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Nous avons discuté avec un passeur de migrants sur Facebook: voici comment fonctionne son business
Organiser un voyage illégal entre la Libye et l'Italie grâce à Facebook est d'une facilité déconcertante. L'affaire était réglée en quelques jours.
Dans la nuit du 18 au 19 avril dernier, un bateau rempli de migrants en provenance de Libye faisait naufrage au large des côtes italiennes, provoquant la mort de plus de 900 personnes. Dans la foulée, et sous la pression de plusieurs chefs de gouvernements, l’Union européenne a décidé de tripler le budget de l’opération Triton, censée aider l'Italie à faire face à l'afflux de migrants. Désormais, 9 millions d’euros par mois seront consacrés à la surveillance des côtes de l’Europe et au sauvetage des migrants.
L’UE compte également agir sur Internet, et plus précisément sur le réseau social Facebook, où les passeurs traquent d’éventuels «clients». Les décideurs européens ont fait part de leur volonté de bloquer les comptes, les publicités et les groupes créés par les passeurs sur le réseau social, où il est très facile de trouver des pages proposant des voyages clandestins de la Libye ou la Turquie vers l'Italie.
Nous avons pu lire sur certaines pages, écrites en arabe et traduites dans des journaux américains ou par nos soins sur Google Translate, des conseils de voyage pour les migrants et même des offres de voyages moyennant plusieurs centaines de dollars. De vraies pages communautaire donc, classées dans la catégorie «tourisme et voyage» par Facebook. Le Financial Times en recensait quelques-unes, dans un article publié sur son site, lorsque nous avons commencé à travailler sur cet article. À sa publication, ces pages existent toujours sur le réseau social.
C'est en piochant des noms de passeurs diffusés par le quotidien britannique que nous avons commencé, via Facebook, à les pister. Pour cela, nous avons d'abord créé un personnage fictif: Odilon Tando –mélange d'un prénom et d'un nom parmi les plus usités en Centrafrique–, jeune homme centrafricain qui, après avoir traversé une bonne partie de l'Afrique en camion pour rejoindre la Libye, cherche à embarquer pour l'Europe. Il a fallu créer un profil Facebook à son nom, avec une fausse photo de profil, publier quelques posts de sa vie imaginaire à Bangui pour plus de crédibilité et utiliser un réseau privé virtuel (VPN) pour simuler une connexion internet depuis la République centrafricaine. Nous avons ensuite ajouté quelques utilisateurs Facebook (dont certains identifiés comme étant des passeurs par d'autres médias) et entamé la conversation. Les premières réponses n'ont pas tardé à arriver, quelques heures ou quelques jours après les premières prises de contact.