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L'armée a-t-elle trahi la révolution?
Plus de sept mois après le départ d'Hosni Moubarak, le pouvoir militaire serre la vis.
Mise à jour du 18 novembre: De nombreux partis ont appelé à manifester au Caire aujourd’hui sur la symbolique place Tahrir. Des manifestants réclament le départ du Conseil militaire au pouvoir, le maréchal Tantawi et des élections présidentielles en avril 2012. Au lendemain de la chute d’Hosni Moubarak, l’armée égyptienne au pouvoir avait déclaré qu’elle quitterait le pouvoir au bout de six mois. Or neuf mois plus tard l’ordre militaire règne en Egypte. Et le Conseil suprême des forces armées annonce un transfert mi-2012.
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«L’armée et le peuple, une seule main», scandaient les Egyptiens pendant les 18 jours de soulèvements qui ont conduit au départ du pharaon Moubarak. Sept mois après, l’enthousiasme est moins grand. Vu comme une force conservatrice et contre-révolutionnaire, l’armée essuie de vives critiques, notamment son chef Mohammed Hussein Tantaoui, autrement appelé Muchir. Au lendemain de la chute d’Hosni Moubarak le 11 février, l’armée était pourtant perçue comme un élément déterminant de la révolution, qui avait permis le départ du raïs. «La noble armée» avait naturellement récolté les premiers fruits du mouvement de contestation, en reprenant les rênes du pays. Se photographier aux côtés des chars après avoir acheté un mini drapeau égyptien figurait alors parmi les passages obligés. Les images de soldats exprimant leurs solidarités avec le peuple égyptien faisaient partie de l’iconographie révolutionnaire.
L'image de l'armée dégradée
Mais depuis quelques mois, ces images s’écornent et se froissent. Le 8 juillet dernier sur la place Tahrir, certains pamphlets réclamaient déjà la constitution d'un conseil présidentiel, à la place du conseil militaire. L’armée et son chef Mohammed Hussein Tantaoui étaient critiqués pour leurs conservatismes et la violence exercée à l’encontre des manifestants. Progressivement, les jeunes partis politiques et plus tardivement les frères musulmans, ont clairement exprimé leurs oppositions avec le Conseil suprême des forces armées, à la tête du pays. Sauf qu’en moins de deux semaines, ce sont quatre vidéos qui trahissent l’armée. Elle y apparait comme une force de répression, sans foi ni loi.
Nuit meurtrière en Egypte
Il est encore trop tôt pour dire ce qu'il s'est véritablement passé dans la nuit du 9 octobre. Une semaine après l'incendie survenue dans une église de la province d'Assouan, une marche était organisée pour réclamer la chute du muchir, le chef du conseil suprême des forces armées, Mohammed Hussein Tantaoui. Selon les premiers témoignages, les manifestants auraient été attaqués par des baltaguia, des hommes de mains payés pour semer le chaos et la discorde. Toutefois des vidéos montrent que les chars de l'armée ont eu leur rôle dans la nuit meurtrière. Les images sont si violentes, qu'elles rappellent une tragique vidéo liée à la révolution égyptienne. Un véhicule des forces de l'ordre, filmée en plongée, heurtait un manifestant sur son chemin. La corde communautaire a toujours été sensible en Egypte et le régime Moubarak jouait avec elle. Une étincelle prend très vite et le régime militaire en place le sait.
Une semaine avant, l'armée réprimait...
Mercredi 5 octobre, une autre vidéo est postée par un internaute Elle met en scène des soldats qui n’hésitent pas à user de la force contre des manifestants coptes ayant eu le malheur de tomber entre leurs griffes. L’un des manifestants, vêtu d’un tee-shirt rouge est arrêté par les soldats qui le tirent par le bras. Les soldats s’acharnent sur le jeune manifestant en lui donnant des coups de pieds et des coups de bâtons. On voit certes un officier qui tente d’appeler ces hommes au calme, mais il ne semble toutefois pas très volontaire pour arrêter ce lynchage collectif. Fort de ses armes et de son impunité, l’armée réprime toute manifestation qui critique ses pratiques et son rôle dans l’Egypte post-Moubarak.
Ces vidéos sont-elles le symptôme d’une armée frileuse à l’idée de changement, frileuse à l’idée de perdre le monopole économique et politique qu’elle a depuis la chute du roi Farouk en 1952?
