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Cinq ans après le début du Printemps arabe, la révolution n'a bénéficié, d'un point de vue démocratique, qu'à la Tunisie, où tout a commencé. Une transition démocratique réussie a offert un horizon nouveau à une population cependant durement touchée par le chômage. Mais la Tunisie, dont certains acteurs civils ont été récompensés par le prix Nobel de la paix 2015, vit désormais sous la menace du djihadisme. Au cours de l'année écoulée, trois attaques sanglantes, toutes revendiqués par l'Etat islamique, ont touché le pays en plein coeur.
Un phénomène qui s'explique notamment par la répression historique des islamistes et l'exclusion sociale selon des analystes.
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Des combattants de l'Etat islamique (EI) ont tué 38 touristes et 13 membres des forces de l'ordre en 2015. Des dizaines de policiers et de militaires ont été tués depuis 2011 et deux opposants ont aussi été assassinés en 2013.
Plus de 5.500 Tunisiens, en majorité âgés de 18 à 35 ans, ont rejoint des organisations jihadistes à l'étranger, notamment en Syrie, en Irak et en Libye, selon le groupe de travail de l'ONU sur l'utilisation de mercenaires, un nombre qui est «l'un des plus élevés parmi ceux qui voyagent pour rejoindre les conflits».
Parmi les causes de la propagation du jihadisme en Tunisie figure «le resserrement de l'étau autour des religieux» à l'époque de Ben Ali, surtout après «les performances électorales relativement fortes des islamistes» en 1989, explique le centre de recherche américain Carnegie dans une étude intitulée «un marché pour le djihad: la radicalisation en Tunisie».
«Des milliers (d'islamistes) ont été emprisonnés, beaucoup d'autres forcés à l'exil», tandis que la direction du parti islamiste Ennahda, aujourd'hui un acteur politique majeur en Tunisie, a été transférée en Europe, poursuit le centre. Le régime avait renforcé dans la foulée «le contrôle de la sûreté d'Etat sur les mosquées et imposé des restrictions au port du hijab. Toute expression de religiosité politique, ou même publique, était considérée comme une menace».
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Cette mainmise de Ben Ali sur les affaires religieuses a fait que beaucoup se sont tournés vers «les réseaux sociaux et les chaînes de télévision satellitaires religieuses étrangères, surtout à partir de la moitié des années 1990, provoquant l'expansion de la pensée wahhabite», une vision rigoriste de l'islam, a affirmé à l'AFP un haut responsable sécuritaire. «Nous payons aujourd'hui le prix de la politique erronée de Ben Ali dans son approche à la religion».
Ensuite, «la chute du régime a créé un vide qui a permis à des groupes radicaux de répandre leurs idées et d'embrigader de nouvelles recrues parmi les jeunes défavorisés», selon le centre Carnegie.
Les djihadistes ont réussi à embrigader dans les banlieues de la capitale et les régions de l'intérieur du pays, poursuit le centre, et l'aggravation de la situation économique et sociale après la révolution n'a fait que «nourrir l'extrémisme».
«Le lien est clair entre la carte de l'expansion du salafisme jihadiste et celle de l'exclusion sociale et économique», a indiqué dans une étude publiée en 2014 l'Institut tunisien des études stratégiques, qui dépend de la présidence de la république. Pour Omeyya Naoufel Seddik, du Centre pour le dialogue humanitaire, certains Tunisiens ont rejoint l'EI «dans une optique de promotion sociale. L'idée circule qu'il procure un standard de vie meilleur que bien d'autres endroits».
Selon le groupe de travail de l'ONU, les personnes qui travaillent dans les réseaux de recrutement de combattants tunisiens ont reçu des sommes allant de 2.700 à 9.000 euros pour chaque nouvelle recrue, selon ses compétences.
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Le phénomène djihadiste n'est pourtant pas nouveau dans ce pays: des Tunisiens ont déjà combattu aux côtés de djihadistes par le passé -- en Bosnie et en Tchétchénie dans les années 1990, en Afghanistan et en Irak au début des années 2000-- et ce sont des Tunisiens qui ont tué le commandant Massoud en Afghanistan en 2001. Mais c'est la première fois qu'il prend une telle ampleur.
Le ministère de l'Intérieur assure avoir interdit à 15.000 Tunisiens de rejoindre des organisations jihadistes à l'étranger entre mars 2013 et juillet 2015. Le chaos dans la Libye voisine contribue aussi à l'essor du phénomène.
Beaucoup des combattants tunisiens sont arrivés en Syrie ou en Irak après être passés par des «camps d'entraînement» en Libye, qui partage avec la Tunisie une frontière terrestre d'environ 500 km, avant de «décoller de la capitale libyenne vers Istanbul en Turquie, puis vers le chemin du front», selon l'International Crisis Group (ICG).
D'après les autorités tunisiennes, les trois auteurs des attentats du musée du Bardo, à Tunis, en mars et de Sousse en juin ont été formés en Libye.