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Un groupe de personnes à Kibumba, en RDC, le 10 octobre 2008 - WALTER ASTRADA / AFP
Un groupe de personnes à Kibumba, en RDC, le 10 octobre 2008 - WALTER ASTRADA / AFP

RDC: le défi de l’allaitement maternel

L’allaitement maternel exclusif pendant les six premiers mois du bébé peine à se généraliser en République démocratique du Congo. En cause: des conditions de travail qui favorisent le recours au lait artificiel.

Brigitte* a accouché de son premier enfant il y a deux ans à Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC).

«J’avais entendu parler de l’allaitement maternel exclusif, mais à l’hôpital on ne m’a pas dit qu’il fallait seulement donner à l’enfant le lait maternel pendant six mois», confie cette assistante de direction de 34 ans. «A la maternité, les quinze premiers jours, les sages-femmes disent aux mamans: "Pas question de biberon! Il faut allaiter l’enfant!". Mais on ne m’a pas dit non plus qu’il fallait allaiter pendant six mois. Et comme en plus on ne m’a jamais donné d’explication sur pourquoi c’est bon de le faire, j’ai aussi donné le biberon», poursuit-elle en haussant les épaules.

L’allaitement est répandu en RDC où plus de 90% des femmes donnent le sein à leur enfant au moins une fois dans leur vie. Mais le pays peine à généraliser l’allaitement maternel exclusif (AME), promu par le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (Unicef) comme le meilleur moyen de nourrir un bébé de sa naissance à ses six mois, mais aussi de réduire de 20% la mortalité néo-natale. Car de par «sa valeur nutritionnelle élevée, son innocuité en matière de germes, sa richesse en anticorps, le lait maternel protège l’enfant contre les maladies infectieuses et lui assure une bonne croissance», rappelle l’Enquête démographique et de santé (EDS) de 2007 réalisée en RDC.

Il y a dix ans, 24% des Congolaises pratiquaient l’AME, selon l’Enquête à indicateurs multiples (MICS) de 2001. Depuis quelques années, le pourcentage tourne autour de 37% — proche de la tendance internationale qui se situe à moins de 40% — et, comme par le passé, ce taux d’AME est plus ou moins tiré vers le haut par les zones rurales des onze provinces du pays.  

«Je pense que le souci des femmes de garder une certaine ligne et de préserver leur physique est beaucoup plus marqué en milieu urbain qu’en milieu rural, commente Siméon Nanama, responsable en RDC du projet nutrition à l’Unicef. L’idée reçue est que quand on allaite, les seins changent, les seins tombent…»

«Obligée d’être aussi efficace qu’un homme»

Surtout, la durée du congé de maternité se révèle plus courte que celle recommandée pour l’AME. L’article 130 du code du travail de 2002 prévoit 14 semaines de congé consécutives rémunérées au moins au deux-tiers du salaire de base, «dont huit semaines maximum postérieures à la délivrance». Restent donc quatre mois. Or, «beaucoup de femmes sont employées et ont beaucoup moins de flexibilité dans l’organisation de leur temps pour l’allaitement. Pour elles, les lieux de travail ne sont pas du tout organisés de sorte à motiver et à encourager l’allaitement», ajoute le nutritionniste burkinabè basé à Kinshasa.

«Quand tu es une femme qui travaille, tu es obligée de montrer que tu es efficace, aussi efficace qu’un homme, explique Agnès*, 32 ans, mère d’un garçon de trois ans et d’une fille de cinq mois. Donc tu ne peux pas toujours dire: "Voilà, je dois allaiter l’enfant, je ne peux pas aller en voyage professionnel parce que j’allaite…" » La journaliste reporter d’images ajoute: «Souvent, c’est mal vu par les employeurs. Surtout ceux qui n’ont pas la notion de genre, qui peut-être n’ont pas de famille et risquent de dire: "Celle-là c’est toujours "le bébé, le bébé!" Qu’est-ce qu’on va en faire?" Ils ne comprennent pas...»

