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La police israélienne pulvérise de l'eau sur des manifestants juifs éthiopiens à Tel Aviv, en mai 2015. JACK GUEZ / AFP
La police israélienne pulvérise de l'eau sur des manifestants juifs éthiopiens à Tel Aviv, en mai 2015. JACK GUEZ / AFP

Nétanyahou visite l'Afrique de l'Est, mais ne se soucie pas du sort des Juifs éthiopiens

Pour la première fois depuis cinquante ans, un chef de gouvernement israélien se rend en Afrique de l'Est.

Arrivé en Ouganda le 4 juillet, le Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou sait combien sa visite en Afrique de l’Est, où il va se rendre dans quatre pays, est symbolique. Depuis Yitzhak Rabin à Casablanca en 1994, aucun Premier ministre israélien n’avait foulé le sol du continent. «Israël a été mis sur liste noire en Afrique, a-t-il expliqué au quotidien ougandais Daily Monitor. Nous avons été écartés en raison de pressions politiques de la part de beaucoup de pays dans lesquels nous étions impliqués dans les années 1960 et 1970 et cela a mis du temps à changer.»

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Mais si la reprise des relations diplomatiques en Afrique pourrait renforcer la position d’Israël sur la scène internationale, elle fait grincer des dents au pays. Surtout parmi la communauté d’origine éthiopienne, qui accuse le gouvernement et la société israélienne de racisme. Récemment, c’est l’actrice de téléréalité noire Tahuonia Rubel, elle-même victime de discrimination au cours de l'émission HaAh HaGadol, le Big Brother israélien, qui est montée au créneau: «Israël est un des pays les plus racistes du monde, dénonce-t-elle dans une interview au journal Yediot Aharonot. Les gens trouvent étrange de voir une femme éthiopienne qui se conduit comme une Israélienne.»

Lors des opérations Moïse (en 1984) et Salomon (1991), 22.000 Juifs africains, appelés Falashas, avaient fait leur aliyah (retour en Terre promise), pour échapper à la famine et à la guerre civile en Ethiopie. Aujourd’hui, ils sont 135.000 en Israël, et vivent souvent un enfer. En 2011, le taux de chômage des Juifs noirs était neuf fois supérieur à la moyenne, selon l’institut Myers-JDC-Brookdale de Jérusalem. Discrimination à l’embauche, refus du logement et des écoles, les descendants des Falashas dénoncent un racisme institutionnalisé dans la société.

La discrimination en chiffres

Graphique P.V. pour Slate Afrique (sources: National Insurance Institute of Israel, Myers-JDC-Brookdale Institute in Jerusalem, Military Police Corps)

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À tel point qu'après la sortie de Tahuonia Rubel, les réactions hostiles se sont déchaînées sur les réseaux sociaux, comme le rapporte la journaliste noire Revital Iyov dans une tribune au journal Haaretz. «Si vous faites partie d'une minorité et que vous voulez dénoncer le système, ils vous rappelleront immédiatement que vous ne devriez pas prendre pour acquis votre présence ici, écrit-elle. Et ils vous suggéreront de rentrer dans votre pays d'origine.» Sur Internet, les témoignages se multiplient tout comme les vidéos de violences policières sur des Juifs éthiopiens.

«Vous ne voyez pas que je ne prends pas les Noirs ?»

Début juillet, une manifestation réunissait des centaines de personnes dans le centre de Tel Aviv, allant jusqu'à bloquer une des principales artères de la ville. Parmi leurs revendications, ils réclamaient la vérité sur la mort de Yosef Salamsa, un Israélien d'origine éthiopienne retrouvé mort en 2014 dans une carrière au nord du pays. Les militants éthiopiens accusent toujours la police d'avoir poussé le jeune homme au suicide, notamment en usant d'un taser, ce que la justice israélienne se refuse pour l'instant à affirmer.

 

«Le racisme et la discrimination se reflètent dans beaucoup de cas judiciaires auxquels nous avons eu à faire», explique Yasmin Keshet, avocate de l'ONG israélienne Tebeka, qui protège les droits des Juifs éthiopiens, dans une interview au site IRIN News. Elle raconte notamment la mésaventure d'Idano en 2009. Cette jeune fille qui voulait prendre le bus à Rishon avait vu le chauffeur fermer volontairement la porte devant elle. «Vous ne voyez pas que je ne prends pas les noirs?, lui avait lancé le conducteur. Est-ce que vous en avez, des bus, en Ethiopie, ou même des chaussures?».

Le racisme aussi dans l'armée ou en politique

Seule porte de sortie des descendants de Falashas: rejoindre les rangs de Tsahal. «L’armée israélienne, il faut bien comprendre que c’est un melting-pot», explique Daniella, caporale de l'armée israélienne, à Jeune Afrique. Mais cela n'empêche pas le racisme de s'y infiltrer: entre 11 et 14% des soldats qui purgent une peine dans la prison militaire sont des noirs, selon les chiffres de l'armée.

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En 2013, la députée Pnina Tamano-Shata, première femme d’origine éthiopienne à la Knesset, avait créé la polémique après s’être vu refuser son don du sang car il était «particulier». Mais le gouvernement ne semble toutefois pas considérer le problème. «Les Falashas n'ont pas de poids économique, explique Sébastien Boussois, docteur en sciences politiques, à l’Express. Benjamin Nétanyahou ne prend donc pas la peine de s'encombrer de leurs doléances.» Pourtant, l'image du soldat noir réconforté par le Premier ministre, après son agression par des policiers, avait de quoi redonner de l'espoir. Maise président Reuven Rivlin lui-même l'avait admis: qu’au sujet des Juifs d’Afrique, Israël n’a «pas assez ouvert les yeux et pas assez tendu l'oreille.»

Paul Verdeau

Journaliste à Slate Afrique. 

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