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Des experts en déminage de Handicap International qui opèrent à Ziguinchor, le 30 mai 2011 SEYLLOU DIALLO/AFP
Des experts en déminage de Handicap International qui opèrent à Ziguinchor, le 30 mai 2011 SEYLLOU DIALLO/AFP

Casamance: A qui profite la guerre?

Trente ans que le conflit dure, et aucune solution en vue. Les niveaux de violence ne font que s’aggraver, dans un Sénégal qui se voudrait en paix. Pourquoi la guerre n’en finit-elle pas en Casamance?

Mise à jour du 10 décembre 2012: Une bonne nouvelle pour le Sénégal. Salif Sadio, un des principaux chefs de guerre et membre de la frange la plus radicale du maquis casamançais, est «disposé à dialoguer avec le gouvernement du Sénégal» pour mettre fin à plus de 30 ans de conflit dans le sud du pays.

Le chef de file du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) a posé un acte symbolique, en libérant huit prisonniers militaires, qu’il détenait comme otages depuis plus d’un an.

 

***

Depuis 1982, cette région verdoyante du sud du Sénégal, séparée géographiquement du reste du pays par l’enclave de la Gambie, est plongée dans un conflit de basse intensité. Des escarmouches interviennent régulièrement entre l’armée et les rebelles indépendantistes. Sous la bannière de leur Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC), ils ont pris les armes après la répression brutale d’une manifestation pacifique, en décembre 1982.

La Casamance toujours minée

Aucun bilan précis n’a jamais été publié. Si l’on s’en tient aux communiqués de l’armée, 25 soldats sont morts depuis octobre 2010, pour la plupart tombés dans des embuscades. La dernière en date, le 17 octobre, a fait cinq morts parmi les militaires, dans un village situé à 35 kilomètres de Ziguinchor, la capitale régionale.

Le président Abdoulaye Wade avait promis de régler le problème en cent jours, après son arrivée au pouvoir en 2000. Onze ans plus tard, la Casamance reste une région minée, dans tous les sens du terme. Les champs sont truffés de mines anti-personnel et les touristes sont partis depuis longtemps, délaissant les plages de sable fin du Cap-Skirring. La production de riz a chuté et les rares usines de Ziguinchor ont fermé, laissant aux jeunes encore moins de perspectives qu’ailleurs au Sénégal. Les filles de Casamance sont connues pour leur pauvre spécialité: aller faire les bonnes à Dakar, la capitale. Certains, parmi les garçons, sont aspirés par un maquis qui est devenu un mode de vie —avec kalachnikovs et surnoms guerriers à la «Rambo». 

Une rebellion divisée

Pour tout compliquer, la rébellion n’a fait que se diviser en une multitude de nouvelles branches, depuis la mort, en janvier 2007, de son chef historique, l’abbé Diamacoune Senghor, emporté à 78 ans par la maladie. Une première dissidence, encouragée par le gouvernement d’Abdou Diouf, avait déjà fait son apparition dès 1991, au moment de la signature des premiers accords de paix, avec une branche menée par Sidy Badji —mort à 83 ans en 2003.

«La stratégie de division du gouvernement vise surtout les Diolas, l’une des quinze ethnies de Casamance, affirme à Slate Afrique Mamadou Nkrumah Sané, 72 ans, représentant du MFDC en exil à Paris.

«Il n’y a que les Diolas qui se font arrêter. Le gouvernement ne peut pas leur faire confiance: pour eux, ce sont tous des rebelles, et vous ne verrez jamais un général diola dans l’armée sénégalaise. Malgré tout, cette stratégie a échoué parce qu’elle raffermit la détermination des Diolas et laisse les autres ethnies, Mandjaks, Balantes, Peuls ou Bambaras s’engager dans la lutte sans être inquiétées

Aucun accord de paix n’a été signé depuis 2004, malgré la reprise des violences en 2009. Dakar, après avoir semé la division, s’estime bien en peine d’identifier des interlocteurs pour négocier la paix. Selon le chercheur français Jean-Claude Marut, associé au Centre d’études sur l’Afrique noire (CEAN) à Bordeaux, le gouvernement «veut faire croire que le conflit est réglé» et ne se montre disposé à parler qu’aux rebelles repentis «qui n’ont plus rien à négocier puisqu’ils sont financés par l’Etat», a-t-il écrit dans le quotidien Le Monde. D’ailleurs, Jean-Claude Marut, dont l’ouvrage sur la Casamance a été bloqué en 2010 à la douane par les autorités de Dakar, parle de l’accord de paix de 2004 en y mettant des guillemets.

