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Voyage au cœur du Petit Cameroun de Paris
Le quartier Guy-Môquet, dans le XVIIe arrondissement de Paris, comprend l’une des plus grandes concentrations de Camerounais vivant en France. C’est de là qu’ils suivent et commentent l’actualité de leur pays. Reportage.
De la fenêtre d’un appartement, rue de La Jonquière à Paris, une jeune femme se penche et lance des invectives à une autre qui lui répond depuis le trottoir, avec force gestes. En ce mois d’octobre, le froid et la grisaille de l’automne commencent à être menaçants. Mais les deux jeunes femmes n’en ont cure, et continuent leur esclandre. Il s’agit d’une histoire de mœurs… On pourrait en sourire. Mais la scène n’a rien d’une blague. Ce d’autant plus qu’un petit attroupement un peu hétérogène se forme déjà. Pour dissuader les bagarreuses de poursuivre leur grabuge, quelqu’un lance vertement: «Arrêtez ça! On n’est pas ici au marché Mokolo (Ndlr, marché populaire de Yaoundé, la capitale du Cameroun).»
Cela sonne assez étrangement aux oreilles du reporter à qui tout cela rappelle quelques souvenirs. «Excusez-moi! Vous êtes Camerounais?» Oui. Et les deux jeunes femmes qui, de toute évidence, se disputent un amant, elles aussi! Celle qui crie depuis sa fenêtre, peut-être à court d’arguments, reproche à l’autre de ne pas habiter «Guy-Meké» et de n’avoir donc rien à faire là… On comprend vite que «Guy-Meké» n’est pas l’amant en question, mais une prononciation, avec le savoureux accent béti (une langue camerounaise), de «Guy-Môquet». Un quartier qui doit son nom à un jeune résistant français tué pendant la Seconde Guerre mondiale, et situé dans l’Ouest parisien.

La station de métro desservant le quartier Guy-Môquet © DR
De ce côté du XVIIe arrondissement de la capitale française, les immeubles, plutôt cossus, narguent l’arrondissement voisin du XVIIIe, plus populaire, plus bruyant, plus cosmopolite et qui abrite le fameux marché africain de Château Rouge et Barbès. Il n’est pas loin non plus de la très célèbre Place de Clichy, encore moins des fameuses Puces de Saint-Ouen. Tout cela fait de Guy-Môquet un quartier certes chic, mais pas un ghetto de bourgeois. Avec donc aussi, sa dose de populations étrangères et notamment africaines. L’attroupement provoqué par la dispute de la rue de la Jonquière l’atteste bien.
Loin du pays, mais pas tant que ça
Ici, dans presque tous les coins de rue, les couleurs et les accents du Cameroun sont fort nombreux. Un peu plus bas, le petit troquet qui fait l’angle avec la rue Lantiez est, pour ainsi dire, noir de Camerounais qui jouent au Tiercé ou qui se réchauffent d’un petit café. A l’intérieur, les commentaires sur l’élection présidentielle du 9 octobre n’en finissent pas. Personne ici ne doute de la réélection de Paul Biya, au pouvoir depuis 1982. Les plus virulents déplorent «l’absence de démocratie dans ce pays, les fraudes». D’autres encore soutiennent les appels à manifester lancés par l’opposition camerounaise pour contester les résultats du scrutin. Pourtant, aucun d’eux n’est allé voter à l’ambassade du Cameroun en France, située rue d’Auteuil, le 9 octobre. Alors même qu’une loi autorise depuis le 13 juillet 2011, les Camerounais de la diaspora à participer aux scrutins nationaux.
«C’était le bordel. On ne savait pas quoi faire pour être inscrits sur les listes électorales. Et puis de toutes les façons, ça n’aurait rien changé. Paul Biya a décidé de faire du Cameroun sa chose», confie Bernard qui, vraisemblablement, passe ses journées à écumer les bars et les cafés du quartier.
Des Camerounais attablés dans l'un des nombreux restaurants de Guy-Môquet © DR
Chacun y va donc de son dépit de voir le Cameroun à nouveau repartir pour sept ans avec Biya à sa tête. Et pas un mot sur la faiblesse de l’opposition qui n’a pas su s’unir avant le scrutin. Le sujet fâche. Alors, on parle d’autre chose, comme de la prochaine fête qu’organise Untel, de tel autre dont le cousin vient d’arriver du pays… Même l’esclandre de là-haut, leur est déjà revenu aux oreilles. En un mot, on papote. Les Camerounais sont de grands bavards, mais nous n’en dirons rien. A Guy-Môquet, on est bien loin du soleil souvent accablant qu’il peut faire au Cameroun. Il n’empêche que tous les «Camers», c’est ainsi qu’ils s’appellent affectueusement, ont reproduit ici des modes de vie de là-bas. Impossible de faire un pas sans tomber sur une épicerie spécialisée dans des produits dits exotiques. On y trouve de tout: bananes-plantains, mangues, légumes et fruits divers, boissons et autres épices du village.
