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Comment la Francophonie cherche à se réinventer
Si la langue française veut rester levier du développement, elle ne peut s'appuyer que sur l'émergence de nouvelles formes de médias.
Dans 35 ans, 700 millions d’êtres humains auront un point commun: l’usage du français, estime l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Elle précise également que 85 % de ces usagers de la langue de Molière vivront sur le continent africain. Oui mais voilà, cette lame de fond pourrait bien faire pschitt.
Faute d’accès à l’enseignement, nombre d’Africains risquent de facto de se tourner vers leurs langues maternelles respectives, voire d’autres langues comme l’anglais. Des solutions? Oui, former davantage d’enseignants. Autre chose? Peut-être, oui: encourager et favoriser le déploiement de médias francophones sur le continent.
Dans les rues de Dakar, le wolof a la cote. Nombre d’habitants de la capitale sénégalaise seraient bien en peine si on leur demandait quelques mots en français. Le phénomène est particulièrement marqué dans les quartiers populaires de la ville.
Cependant, même à la télévision et à la radio, le wolof domine. Idem dans les tribunaux. Les élites parlent wolof, les débats politiques, sociétaux ou culturels sont conduits dans cette langue véhiculaire.
Les premiers effets de cette prééminence du wolof ne se font pas attendre: «Le niveau de français à considérablement baissé au cours des dernières années», témoigne Oumar Sankharé, enseignant à l’Université de Dakar. Une situation d’autant plus délicate que vient s’y joindre le poids de l’histoire, puisque le Sénégal est considéré comme le berceau de la francophonie —Léopold Sédar Senghor oblige.
Que de nombreux Sénégalais parlent le wolof n’est évidemment pas une mauvaise chose. Qu’ils ne parlent que le wolof est en revanche un peu plus problématique, puisqu’ils font ainsi l’impasse sur une langue dont l’importance dans les échanges n’est plus à démontrer sur le continent africain.
Mais pour s’imposer en Afrique, le français doit irriguer un canal important de diffusion des langues: les médias. Des médias encore trop souvent réservés aux dialectes locaux, comme on l’a vu avec l’exemple du wolof à Dakar, ou à l’anglais, omniprésent.
Alors que les NTIC explosent en Afrique, entraînant par corolaire une densification de l’offre médiatique, la capacité du français à capter une large part de cette offre sera directement corrélée à son rayonnement futur sur le continent. Il n’est pas permis d’en douter.
Le tropisme africain des médias français
Du 8 au 10 octobre, Montréal, a accueilli une conférence internationale sur l’avenir des médias francophones, sous l’égide de l’OIF. L’événement s’est, bien entendu, intéressé à l’effort entrepris par la France pour augmenter sa présence en termes de médias en Afrique, et ces efforts sont importants.
Alléchés par les prévisions de l’OIF tablant sur la présence de plus d’un demi-milliard de francophones dans les prochaines années, les fleurons français de l’industrie médiatique sont en ordre de bataille. Après s’être longtemps fait damer le pion par les Chinois, ayant massivement investis dans les médias africains de langue française ou anglaise aux premières heures de la révolution 2.0, les mastodontes tricolores se sont réveillés.
Lagardère Active souhaite exporter Gulli, sa chaîne jeunesse, sur le continent africain. France 24 propose depuis la mi-2013 deux journaux consacrés à l’Afrique. TV5 vient de créer un magazine intitulé «Africanité» portant sur les modes de vie du continent. Jeune Afrique, en cheville avec Canal+, a créé «Réussite», émission ayant vocation à présenter les entrepreneurs africains couronnés de succès.
La presse écrite et la presse en ligne ne sont pas en reste. Le Point a ainsi mis en orbite, il y a quelques mois, Le Point Afrique, Le Monde ne tardera pas à créer une section Afrique sur son site, le Figaro devrait lui aussi proposer une offre similaire. Et Slate Afrique, pour sa part, s’est imposé depuis 2011
«Une politique volontariste et la structuration de filières compétitives et exportatrices (…) nous semblent des enjeux déterminants pour la France. Elles lui permettraient d’assurer son rayonnement, de pérenniser sa langue (…)» soutiennent Jérôme Bodin et Pavel Govciyan, analystes médias chez Natixis, à propos de l’ambition tricolore de créer un véritable pôle médiatique africain.
En prenant du recul, on remarque que la France se retrouve dans la position de partir à l’assaut d’un marché qui n’en deviendra un que si elle le façonne elle-même. Autrement dit, alléchés par les projections de l’OIF, les médias français prévoient un débarquement massif outre-Méditerranée, débarquement sans lequel ces prévisions ont de fortes chances de ne pas se réaliser.
Bastien Delvech