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Libye: mission accomplie?
Le chapitre libyen se clôt, mais l’OTAN n’en a pas fini avec l’Afrique.
Mise à jour du 18 novembre: Des anciens combattants rebelles ont haussé le ton en Libye. Ils réclament leur part dans le prochain gouvernement intérimaire dont la formation devrait être annoncée le 20 novembre. Ces tensions interviennent après la nomination d'un chef d'état-major, Khalifa Haftar, par des officiers de l'ancienne armée ralliés à la rébellion.
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En Libye, l’Alliance Atlantique plie bagages. Sa mission, que l’on trouve consciencieusement rappelée dans le bulletin de situation n° 49 du site du ministère français de la Défense, est terminée. Plus besoin de “protéger la population libyenne contre les attaques des forces du colonel Kadhafi”, puisque ledit colonel, lui, n’a pu être protégé de sa population en révolte et que ses forces se seraient évaporées au fil du conflit. Jusqu’à ne plus être apparemment aujourd’hui qu’un lointain souvenir.
Le 28 octobre dernier, dans une courte déclaration, Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l’organisation annonçait la fin prochaine de l’opération en ces termes : “Nous avons pleinement rempli le mandat, historique, qui nous avait été donné par l’ONU de protéger le peuple libyen et de faire respecter la zone d’interdiction aérienne et l’embargo sur les armes.” Et de se féliciter :
“Nous avons lancé cette opération complexe dans des délais extraordinairement courts. Nous l’avons menée efficacement, avec souplesse et précision aux côtés d’un grand nombre de partenaires en provenance de la région et d’ailleurs. Et nous y mettons un terme d’une façon réfléchie et contrôlée – parce que notre mission militaire est à présent accomplie.”
La règle veut que l’on se congratule
Du côté du Royaume-Uni, l’un des partenaires clés de l’intervention en Libye, on ne cache pas sa satisfaction. Le ministre britannique de la Défense Philip Hammond, en visite sur une base italienne utilisée par la Royal Air Force, proclamait ainsi dans le sillage d’Anders Fogh Rasmussen :
“Nos forces armées peuvent être immensément fières de leur dur labeur, qui a garanti la liberté du peuple libyen. C’est un travail bien fait, et à partir de ce soir [28 octobre], nous allons renvoyer nos équipages chez eux”.
A l’issue de ce genre d’action, la règle veut que l’on se congratule. “L’opération Unified Protector est l’une des plus grandes réussites de l’histoire de l’OTAN,” a d’ailleurs précisé Rasmussen. Le 31 octobre voit “la conclusion de l’un des campagnes militaires les plus réussies menées par l’OTAN et le Royaume-Uni,” peut-on également lire sur le site du ministère britannique de la Défense.
Des pertes extrêmement légère...pour l'OTAN
Bref, tout le monde, du moins du côté du CNT et de l’Alliance, se réjouit de la fin de la guerre. Une fois encore, semble-t-il, l’OTAN l’a emporté. Une fois encore, le bon droit était de son côté. Une fois encore, la victoire occidentale a été aussi incontestable que peu coûteuse en hommes et en matériel (pour l’Alliance). Dans le cadre de Unified Protector, on n’a dénombré qu’un mort, un membre de la RAF tué dans un accident de la route en Italie, ainsi que la perte d’un seul avion de combat, un F-15E de l’US Air Force qui se serait écrasé accidentellement en Libye le 22 mars. Un F-16 de la force aérienne des Emirats Arabes Unis aurait en outre été endommagé à l’atterrissage le 28 avril. Tout au plus reconnaît-on qu’un drone a été “abattu”.
Des dizaines de milliers de sorties
Des pertes extrêmement légères, quand on songe que l’Alliance a mené des dizaines de milliers de sorties et déployé des centaines d’appareils. Le bilan est plus que positif sur le plan militaire, et s’inscrit apparemment dans la lignée des opérations menées par l’OTAN depuis les années 90 en Bosnie, puis en Serbie. Rappelons toutefois que, dans le cas des Américains par exemple, un appareil n’est signalé comme perdu que s’il tombe en territoire ennemi. S’il est touché, gravement endommagé, mais qu’il s’écrase à son retour à la base, il ne sera pas décompté dans les pertes.