Petit ghetto en bord de Seine
Thérese Atangana s’est installée à Guy-Môquet, un peu par hasard il y a dix-sept ans. Puis, elle a retrouvé de vieilles connaissances. Puis d’autres encore. Et sa vie s’est construite autour de cette communauté qu’elle ne veut quitter pour rien au monde aujourd’hui, nous confie-t-elle. A l’épicerie qui porte le doux nom de «100%», Thérèse vient chercher de la pâte d’arachide:
«Quand je n’ai pas le temps d’aller jusqu’à Château Rouge, je viens acheter ici, ce qui me manque pour cuisiner. Je suis sûre de trouver les vrais produits du terroir.»
Une épicerie de spécialités camerounaises © DR
En face du Mont Cameroun, par exemple, un restaurant fermé un temps, s’est dressé pendant longtemps Le Bamboutos. L’adresse a eu son heure de gloire.
«Cet endroit drainait des foules. C’était la seule adresse où l’on pouvait manger du bon taro accompagné de sauce jaune, une spécialité de l’Ouest du Cameroun», explique Guy Essombè, plus de 25 ans de vie parisienne.
Il connaît le quartier, peut-être un peu mieux que sa poche et quasiment toutes les familles de «Camers» qui y vivent. L’esclandre de la rue de La Jonquière entre les deux jeunes femmes n’est rien de grave, nous rassure-t-il. Guy Essombè se souvient même d’une chaude empoignade qui avait failli vraiment mal tourner lors d’un match de la Ligue des Champions. Dans le restaurant qu’il tient à quelques mètres de la station de métro Guy-Môquet, plusieurs dizaines de ses compatriotes étaient venus visionner le match Barcelone-Manchester United… C’était l’époque où leur «demi-dieu», Samuel Eto’o évoluait encore au sein du FC Barcelone. Une phrase malheureuse de supporter, et l’on a frôlé le drame.
Surtout, faites comme chez vous
Angélique Tchatat, chez qui nous arrivons ensuite, ne s’offusque pas une seule seconde de cette visite impromptue. Elle nous accueille comme si elle nous attendait. Pourtant ce jour-là, elle reçoit du monde:
«C'est une tontine (Ndlr, système populaire d’épargne et de crédit, très courant en Afrique subsaharienne) qui regroupe les gens de mon village. Il se trouve que nous habitons le même endroit. Alors, on s’est dit qu’il serait intéressant, de développer une chaîne de solidarité entre nous.»
La «cotisation» (c’est un autre nom donné à cette réunion) se poursuivra par une fête. De temps en temps, Angélique baissera le volume de la musique pour ne pas déranger les voisins. Tout de même!
Vue de nuit où ça bouge aussi © DR
Si le fait de se retrouver entre compatriotes donne vite le sentiment que l’on est au Cameroun, tout n’est pas permis pour autant. On est dans le XVIIe arrondissement de Paris. L’un de ceux qui peuvent être les plus stricts quant au respect de la tranquillité du voisinage. Et les «Camers», aussi exubérants qu’ils puissent être, en tiennent compte. Car c’est justement pour ne pas ressembler aux autres que la plupart se sont installés dans ce quartier un peu huppé, selon le sociologue camerounais Pierre Kamdem:
«Le choix de ce secteur remonte au tout début des années 80. L’arrivée tardive des commerçants et des artisans Camerounais dans le Nord parisien les ayant amenés à vouloir se distinguer des populations du XVIIIe arrondissement constituées particulièrement de ressortissants de la vallée du fleuve Sénégal, dont les Camerounais de l’époque ne s’estimaient pas du tout proches, au regard des principaux profils de migrants de l’époque. C’est ce qui a créé au fur et à mesure, une centralité spécifiquement camerounaise dans ce quartier.»
Un snobisme qui donne aujourd’hui au quartier des allures d’un ghetto dont les Camerounais ne sortent que difficilement. En remontant la rue de la Jonquière pour retrouver la station de métro Guy-Môquet, la dispute des deux jeunes femmes a laissé la place à un calme plat. On ne saura laquelle aura eu le dessus sur l’autre. Peut-être l’apprendra-t-on une autre fois, lorsqu’on viendra savourer un bon plat de n’dolè (épinards aux crevettes) dans un des restos du coin.
Raoul Mbog
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