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Le cinéma africain, l'aventure ambiguë
475 films seront projetés à partir du 26 février, à l'occasion de la 22e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. Mais l'Afrique s'interroge sur l'avenir de son 7e art.
Miracle au festival de Cannes 2010: le cinéaste tchadien Mahamat Saleh Haroun est le premier Africain candidat à la Palme d’or depuis 13 ans. Le dernier lauréat africain, l'Algérien Mohammed Lakhdar-Hamina, a été primé en 1975.
Le cinéma du continent serait-il, comme ses rhinocéros, en voie de disparition? Les statistiques semblent indiquer que non. Du 26 février au 5 mars prochains, 475 films sont présentés au Fespaco, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. 18 longs-métrages concourent pour le grand prix de l’Etalon d’or de Yennenga (éthiopien depuis 2009), 7.000 festivaliers sont attendus et le délégué général de la biennale, Michel Ouédraogo, annonce un budget de 1,5 million d’euros. Ouagadougou revendique toujours son «titre» de capitale du cinéma africain.
L’apparente profusion de films n’est pas synonyme de succès financier pour le secteur. Le thème retenu par la 22e édition du Fespaco n’est-il pas «Cinéma africain et marchés»?
Le cinéma africain en crise
Selon le modèle économique dominant, les télévisions du continent devraient être des partenaires dans la production cinématographique. Indigentes, les chaînes se positionnent plutôt comme des concurrentes dans la distribution. On s’y abreuve de films télédiffusés et les salles de cinéma ferment leurs portes les unes après les autres.
Les cinéastes les plus persévérants se résignent à une diffusion grand écran confidentielle; mais ils se heurtent également à la piraterie que Michel Ouédraogo qualifie de «Sida culturel».
La rentabilité du cinéma africain peut être en effet qualifiée d'«immunodéficiente», tant le marché des DVD est inondé de produits de contrefaçons, tant les salles de projections informelles «surnommées «vidéoclubs»— omettent de payer les droits d’auteur, et tant les royalties du merchandising échappent aux cinéastes.
Les responsables du Fespaco en appellent à la volonté politique. Mais les gouvernements africains ont d’autres programmes d’ajustement structurel à fouetter…
Les créateurs africains auraient tort de ne se cacher que derrière l’argument budgétaire; ils devraient au moins y déceler la crise d’identité qui le sous-tend.
Se remettre en phase avec son public
Depuis 50 ans, le cinéma africain tète aux mamelles occidentales, celle des fonds publics de plus en plus rares —Fonds Sud cinéma du ministère français des Affaires étrangères, Organisation internationale de la francophonie, Fonds européen de développement—, mais aussi celle des diffuseurs, souvent européens —et élitistes.
Un film calibré sur les canons esthétiques de la chaîne culturelle Arte peut-il remplir la salle de cinéma d’un quartier populaire camerounais? Même si le monstre sacré sénégalais Sembène Ousmane n’était pas décédé, peut-être Moolaadé aurait-il été son dernier film. Il n’a en tout cas pas mobilisé les foules africaines… Pendant que les intellectuels glosent, les salles de projection se transforment en lieux de prières ou en boutiques.
Le cinéma, pour peu qu’il revendique sa vocation populaire, pourrait tout de même rebondir in extremis. Nollywood, le Hollywood nigérian, a montré la voie. Les spectateurs veulent des images africaines, mais se lassent du cinéma «calebasse» qui présente les sempiternels enjeux de villages sépia et sans âge.
Ils s’en agacent même parfois, tant ces films sont de nature à vérifier le discours dakarois de Nicolas Sarkozy: «répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles», «homme (…) immobile au milieu d’un ordre immuable», «nostalgie du paradis perdu de l’enfance»…
Le cinéphile africain a faim d’urbanité, comme dans le long-métrage sud-africain Mon nom est Tsotsi. Il a besoin qu’on appuie sur les plaies sociales d’aujourd’hui: la corruption dans le gabonais Les couilles de l’éléphant ou la polygamie dans l’ivoirien Couleur café.