Selon l’article 132 du code du travail, «lorsque la femme allaite son enfant, elle a droit, dans tous les cas, à deux repos d’une demi-heure par jour pour lui permettre l’allaitement». Seulement, en RDC, les distances sont souvent longues, les routes difficilement praticables et à moins de travailler près de chez soi, une demi-heure ne suffit pas. Agnès bénéficie d’une marge temporelle mais ne s’en sort toujours pas.  

«Quand tu allaites un enfant, c’est un dialogue entre vous et lui. C’est l’un de mes moments préférés. Mais pour une femme comme moi qui travaille, c’est intenable: je suis obligée d’arrêter à midi, de courir, prendre un taxi pour allaiter. Parfois tu arrives, l’enfant dort, et toi tu n’as qu’une heure…»

Allaitement mixte

«Ma petite sœur a allaité ses enfants pendant six mois sans donner d’eau, sans donner le biberon parce qu’elle avait entendu parler de l’AME mais aussi parce qu’elle ne travaillait pas, renchérit Brigitte. Mais quand tu dois aller au travail et laisser l’enfant, qui va allaiter pendant ce temps-là? Sans eau, sans biberon?»

«J’avais pris un tire-lait, réplique Agnès. Mais ça demande à peu près une heure pour remplir un biberon. Il faut vraiment avoir la volonté de le faire! A la longue, j’ai arrêté. Déjà l’appareil ne tirait plus bien, et en plus, ça coûte très cher: j’ai acheté mon tire-lait ici à 85 dollars, alors qu’en Europe, où est né mon fils, j’en avais acheté un entre 15 et 20 euros.»

Résultat, Agnès, Brigitte et sa sœur infirmière ont toutes alterné entre le lait maternel et le lait artificiel, de plus en plus disponible et financièrement accessible en milieu urbain. Mais l’utilisation de ce substitut reste un luxe car l’accès à l’eau potable étant peu développé, il faut acheter de l’eau minérale, et en moyenne une boîte de lait par semaine, dont le prix varie «entre 8 et 10 dollars», confie Brigitte, qui gagne 150 dollars par mois — près de deux fois le salaire minimum.

«Mon garçon prenait deux boites par semaine. Or, il faut manger, payer le loyer, le transport, parfois le médecin», renchérit Agnès, précisant qu’une simple consultation coûte 30 dollars.

Selon Siméon Nanama, le lait artificiel représente une réelle «menace» pour l’AME. «Lorsqu’on le rend disponible pour les mères, cela peut encourager à rompre l’allaitement maternel», dit-il, déplorant notamment qu’en cas de crise humanitaire «on n’est pas toujours en mesure de contrôler ce que les partenaires amènent…»

Peu d’hôpitaux «amis des bébés»

Afin de promouvoir et soutenir l’allaitement maternel en général, et exclusif en particulier, le gouvernement consacre chaque année une semaine à la promotion de cette pratique. Il participe aussi à l’initiative des «hôpitaux amis des bébés», lancée mondialement en 1990 par l’Unicef et l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Pour qu’un établissement soit certifié «amis des bébés», dix critères sont à remplir, parmi lesquels la création de groupes de soutien à l’allaitement maternel.  

«Quand elles viennent pour accoucher, les femmes restent maximum trois jours. Tout le reste du temps, elles le passent à la maison, dans la communauté. D’où l’importance d’avoir des groupes de soutien à l’allaitement maternel communautaires, étape la plus complète et la moins coûteuse», précise Siméon Nanama.

Mais le nutritionniste explique que seuls 17 des 1.000 hôpitaux de la RDC, grande comme près de quatre fois la France, sont certifiés. Il appelle donc à compléter la stratégie avec la mise en place de «réseaux communautaires de promotion de l’allaitement maternel encadrés par des ONG internationales expérimentées».

Aussi, «il faut que les dix étapes fassent partie des critères d’évaluation des structures de santé et des maternités, plaide-t-il. Il ne faut pas donner aux structures de santé le choix de se faire certifier. Aujourd’hui, on ne donne pas l’option à une structure de santé de pratiquer la vaccination! Ou de traiter le paludisme! L’allaitement est tout aussi important.»

Habibou Bangré, à Kinshasa

*Les prénoms ont été changés

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Habibou Bangré

Habibou Bangré. Journaliste, spécialiste de l'Afrique. Elle collabore notamment avec The Root.

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