luxueuses villas.

«Priorité au Kenya. Kudos (bravo) Mr Uhuru. Cela aurait dû être fait depuis des années. Aucune ONG ne devrait employer des étrangers quand les Kényans peuvent faire le travail.»

Pour autant, les locaux ne semblent pas hostiles, surtout lorsque les Blancs viennent en aide au développement régional. «Si vous allez voir les communautés mal desservies et peu aidées par le gouvernement et les services sociaux, il y a une bonne appréciation des ONG», note Jennifer Brass, professeure de l'Indiana University, à Quartz. Selon la chercheuse, il faut voir plus loin dans cette hostilité du gouvernement kényan et de son président Uhuru Kenyatta envers les ONG. «En 2013, Kenyatta s'est fait élire sur un programme largement anti-étrangers, et notamment vis-à-vis de la Cour pénale internationale», explique Jennifer Brass dans un billet de The Conversation. La CPI enquêtait sur les violences post-électorales de 2008 et sur l'implication de Kenyatta et de son vice-président William Ruto. Jennifer Brass craint donc qu'il s'agisse «d'un sentiment anti-étranger de la part de Kenyatta plus que de la population kényane».

Paul Verdeau

Journaliste à Slate Afrique. 

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