Avide d’un cinéma du réel, il pourrait même accorder de plus en plus ses faveurs aux documentaires. Qu’importe si les théoriciens du septième art y trouvent un langage trop trivial ou lapidaire. Ce n’est pas qu’un effet du dilettantisme; ce nouveau cinéma vient souvent du monde de l’information. Au pays du Fespaco, par exemple, ce sont des journalistes qui bousculent le monde de la presse: l’homme de radio Aboubacar Zida dit Sidnaaba ou l’homme de presse écrite Boukakar Diallo.
Et le serpent se mord la queue: le discours sur l’identité finit par rejoindre la problématique économique. Ce sont ces nouvelles productions rapidement mises en boîte qui assurent aujourd’hui le semblant de rentabilité des dernières salles de projection. Les exploitants n’ont plus besoin d’aller chercher, à Paris, des films à la pellicule rayée et à la cible incertaine. Dans les capitales africaines, les centres culturels —français ou allemands— sont là pour jouer aux «cinés-clubs».
Sur le chemin d’un grand écran à nouveau en phase avec son public, les termes «populaire» et «de qualité» ne seront pas toujours antinomiques. Les cinéastes égyptiens ont relevé le pari depuis que Youssef Chahine orientait sa caméra vers Dalida.
Crise identitaire
Le leitmotiv du cinéma africain serait donc «des images africaines pour les Africains». Faut-il, pour autant, exiger que les films du continent noir soient africains? Idrissa Ouédraogo, primé dans le monde entier pour un cinéma jugé «exotique», tentait, il y a quelques années, de décoller l’étiquette, en affirmant «Je ne suis pas un cinéaste africain».
Vaste débat. En 2002, pour le film-chorale 11'09"01 September 11, n’est-ce pas le désir d’un regard typiquement africain qui avait garanti à Ouédraogo d’être sélectionné aux côtés de Sean Penn et Shôhei Imamura? Faut-il s’enferrer dans la calebasse ou en oublier jusqu’à la couleur, au risque de délaver l’identité de cinématographies nationales? Whatever lola wants, le film de Nabil Ayouch, n’a pas grand-chose de marocain…
Mais le panafricaniste Fespaco n’est pas «continentaliste». Une fois de plus, il remettra le prix Paul Robinson à une œuvre de la diaspora. Africaine et mondiale, la biennale pourra-t-elle s’abstenir de faire d’autres choix? L’alternative cinéma-télévision a-t-elle encore un sens, quand on sait que la compétition «TV & Video» du festival n’est pour nombre de cinéastes qu’un refuge temporaire, dans l’espoir que la médiatisation permette, plus tard, le kinéscopage de leurs films pour le grand écran?
Le festival ouagalais, comme le cinéma qu’il promeut, vit une crise identitaire —mais inversée. La manifestation populaire autour de films élitistes pourrait devenir la rencontre élitiste autour de films populaires.
A mesure que la production cinématographique africaine dédaigne les mondanités internationales, le Fespaco veut se parer de paillettes. La réputation de la biennale burkinabè s’est pourtant bâtie à la bonne franquette: pas de cérémonie d’ouverture dans une salle guindée, mais une inauguration gratuite dans un stade de football. Peu de projections «V.I.P», mais des séances propices à de joyeuses bousculades, la transpiration se coagulant dans la poussière de salles à ciel ouvert. Pas de starsystem inaccessible. Pas de snobisme. Pas de strass. En 2009, pourtant, Michel Ouédraogo voulut singer les festivals du nord en déroulant un tapis rouge au pays de la pourpre latérite.
Avant d’être africain, le cinéma africain ne doit pas oublier d’être… du cinéma. Le parrain de la 21e édition était le vénérable —mais astrophysicien— Cheick Modibo Diarra. Celui de la 22e est Elikia M'Bokolo... un historien.
Damien Glez