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© Damien Glez - Tous droits réservés
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La France fait ses valises (Màj)

Paris a multiplié les faux-pas diplomatiques sur le continent, si bien que son influence est menacée d'Abidjan à Tunis.

(Mise à jour : La ministre des affaires étrangères de la France, Michèle Alliot-Marie a présenté sa démission le 27 février. Mais dans sa lettre de démission MAM explique qu'elle a "le sentiment de n'avoir commis aucun manquement. Elle est remplacée au quai d'Orsay par Alain Juppé, qui était jusqu'alors ministre de la défense.)

 

Des manifestations le 19 février devant l’ambassade de France à Tunis. Des banderoles avec des slogans particulièrement virulents tels que «Dégage, petit Sarko». Boris Boillon, un ambassadeur de France obligé de présenter des excuses à la télévision nationale afin de calmer la colère des Tunisiens qui réclament son départ. Ils l’accusent d’arrogance après qu'il a tenu des propos particulièrement peu amènes à l’égard des journalistes qui l’interrogeaient lors d’une conférence de presse.

Très fier de sa maîtrise de l’arabe classique, il se serait lâché dans la langue du Coran et dans celle de Molière: il aurait notamment qualifié de «débiles» et de «nulles» certaines questions des journalistes. La vidéo de cet échange de haute volée a été visionnée sur YouTube par des milliers de Tunisiens. Une page Facebook, intitulée «Boris Boillon dégage», connaît, elle aussi, un grand succès sur le Net.

La situation est d’autant plus étonnante que cet ambassadeur vient d’être nommé pour rétablir de bonnes relations entre la France et la Tunisie. Son prédécesseur a récemment été limogé —il n’avait pas su prévoir la chute de Ben Ali.

La France, attentisme et pieds dans le plat

Le jour de la fuite du dictateur (le 14 janvier) le diplomate se montrait rassurant. Il n’aurait pas invité le quai d’Orsay à la vigilance. Le soir de la chute de Ben Ali, Paris n’a pas trouvé de mots pour commenter l’événement. Un silence étourdissant s’était emparé de la diplomatie française —alors que Washington n’avait pas été saisie par les délicieuses prémices du week-end et que la diplomatie américaine multipliait les déclarations publiques.

Des manifestations hostiles au représentant de la France en plein Tunis; pareil spectacle aurait paru inconcevable, il y a quelques jours encore. La «patrie des droits de l’Homme» a longtemps été considérée comme le modèle à suivre pour nombre de Tunisiens. Mais la gestion calamiteuse de la fin de règne de «l’ami Ben Ali» a fait des dégâts.

La France officielle l’a toujours soutenu. Sa politique s’était notamment attirée les louanges de Jacques Chirac, de Philippe Seguin ou de Nicolas Sarkozy. Nul besoin de faire un florilège des lauriers qui lui ont été tressés. Le président tunisien était présenté comme le rempart à l’islamisme. Beaucoup d’hommes politiques avaient fait leur le credo d’un célèbre éditorialiste français: «Plutôt Ben Ali que Ben Laden». A défaut d’être glorieux, ce discours se comprend.

Mais comment expliquer qu’en pleine Révolution du jasmin, Michèle Alliot-Marie, la ministre des Affaires étrangères ait cru bon de proposer de mettre à disposition de Ben Ali le «savoir-faire» des forces de l’ordre française?

Comment expliquer qu’elle ait pris ses vacances en Tunisie alors même que la Révolution avait déjà commencé? Comment comprendre qu’elle ait voyagé dans un jet appartenant à un homme d’affaires proche du clan Ben Ali? Comment expliquer que ses parents aient été du voyage et qu’ils en aient profité pour faire des affaires?

Certes, Michèle Alliot-Marie ne peut être tenue pour responsable des actes de sa famille. Mais aux yeux des Tunisiens le mal est fait. Pour nombre d’entre eux, le «clan Alliot-Marie» faisait des affaires avec «le clan Ben Ali», alors même que Mohamed Bouazizi était en train d’agoniser.

Symbole de la Révolution du jasmin, Mohamed Bouazizi, jeune diplômé au chômage, s’est immolé par le feu afin de protester contre le régime qui l’empêchait de faire vivre sa famille. Son geste est resté dans tous les esprits des Tunisiens. Beaucoup le considèrent comme le martyr et le père de la Révolution du jasmin.

Dans l’un de ses poèmes, l’écrivain tunisien Taoufik Ben Brik le qualifie même de «saint Bouazizi». Il est vrai que l’acte de ce jeune tunisien désespéré envoie un message très clair aux gouvernants: vous m’avez privé de toutes mes libertés, sauf celle de mettre fin à mes jours.

«Principe de non-ingérence» et néocolonialisme

Sans l’affaire Alliot-Marie, il est peu probable que la réception du nouvel ambassadeur de France se soit révélée aussi houleuse. Pour justifier la piteuse prestation de la diplomatie française en Tunisie, Nicolas Sarkozy a évoqué le «principe de non-ingérence». Une prestation qui a amusé au plus haut point la presse anglo-saxonne.