Depuis Gamel Abdel Nasser, les présidents de la république égyptienne sont des officiers. Le raïs déchu Hosni Moubarak avait conduit les troupes égyptiennes en octobre 1973 pendant la guerre du Kippour qui opposaient une coalition arabe menée par l’Egypte et Israël. C’est l’image d’Hosni Moubarak en guerre qui a marqué les esprits de nombreux Egyptiens. Jusqu’ici l’armée était plutôt discrète. Elle soignait son image de gardienne de la nation égyptienne en temps de guerre, notamment contre le voisin israélien. Sa place centrale dans la société n’était pas autant critiquée, tant sur le plan politique qu’économique.
Activiste dans la ligne de mire
Ces critiques, elles viennent notamment d'activistes, connectés toute la journée sur les réseaux sociaux et prêts à partager leurs avis sur la situation politique en Egypte. Dimanche 2 octobre, de nouvelles images viennent démontrer la crispation de l’armée et sa volonté de contrôler la transition politique à l’aube des élections législatives prévus le 28 novembre prochain. La victime, c’est Gigi Ibrahim, une activiste phare de la révolution égyptienne. Elle filme une discussion au ton assez vif entre un officier de l’armée et des conducteurs de bus en grève. Mais très vite l’officier remarque Gigi Ibrahim et lui somme d’arrêter de filmer. Ce dimanche 2 octobre, Gigi Ibrahim est arrêtée et relâchée au bout de trois heures. «J’étais en train de filmer quand le colonel Mohammed Amin s’est approché de moi et a essayé de me retirer la caméra», rapporte la jeune femme au quotidien égyptien Al-Ahram.
Gigi Ibrahim était à peine libérée qu’elle twittait déjà «Merci à cette merveille technologie. J’ai pu filmer une vidéo qui montrera ma putain de nuit.»
Deux contre tous
Lors d’un interrogatoire filmé, des agents de police associés à des soldats s’acharnent sur deux hommes, qu’on voit dans un premiers temps au sol, les mains attachés et les yeux bandés. Trois claques suffisent à réveiller l’un des hommes, vêtu d’une galabiyya. Aussitôt debout, il reçoit plusieurs coups. La scène est filmée et photographiée. Tous les coups sont permis pendant que le responsable, habillé en civil, interroge les deux prisonniers. Il leur demande la provenance de pistolets et de fusils, trouvés chez ces deux Egyptiens. «L'armée,Tantawi et le ministère de l'Intèrieur» voudraient savoir d'où viennent ces armes, précise l'agent. Mais l’interrogatoire vire rapidement au lynchage, le bruit des claques, du Taser et des coups étouffants presque la voix de l’homme qui les interroge. La vidéo postée sur les réseaux sociaux a tout de même conduit l’armée à ouvrir une enquête. Mais très vite, les résultats tombent. Version officielle: la vidéo est une fausse vidéo. Les quatre officiers arrêtés pour avoir participé au lynchage, sont donc libérés, raconte le quotidien égyptien Ahram Online.
Le choc des générations
Depuis sept mois, l’armée est au centre de la scène politique, avec un Conseil suprême des forces armées à la barre du navire égyptien. L’armée n’est plus dans l’ombre, elle est happée par l’immédiateté et la rapidité des réseaux sociaux. Nombre d’Egyptiens engagées dans le processus révolutionnaire engagé le 25 janvier 2011 participent à cette réactivité interactive en postant des vidéos et des photos sur la toile. Le conseil militaire agit comme si une partie de la jeunesse ne s’était pas libérée des barrières instaurées par les régimes précédents.
Or l’accélération remarquée en octobre montre que certaines pratiques du pouvoir ne peuvent plus s’effectuer dans le silence. Au contraire, elles sont diffusées et partagées. En représailles et par souci de contrôle de son image, le conseil des forces armées s’adonnent à la censure des médias et des blogueurs qu’elle condamne à plus de trois ans de prisons pour avoir osé critiqué l’armée égyptienne. C’est le cas de Maikel Nabil, ce jeune activiste de 26 ans, arrêté et condamné en avril dernier, après la publication d’un article intitulé «l’armée et le peuple ne seront jamais une seule main».
Nadéra Bouazza
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