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La presse africaine face aux mensonges de Nafissatou Diallo (Màj)
Les médias du continent africain relatent à leur tour le coup de théâtre de l'affaire DSK et veulent en tirer quelques leçons.
Deux jours après les révélations fracassantes du quotidien le New York Times et l'audience surprise dans l'affaire Dominique Strauss-Kahn, le quotidien camerounais Mutations évoque dans son édition du 3 juillet les nombreux mensonges de la femme de chambre de l'hôtel Sofitel de New York.
Reprenant la lettre des assistants du procureur Cyrus Vance Jr adressée aux avocats de Dominique Strauss-Kahn, ce journal de Yaoundé revient d’abord sur la demande d’asile de Nafissatou Diallo où elle a décrit «l’enfer vécu avec son mari», une histoire montée de toutes pièces. Puis, lors de l'enquête, Nafissatou Diallo a prétendu avoir subi en Guinée, son pays d’origine, «un viol en réunion», un récit purement fictif.
Enfin, plus grave encore, ce journal observe qu’«elle a menti devant le grand jury» sur les faits se rapportant à la présumée agression du Sofitel. Contrairement à ses premières déclarations où elle disait «s’être cachée après l’agression», elle a finalement reconnu avoir «nettoyé une chambre après» et même être «revenue dans la suite 2806» pour y commencer le ménage.
Mutations insiste sur la perte de crédibilité de la femme de ménage du Sofitel et se penche sur la possibilité d'un piège tendu à DSK. Le quotidien camerounais s'appuie sur les témoignages de certains proches de l'homme politique français rapportés dans la presse: fin avril, l'ex-directeur général du Fonds monétaire international (FMI) aurait confié «ses craintes d’un possible complot».
La justice américaine éprouvée
Le quotidien Mutations traite aussi des conséquences juridiques des nouvelles révélations. Les doutes sur la parole de la jeune femme ont conduit à la levée de la résidence surveillée de Dominique Strauss-Kahn et à la restitution de la caution d'un million de dollars.
Dans un éditorial du 4 juillet, le quotidien en ligne malgache Madagascar-Tribune.com profite du rebondissement de l’affaire DSK pour engager une comparaison entre la justice de son pays et celle des Etats-Unis. Sur le ton de l'ironie, il évoque la célérité de la justice malgache, «la plus rapide du monde» quand il s'agit de mettre hors d'état de nuire un opposant devenu trop gênant. En revanche, plus sérieusement, Madagascar-Tribune.com salue la justice américaine qui, en un mois et demi, a établi l’essentiel des faits dans l’affaire du Sofitel new-yorkais. Le quotidien en ligne note toutefois qu'aux Etats-Unis, la «gloire et l’argent» ne sont pas étrangers à ces résultats rapides.
«Il n’empêche que malgré toutes ses limites, le système semble avoir fonctionné, et la tentation d’enterrer le dossier n’a jamais pesé. On aimerait que la justice malgache en prenne un peu de la graine, alors qu’ici, dans des cas presqu’autant médiatisés toutes proportions gardées, de simples prévenus croupissent de longs mois dans une maison de force qui ne devrait accueillir que des condamnés. Le manque de moyens ne saurait tout expliquer.»
«Quelle qu’en soit l’issue finale, le procès est déjà inscrit dans les annales des "scandales" à caractère privé et politique à la fois», insiste pour sa part le journal tunisien Le Temps dans une tribune éditoriale. «A quand le grand déballage», demande ce quotidien qui espère voir enfin tomber les tabous du «harcèlement sexuel et délit de cuissage».
Des leçons à tirer
Le Temps rappelle qu'en Tunisie, «mis à part certains procès montés de toutes pièces contre des personnalités d’opposants du temps de la dictature, on peut difficilement dénoncer les abus sexuels commis par les hommes politiques». «Qui en Tunisie et dans le monde arabe ose aborder de telles questions restées forcément taboues et exposant toujours celui qui ose lever ces interdits à des poursuites déchaînées, revanchardes et implacables!»
Et le journal de placer tous ces espoirs dans la Tunisie nouvelle née de la révolution. «Dans la nouvelle République que nous comptons construire, les lois doivent s’appliquer à tous et de la même façon; personne et surtout pas parmi les politiques ne doit jouir de l’impunité ni dans les scandales sexuels ni dans les autres affaires louches. C’est de dignité humaine qu’il s’agit, c’est-à-dire de ce pour quoi notre révolution s’est déclenchée. Libérons donc la parole dénonciatrice de tous les abus. Libérons également les victimes condamnées jusque-là au silence dégradant sur les crimes de leurs bourreaux. Si un jour, sur notre sol, cette peur de l’agresseur et de son pouvoir est vaincue, il est certain que nous aurons franchi un pas énorme vers la réhabilitation de la dignité humaine. Puissent donc les abusés et les harcelés de notre pays et ceux du monde arabo-musulman s’affranchir totalement des chaînes dont on les lie et des baillons dont on les musèle! Pourvu que ce ne soit pas qu’un vœu pieux!»
Le journal sud-africain Mail&Guardian, lui aussi, invite chacun à tirer les leçons du cas DSK-Nafissatou Diallo. Et d'interpeller ses lecteurs par une série de questions soulevées par le scandale planétaire:
«Comment se défend-on dans une affaire de viol si l'on a menti par le passé, si on est sexuellement active, si l'on veut avoir un avenir dans le journalisme, la politique, la banque ou les affaires internationales? Comment combat-on dans une affaire de viol quand on espère être prise au sérieux à nouveau et être perçue comme autre chose qu'une victime de viol?»
Ces questions se posent à toute personne qui s'est passionnée pour cette affaire: homme ou femme, riche ou pauvre, blanc ou noir. «Le scandale DSK a ébranlé le monde: il a posé des problématiques liés au sexe, à la puissance, à la race, à la classe sociale et au genre. Cela va au-delà de gagner ou de perdre dans ce procès particulier. Les enjeux sont beaucoup plus élevés. Ce procès est un moment stratégique qui indique la direction dans laquelle nous nous dirigeons, vers le changement ou vers plus d'abus et de perdition.»
Vu d’Ouganda, le rebondissement de l’affaire DSK qui voit l’effondrement de la crédibilité de la présumée victime ne surprend pas un chroniqueur du New Vision de Kampala. «De toutes façons, c’était perdu d’avance, non pas parce que le viol n’a pas eu lieu.»
Le journaliste prend indubitablement parti pour «la pauvre immigrante africaine». Selon lui, les mensonges de Nafissatou n’auraient rien d’extraordinaire:
«Il n’est pas rare que des immigrés racontent tout ce qui peut leur permettre de garder un pied dans leur nouveau pays. Si aujourd’hui on inventait une machine à détecter les histoires mensongères des candidats à l’immigration en Occident, des centaines de millions de gens seraient contraints de rentrer dans leur pays d’origine».
Quant à ses liens avec un criminel condamné, «en tant qu’immigrée africaine qui mène une vie dérisoire dans les rues de New York, Nafissatou Diallo a été plus susceptibles de connaître deux ou trois personnes qui ont des démêlés avec la justice. Cela ne signifie pas pour autant qu'elle-même était ou est une tricheuse, une menteuse et une complice».
Virginie Pascase et Philippe Randrianarimanana
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