Supériorité aérienne écrasante, presque pas de “casse” (même si les adversaires clament parfois le contraire, comme en Serbie en 1999), l’Alliance paraît intouchable, invincible, et aligne les succès face à des adversaires, reconnaissons-le, qui sont loin d’être en mesure de l’inquiéter. D’un conflit à l’autre, l’OTAN parvient encore à réduire ses pertes. Les frappes contre les Serbes de Bosnie en 1995 lui avaient coûté un Mirage, celles menées contre Belgrade en 1999 un F-117 furtif et un F-16. Encore l’armée serbe, bien équipée et bien entrainée, avait-elle été capable de gêner l’Alliance, en adoptant la tactique défensive dite du “rideau de ferraille”, qui consiste, à l’aide de pièces d’artillerie antiaérienne de tous calibres, à saturer le ciel d’obus et d’éclats. L’efficacité des bombardements occidentaux s’en était justement ressentie.
Depuis, l’OTAN est intervenue contre les talibans, et contre la Libye. D’un point de vue purement militaire, on pourrait aussi ajouter à cette liste de victoires occidentales l’offensive américano-britannique contre l’Irak en 2003. A chaque fois, la situation est la même. Les alliés sont supérieurs en armements, en équipement, en effectifs, et s’en prennent à un ennemi inférieur en nombre, dépassé sur le plan technologique, déjà brisé économiquement, souvent divisé, désorganisé. L’issue ne fait généralement pas de doute.
L’OTAN se félicite donc aujourd’hui de cette nouvelle réussite militaire à adjoindre à son palmarès. La “population civile libyenne” est sauve, l’adversaire anéanti, et tant pis s’il a fallu pour cela trahir dès le début la lettre de la Résolution 1973, qui prévoyait “une zone d'exclusion aérienne au-dessus de la Libye, et l'usage de tous les moyens nécessaires pour protéger les populations civiles à l'exception de forces d'occupation étrangère” ). Le site officiel de l’Alliance a beau assurer que “aucune unité au sol de l’OTAN n’a participé à l’opération — le succès de l’OTAN a été exclusivement obtenu par des moyens aériens et navals”, soulignons qu’il est impossible de procéder à des frappes aériennes précises, dans une guerre moderne, sans la présence sur place de commandos infiltrés qui ont pour mission d’identifier les cibles et de les “éclairer”.
Le simple fait d’imposer une zone d’exclusion aérienne implique, pour que l’aviation alliée puisse faire respecter cette zone, que les moyens antiaériens adverses soient neutralisés. Dès lors, il est inévitable que des hommes précèdent les appareils sur place, même si l’OTAN prétend le contraire.
L’OTAN considère l’Afrique comme un théâtre d’opérations légitime
Sur place, en Libye, la guerre est-elle vraiment finie? Dans le désert du Sud, à la frontière avec le Niger, pays où des responsables kadhafistes se seraient réfugiés, les populations touarègues ne seraient pas favorables au nouveau régime. Le pays pourrait alors basculer dans un conflit de faible intensité, où l’OTAN, tout en se faisant plus discrète, aurait encore un rôle à jouer. De toute façon, il est probable que des conseillers militaires français, britanniques et américains restent actifs en Libye, ne serait-ce que pour transformer les combattants indisciplinés du CNT en une véritable armée.
Américains en Ouganda
En visite en Libye le 31 octobre, Anders Fogh Rasmussen a affirmé que “la liberté durement conquise s’accompagne de grands espoirs, et l’on travaille déjà d’arrache-pied à les concrétiser”. Selon lui, “l’OTAN pourrait aider au développement des institutions de défense et de sécurité”. On ne saurait être plus clair. La guerre est peut-être terminée, mais la Libye, elle, a encore besoin de l’OTAN.
A l’heure où des militaires américains viennent d’être déployés en Ouganda, alors que les drones du Pentagone disposent depuis peu d’une base en Ethiopie et que l’armée française, toujours présente en Côte d’Ivoire, interviendrait en appui logistique pour les forces kényanes engagées en Somalie, la guerre de Libye se termine par des gesticulations et un retrait très officiels. Des cérémonies et des déclarations qui ne suffisent pas à masquer le fait qu’aujourd’hui, l’OTAN considère manifestement l’Afrique comme un théâtre d’opérations légitime.
Roman Rijka
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