«Il a été conclu avec l’abbé Diamacoune Senghor, un homme qui vivait en résidence surveillée depuis 1993 et ne réclamait plus l’indépendance depuis longtemps», rappelle-t-il.

Aucune des factions civiles ou militaires du MFDC n’a signé ni reconnu cet accord, confirme Mamadou Nkrumah Sané.

Les chefs militaires d’aujourd’hui s’appellent Salif Sadio, Ousmane Niantang Diatta et César Atoute Badiate. Salif Sadio reste un électron libre, même s’il reconnaît l’autorité de Mamadou Nkrumah Sané. Il opère sur le front Nord, entre le fleuve Casamance et la frontière gambienne. De son côté, Ousmane Niantang Diatta est lui aussi en rapport avec Mamadou Sané Nkrumah, tandis que César Atoute Badiate se trouverait aujourd’hui hors jeu.

«Il traite depuis longtemps déjà avec le pouvoir en place, et a été lâché par des dissidents qui en avaient assez de ses compromissions, mais aussi par ses propres lieutenants», indique Jean-Claude Marut.

Un conflit qui s'enlise

Du côté du commandement politique, c’est tout aussi compliqué. Installé à Paris depuis 1966, Mamadou Nkrumah Sané a ensuite passé neuf ans en prison au Sénégal, de la manifestation réprimée de décembre 1982 à la signature des accords de paix de 1991. Un pays où il n’a pas remis les pieds depuis son expulsion en 1991 par le gouvernement d’Abdou Diouf. Signe d’une faible volonté de négocier, un mandat d’arrêt a été délivré contre lui en 1997 par les autorités sénégalaises. Que représente aujourd’hui ce retraité coupé des réalités du terrain?

«Il dispose d’une légitimité historique en tant que membre fondateur du MFDC, explique Jean-Claude Marut, mais aussi d’une légitimité politique: il n’a jamais varié, quant à l’objectif indépendantiste.»

L’intéressé, lui, répond simplement:

«Allez sur place, et vous verrez si je ne suis pas écouté…»

Deux autres hommes lui disputent son leadership, ainsi que la place de secrétaire général du MFDC: Jean-Marie François Biagui, représentant «plénipotentiaire» du MFDC à Lyon, et Ansoumana Badji, à Dakar.

C’est l’une des raisons pour lesquelles le conflit s’enlise si durablement. Tout le monde a intérêt à ce que la guerre se poursuive: les militaires, qui touchent des primes, les rebelles, qui vivent de rapines et de pillages, et les intermédiaires, qui touchent des enveloppes ou sont récompensés par de hautes fonctions dans l’appareil d’Etat. Latif Aïdara, l’un d’entre eux, est ainsi devenu conseiller du président Abdoulaye Wade. Cette pratique, loin d’être une solution, est devenue l’une des données du problème.

Pour mémoire, Omar Lamine Badji, président du conseil régional de Ziguinchor et représentant du Parti démocratique sénégalais (PDS), a été assassiné chez lui en décembre 2006, dans des circonstances troubles. Il aurait voulu s’ériger comme principal négociateur sur la Casamance.

«A l'époque, des rivalités internes se jouaient au sein du pouvoir, estime Jean-Claude Marut. Dans le panier de crabes des intermédiaires, chacun prétend avoir sa solution et connaître les bons interlocuteurs, tandis qu’à Dakar, on n’y connaît pas grand-chose. Or, l’argent distribué suscite des rivalités.»

Mais la principale raison du pourrissement du conflit reste politique:

«L’Etat sénégalais sait qu’il est fort et ne veut pas céder, explique Jean-Claude Marut. Tout démontre depuis très longtemps que Dakar ne veut pas négocier. Ses responsables pensent qu’ils vont progressivement arriver à se débarrasser de cette menace. Ils affaiblissent la rébellion par différents moyens, l’argent jouant un grand rôle dans les manœuvres de division.»

Alors que la Casamance se trouve coincée entre deux Etats, la Guinée-Bissau et la Gambie, qui servent de plaque tournante au trafic de drogue international, la fragilité de la Casamance est lourde de dangers potentiels. Aucun espoir n’est permis, tant que les uns restent persuadés que le problème ne sera résolu que par la force, et les autres par l’attentisme.

Sabine Cessou

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Sabine Cessou

Sabine Cessou est une journaliste indépendante, grand reporter pour L'Autre Afrique (1997-98), correspondante de Libération à Johannesburg (1998-2003) puis reporter Afrique au service étranger de Libération (2010-11).

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