The Economist s’avoue peu convaincu par l’argument élyséen:

«Surpris en flagrant délit d’indolence par la Révolution du jasmin, le gouvernement français a réagi en faisant ce que les Français font de mieux: il a imaginé une théorie pour expliquer sa conduite. Non seulement la France n’avait pas été prise de court par les événements, mais contrairement à Washington, elle n’avait pas condamné la violence de la répression contre les manifestants tunisiens. En guise de justification, Paris a alors invoqué le "principe de non-ingérence".»

 Le discours du chef de l'Etat est d’autant moins convaincant que dans le même temps, ce fameux principe de non-ingérence n’est pas du tout appliqué dans un autre pays du continent qui se trouve sous les feux de l’actualité: la Côte d’Ivoire.

Au lendemain  de l’élection présidentielle du 28 novembre, Nicolas Sarkozy avait donné 72 heures à Laurent Gbagbo pour quitter le pouvoir. Les partisans du président sortant ont immédiatement répliqué par la voix de Charles Blé Goudé. Le ministre de la Jeunesse a eu beau jeu d’expliquer que Gbagbo Laurent n’était pas un «sous-préfet» que la France pouvait révoquer à son gré.

Avec cette déclaration fracassante, Sarkozy a sans doute —et sans le vouloir— rendu un fier service à Gbagbo: il a donné des arguments aux partisans du président sortant, toujours prompts à accuser la France de néocolonialisme. «Je n’aime pas particulièrement Gbagbo, mais je me suis senti obligé de le soutenir après cette sortie de Sarkozy. Nous ne sommes plus une colonie, nous sommes indépendants depuis 1960», explique Didier, un enseignant ivoirien.

Laurent Gbagbo n’est pas davantage épargné par Michèle Alliot-Marie qui le traite publiquement de «dictateur» —un qualificatif qui n’était pas utilisé à l’encontre de Ben Ali. Il est vrai que les élections se passaient nettement mieux en Tunisie; le président réalisait des scores qui flirtaient avec les 99%. Et en général, les autres candidats avaient le bon goût et la délicatesse d’appeler les électeurs à voter pour… Ben Ali.

La position de l’ambassadeur de France en Côte d’Ivoire est encore plus compliquée que celle de son homologue en Tunisie. Le régime de Gbagbo lui a demandé de plier bagage. Là encore, cette situation aurait paru inimaginable il y a peu, la Côte d’Ivoire étant le pays d’Afrique qui avait noué les liens les plus étroits avec la France.

Félix Houphouët-Boigny (au pouvoir de 1960 à 1993), le «père de la nation», était l’inventeur de la célèbre formule «Françafrique» qui dans sa bouche n’avait rien de péjorative. Selon une légende urbaine tenace, sous son règne un tunnel reliait la présidence à l’ambassade de France. A l’époque, les liens étaient très étroits. Trop sans doute.

Mais aujourd’hui, la méfiance —voire la haine— s’installe. Toute action de la France est souvent jugée suspecte. Paris a trop souvent oublié que dans les ex-colonies un langage trop brutal n’est plus accepté, par les dirigeants mais aussi par la jeunesse. Lors d’une visite à Bamako, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait déclaré: «la France n’a pas besoin de l’Afrique». Un discours fort peu diplomatique qui avait choqué jusque dans les pays voisins.

En 2007, le discours de Dakar sur l’homme africain qui n’est «pas suffisamment rentré dans l’Histoire» avait aussi irrité au plus haut point. «Est-ce à l’ancien colonisateur d'avoir ce genre de discours. Est-ce à Nicolas Sarkozy de tenir ce type de propos? N’est-ce pas plutôt aux Africains eux-mêmes de juger s’ils sont suffisamment rentrés dans l’histoire?» s’interroge l’écrivain béninois Serge Félix N'Piénikoua.

La diplomatie française est d’autant plus en difficulté sur le continent que Laurent Gbagbo dispose d’un nouveau soutien de poids: celui de Jacob Zuma, le président de l’Afrique du Sud.

En langage diplomatique, Zuma vient d’envoyer un message très clair à la France: elle doit laisser les Africains régler seuls la question ivoirienne. Première puissance économique d’Afrique, le pays dirigé par Jacob Zuma veut développer son influence sur l’ensemble du continent, quitte à le faire aux dépens de Paris. Avec d’autres, l’Afrique du Sud invite la France à faire ses valises.

Sur le continent noir, le temps des chasses gardées est révolu. La Chine, les Etats-Unis et bien d’autres puissances poussent leurs pions avec patience et méthode. La diplomatie française trouvera-t-elle les ressources nécessaires pour résister et maintenir les positions de Paris dans la région? Au vu du fiasco tunisien, rien n’est moins sûr.

Pierre Cherruau

Pierre Cherruau

Pierre Cherruau a publié de nombreux ouvrages, notamment Chien fantôme (Ed. Après la Lune), Nena Rastaquouère (Seuil), Togo or not Togo (Ed. Baleine), La Vacance du Petit Nicolas (Ed. Baleine) et Dakar Paris, L'Afrique à petite foulée (Ed. Calmann-Lévy).

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