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© Damien Glez - Tous droits réservés
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Courant voltaïque discontinu

Depuis des mois, l'Afrique de l'Ouest vit au rythme des délestages intempestifs. Le dessinateur burkinabè Damien Glez décrypte l’actualité avec un dessin et un texte inédits.

Mercredi 2 mars 2011. Le quotidien burkinabè L’Observateur Paalga diffuse, en quadrichromie et en quatrième de couverture, un publi-reportage commandé par le ministre de l’Energie, Salif Kaboré. L’article magnifie l’électrification des villes de Pâ et Kumbia, miracle rendu possible grâce à l’interconnexion Côte d’Ivoire-Burkina.

Dans la même édition, en noir et blanc et en pages intérieures, la Société nationale burkinabè d’électricité (Sonabel) —toujours sans directeur depuis la promotion ministérielle de Salif Kaboré— communique:

«La Sonabel porte à la connaissance de sa clientèle du réseau national interconnecté que suite à des difficultés que rencontre le secteur électrique ivoirien», elle «se voit dans l’obligation de procéder à un délestage».

Selon sa zone, et jusqu’en avril, un Ouagalais subira des restrictions entre 8 heures du matin et 15 heures, ou entre 15 heures et 23 heures. C’est sans doute ce qu’on appelle un courant «alternatif»…

Chaque année, en cette période de canicule qui relie la sécheresse de mars aux pluies de juin, le courant continu ne l’est plus. Le manque d’eau saisonnier dans les barrages hydroélectriques réduirait la production; de même, le manque d’électricité perturberait la pression nécessaire à la bonne distribution de l’eau courante.

Pas d’eau, pas d’électricité. Pas d’électricité, pas d’eau.

Déshabillez-vous et ne faites plus de provisions d’aliments frais: les thermomètres dépassent les 40°C, les ventilateurs cessent de tourner, les salles de bain s’assèchent et les congélateurs transpirent.

Le Burkina, dont le président (alimenté par un groupe électrogène) continue de rêver d’un «Faso émergent» n’est pas seul dans cette galère. En Guinée, le «château d’eau de l’Afrique de l’Ouest», des gaz lacrymogènes dispersaient, le 4 février dernier, des centaines de manifestants dans la commune de Kaloum, à quelques encablures des centrales électriques. Les contestataires exprimaient leur ras-le-bol contre les délestages.

Au Sénégal, le ministre de la Communication Moustapha Guirassy tente d’expliquer le manque de précieux jus: «Depuis 2000, la demande en énergie électrique a été multipliée par quatre». Il n’évoque pas le bras de fer entre le ministre de l'Énergie, Karim Wade —fils du président sénégalais— et l’International Trading Oil & Commodities Corporation (Itoc) qui fournit le combustible aux centrales électriques de la Sénélec (la compagnie nationale d’électricité du pays).

Au cœur des bisbilles: une dette de plusieurs milliards de francs CFA et des tankers de fuel immobilisés, des jours durant, au large de Dakar. Consolation ministérielle: avec les coupures d’électricité, les Sénégalais écoutent moins les radios qui diffusent Leep Mo Lendem, le single de Youssou N’Dour contre les délestages.

Togo, Bénin, Niger, Mali: aucun pays d’Afrique de l’Ouest n’échappe aux coupures, parfois sauvages. Plus au Sud, la situation n’est pas moins inquiétante: ce 2 mars 2011, Jacob Zuma évoque, en France, le déficit chronique d'électricité de l’Afrique du Sud. Le géant du nucléaire français Areva promet à Pretoria deux réacteurs de nouvelle génération EPR…

Le citoyen burkinabè médite dans une obscurité étouffante. Le climat et l’incurie managériale n’expliquent pas tout. La politique ajoute son grain de sel sur la plaie ouest-africaine. Lundi 28 février 2011, le pouvoir ivoirien de Laurent Gbagbo interrompait l’électricité et la fourniture d’eau dans les zones centre, nord et ouest de la Côte d’Ivoire, sous contrôle des Forces nouvelles (ancienne rébellion). Le président du Réseau pour le développement et la démocratie en Afrique (Redda) qualifie le délestage d’«arme de guerre», les hôpitaux peinant à soigner les victimes de la crise postélectorale.

Belligérant ou victime collatérale, le Burkinabè interconnecté a vraiment de quoi méditer à la lueur des étoiles. Lui qu’on appelait «Voltaïque», il a bien besoin de piles…

Damien Glez

 

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Damien Glez

Dessinateur burkinabé, il dirige le Journal du Jeudi, le plus connu des hebdomadaires satiriques d'Afrique de l'Ouest.

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