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Contre-courants subsahariens
Le vent nouveau de la Révolution du jasmin soufflera-t-il jusqu'à l'Afrique subsaharienne? Rien n'est moins sûr. Le dessinateur burkinabè Damien Glez décrypte l’actualité avec un dessin et un texte inédits.
«Vous les Africains…» Ainsi commençait la phrase d’un Tunisien qui s’adressait à un Béninois. Y aurait-il un continent maghrébin non-africain?
Comme pour se dédouaner d’un défaut d’africanité, un Algérien précisait, sur un forum Internet: «Je pense que les Africains d'Afrique subsaharienne ne nous considèrent pas comme de vrais Africains». Avant d’enfoncer le clou: «Dans la vie de tous les jours, quand on dit "africain", on pense directement à noir».
L’eau séparerait-elle finalement moins que le sable? La Méditerranée moins que le Sahara? Le Maroc avait-il donc raison, en 1987, de demander son adhésion à la Communauté économique européenne, lui qui boude toujours l’Union africaine?
Y aurait-il, entre le nord et le sud du continent africain, un fossé qui expliquerait le mal-être des contrées «noires et blanches» —Mauritanie à l’ouest, Soudan à l’est?
La propagation de révoltes «arabes» censément contagieuses bute encore sur ce mur invisible. Quand on déboulonne au nord de l’Afrique, au sud on «reboulonne». Quand un Ben Ali moribond s’estompe, un Bokassa décédé resurgit.
Le mardi 30 novembre 2010, au moment précis où l’Afrique «blanche» commençait à vomir la dictature, l’actuel président centrafricain Bozizé signait le décret réhabilitant «Ubu empereur», Jean-Bedel Bokassa, encore surnommé «Papa Bok’».
Contre-révolutionnaire, François Bozizé a effacé la condamnation à mort de l’autocrate pour «assassinat, recel de cadavres, anthropophagie, atteinte aux libertés individuelles, coups et blessures volontaires et détournement de fonds publics». Il préfère retenir que Bokassa «a beaucoup donné pour l'humanité en participant à la guerre d'Indochine» (sic).
En Centrafrique comme ailleurs, la «vie chère» qui étrangle nombre de peuples subsahariens ne les conduit pas tant à renverser leurs dirigeants qu’à sombrer dans la nostalgie des seventies, le «temps où il y avait à boire et à manger».
Il ne faudrait pas s’étonner qu’on instaure bientôt une récompense caritative «Idi Amin Dada», qu’on décerne un prix honoris causa «Charles Taylor» ou qu’on crée une fondation à but non lucratif «Mobutu Sese Seko»…
Le noir Mugabe et le blanc Mubarak n’auront en commun que leurs huit décennies de vie et la première syllabe de leur nom. Les dominos de la révolution devraient s’enliser aux portes du désert.
Damien Glez
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