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Le capital-investissement, un enjeu essentiel pour l’Afrique
Simple produit financier pour certains, véritable outil de développement pour d’autres, le capital-investissement divise.
Longtemps perçue comme une terra incognita, l’Afrique subsaharienne est reconnue aujourd’hui comme un territoire attractif pour les investissements privés. En témoignent quelques chiffres: les levées de fonds ont atteint six milliards de dollars entre 2006 et 2008 contre deux milliards de dollars entre 2000 et 2005.
Si l’Afrique reste malgré tout une destination de dimension modeste, elle a accueilli moins de 4% des fonds levés pour l’ensemble des marchés émergents entre 2006 et 2008. Le continent constitue désormais une «nouvelle frontière» pour le capital-investissement.
Rapportée au PIB, l’activité de capital-investissement en Afrique subsaharienne est comparable à celle des Brics (Ndlr: sigle anglais qui désigne le regroupement de cinq pays dont l'Inde, la Russie, l'Afrique du Sud, le Brésil et la Chine. Ils constituent la nouvelle puissance mondiale) et même supérieure à d’autres régions. Les opérations de capital-investissement réalisées entre 2008 et 2010 ont représenté environ 0,17% du PIB contre 0,16% pour la Chine, et 0,10% pour l’ensemble de l’Amérique latine.
De nouveaux acteurs pour davantage de fonds
Longtemps soutenue principalement par les institutions financières de développement, l’activité de capital-investissement en Afrique subsaharienne attire des investisseurs de plus en plus diversifiés, en particulier privés et locaux.
La Development Bank of Southern Africa (DBSA) a ainsi observé que la part des institutions financières de développement dans les fonds qu’elle finance est passée de 54% entre 1995 et 2000 à 36% entre 2005 et 2009. L’arrivée de nouveaux acteurs entraîne une hausse des levées de fonds à destination de l’Afrique subsaharienne. Elles ont augmenté de 50%, pour atteindre 1,5 milliard de dollars en 2010 grâce à quelques fonds régionaux.
Kingdom Zephyr Africa Management a recueilli 492 millions de dollars en février 2010 pour son deuxième fonds Pan African Investment Partners Fund, tandis que l’investisseur Aureos Capital a levé 381 millions de dollars en février 2010 pour son dernier fonds ciblé sur l’Afrique. Au printemps 2011, The Carlyle Group, société de capital-investissement d’envergure mondiale, a annoncé l’ouverture d’un fonds dédié à l’Afrique subsaharienne, avec un objectif d’engagements d’au moins 500 millions de dollars.
Très concentré géographiquement (Afrique du Sud, Nigeria, Kenya) et sur certains secteurs (mines et énergie, banques), le capital-investissement élargit petit à petit son champ d’action. En 2010, 21% des opérations ont été réalisées en Afrique du Sud contre 56% en 2008 tandis que plus de la moitié des investissements se sont déployés dans des secteurs comme les produits alimentaires et les boissons, la santé, les médias et les télécommunications.
Des freins encore nombreux
Cependant plusieurs facteurs constituent un frein pour le développement du capital-investissement en Afrique subsaharienne: risque politique, valorisations d’entrée élevées, conditions de sortie difficiles, cadre juridique et réglementaire inadapté, environnements opérationnels difficiles…
Si, selon une étude d’Emerging Markets Private Equity Association (Empea), une association indépendante, fédérant au niveau mondial des investisseurs institutionnels et de gérants de fonds, 67% des investisseurs juge l’Afrique attractive en 2011, ils ont aussi indiqué que le manque de gérants de fonds expérimentés était un frein à leurs investissements en Afrique. Ils ont également pointé des opportunités d’investissement trop faibles.
La question de la rentabilité —supposée faible— est un autre frein important, car elle est une des conditions sine qua non du développement du capital-investissement en Afrique subsaharienne. Or, les taux de rendement interne globaux calculés sur les fonds des institutions financières de développement hollandaise (FMO), britannique (CDC) et française (Proparco) en Afrique sont de bons niveaux: entre 14 et 23%.
Un outil de développement
Les fonds de capital-investissement peuvent jouer un rôle clef dans le développement de l’Afrique. Ils sont d’abord une source importante de capital qui favorise la création d’entreprises et le développement de celles existantes. Une équipe de gestion de «qualité» peut, en tant qu’actionnaire, insuffler des bonnes pratiques de gestion, des règles de bonne gouvernance, une organisation plus adaptée, un reporting plus transparent ou une meilleure efficacité des ressources humaines. Elle peut aussi accompagner l’entreprise dans l’amélioration des ses standards environnementaux et sociaux, en particulier à travers des programmes d’assistance technique.
Enfin, les fonds ont un fort impact en termes d’emploi et d’activité et donc de revenus fiscaux pour les États, sans compter qu’ils créent un climat favorable aux investissements. Autant de facteurs déterminants pour la dynamique de croissance économique et le recul de la pauvreté. La rentabilité des fonds d’investissement, souvent décriée, doit au contraire être vue comme un gage de développement de cette activité en Afrique subsaharienne. C’est elle qui conditionne la diversification des opérateurs et leur plus grand nombre.
Le défi de la transparence
Ce mode de financement souvent réduit à la recherche de profit à court terme des investisseurs aux dépens de la stabilité des entreprises, est également accusé de participer à l’évasion fiscale, avec des montages d’optimisation parfois agressifs combinant les exemptions dans les pays d’accueil avec celles proposées par des juridictions offshore.
Les principales victimes sont les finances publiques de la plupart des pays en développement de l’Afrique subsaharienne. Par ailleurs, si les investisseurs trouvent dans les juridictions offshore transparence fiscale et sécurité juridique, ceci s’accompagne trop souvent d’une opacité et d’un déficit de supervision du capital-investissement.
Des défis auxquels le capital-investissement doit répondre, pour contribuer davantage au développement du continent. Le rôle des organisations multilatérales est essentiel dans l’encadrement de cette activité. Il doit apporter plus de transparence, à l’image de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), principal outil utilisé ces dernières années pour promouvoir, dans les pays producteurs, une meilleure gouvernance des revenus tirés de l’exploitation des ressources naturelles.
Benjamin Neumann
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