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Les présidents Nicolas Sarkozy et Abdelaziz Bouteflika au sommet Afrique-France, Nice, 31 mai 2010. REUTERS/Eric Gaillard
Les présidents Nicolas Sarkozy et Abdelaziz Bouteflika au sommet Afrique-France, Nice, 31 mai 2010. REUTERS/Eric Gaillard

Sarkozy n'a plus de leçon à donner à la Turquie

A l'aube du 50ème anniversaire de l'indépendance algérienne, la France ne semble pas la mieux placée pour donner des leçons d'histoire.

Mise à jour du 29 février: Le Conseil constitutionnel a censuré mardi 28 février la loi controversée pénalisant la négation des génocides reconnus par la France, notamment celui des Arméniens par les Turcs en 1915.

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Mise à jour du 24 janvier: La Turquie a vivement condamné hier l'adoption définitive par le Sénat français d'une loi pénalisant la négation des génocides, notamment celui des Arméniens par les Turcs en 1915, brandissant la menace d'une "rupture totale" des relations diplomatiques entre Paris et Ankara.

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Et le passé colonial de la France alors? C’est la question que des millions d’Africains, et notamment d’Algériens, vont très certainement poser en apprenant que le président français Nicolas Sarkozy vient de demander à la Turquie, d’aucuns diront qu’il vient de la sommer, de reconnaître le génocide arménien de 1915-1916.

«La Turquie, qui est un grand pays, s'honorerait à revisiter son histoire comme d'autres grands pays dans le monde l'ont fait, l'Allemagne, la France. On est toujours plus fort quand on regarde son histoire et le négationnisme n'est pas acceptable», a ainsi déclaré le locataire du Palais de l’Elysée après avoir rendu hommage, avec son homologue arménien Serge Sarkissian, aux victimes du massacre perpétré par les troupes ottomanes.

Les Algériens grinçent des dents

En Algérie, où l’on n’a toujours pas digéré la fameuse loi sur le rôle positif de la colonisation de 2005 (abrogée depuis), cette sortie électoraliste du président français à l’approche du scrutin présidentiel de 2012 (la communauté arménienne compte près de 500.000 membres) fait d’ores et déjà grincer des dents. «De quoi se mêle-t-il? Il se croit le roi du monde? Peut-être que c’est sa "victoire" en Libye qui lui a fait prendre la grosse tête» ironise un éditorialiste algérois interrogé par SlateAfrique. Ce dernier rappelle que rien n’est encore réglé entre la France et l’Algérie à propos de la question mémorielle. Pour un diplomate algérien longtemps en poste à Paris, «Sarkozy a opposé une fin de non-recevoir aux demandes algériennes de voir officiellement condamnée la période coloniale. Et voilà qu’il va faire la leçon aux Turcs. Pourquoi ne la fait-il pas à son ami David Cameron puisque la Grande-Bretagne refuse toujours d’employer le terme de génocide?»

L’hommage (pourtant très prudent) rendu récemment par Nicolas Sarkozy aux harkis de France mais aussi la multiplication d’initiatives plus ou moins autonomes de l’UMP (le parti de Sarkozy) pour rendre hommage aux anciens membres de l’Armée organisation secrète (OAS), ont beaucoup irrité les autorités algériennes.

«Il y avait un accord tacite. L’Algérie devait remiser ses exigences d’excuses officielles voire de réparation financière tandis que la France devait cesser de nous provoquer en glorifiant une période terrible pour le peuple algérien. Quand Sarkozy se mêle d’une question qui concerne d’abord la Turquie et l’Arménie, il prend le risque de réveiller la colère des Algériens», poursuit le diplomate.

Dans un contexte électoral français tendu, la perspective des célébrations du cinquantième anniversaire de l’indépendance algérienne en juillet prochain pourrait donc aviver les tensions bilatérales et provoquer de nouvelles polémiques mémorielles.

On ne touche pas au héros Erdogan

«J’attends avec impatience la réaction turque» s’esclaffe de son côté un homme d’affaires franco-algérien. C’est que, dans l’affaire, l’Algérie se retrouve presque de force au centre du bras de fer récurrent entre Paris et Ankara au sujet du génocide arménien. En effet, à chaque initiative française concernant les massacres de 1915-1916, une grande partie de la classe politique turque ressort le thème de l’Algérie coloniale. Ainsi, en octobre 2006, un projet de loi français, rédigé par des parlementaires socialistes, entendait criminaliser la négation du génocide arménien. Cette initiative, reprise à son compte par le candidat Sarkozy en 2007, a alors provoqué la fureur du parlement turc lequel a répliqué en élaborant un projet de loi qualifiant les massacres subis par les Algériens pendant toute la périodecoloniale de «génocide» qui seront assorties de mesures de prison pour ceux qui en nieraient la réalité. Notons au passage qu’aucun des deux textes n’a été adopté pour le moment mais la presse algérienne a largement salué l’initiative turque et exigé du président Bouteflika qu’il soutienne officiellement la position turque sur la question arménienne.

Par ailleurs, la mise en cause régulière de la Turquie par Nicolas Sarkozy, adversaire déclaré de l’entrée de ce pays dans l’Union européenne, risque de peser dans les relations entre la France et une bonne partie du monde arabe. Comme l’explique encore le diplomate algérien,

«La France a peut-être fait tomber le régime de Kadhafi mais au Maghreb comme dans nombre de pays du Proche-Orient, Egypte comprise, le véritable héros s’appelle Erdogan».

En clair, en provoquant les Turcs, sans être sûr d’en retirer un avantage électoral décisif comme le montre la réaction mitigée des associations arméniennes de France, Nicolas Sarkozy risque de s’aliéner une bonne partie des opinions publiques arabes désormais fascinées par le «modèle turc».

Akram Belkaïd (Le Quotidien d'Oran)

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Akram Belkaïd

Akram Belkaïd, journaliste indépendant, travaille avec Le Quotidien d'Oran, Afrique Magazine, Géo et Le Monde Diplomatique. Prépare un ouvrage sur le pétrole de l'Alberta (Carnets Nord). Dernier livre paru, Etre arabe aujourd'hui (Ed Carnets Nord), 2011.

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