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A quoi servent les sanctions contre le Zimbabwe?
L’Union européenne a renouvelé le 16 février ses sanctions contre le Zimbabwe. 163 personnes et 31 compagnies sont visées. Reste à savoir si ces sanctions sont vraiment utiles pour restaurer la démocratie.
«Il faut lever ces sanctions inhumaines, cruelles et infondées», avait lancé le président zimbabwéen Robert Mugabe en 2009, quelques mois après la formation d’un gouvernement d’union nationale avec son opposant, le Premier ministre Morgan Tsvangirai.
Après la pitié, Robert Mugabe a joué la carte de la menace: il ne ferait plus aucune concession et empêcherait toute négociation avec ses partenaires africains si «l’Occident» ne levait pas ses sanctions «illégales». Qu’importent les apitoiements du président au pouvoir depuis plus de trente ans; l’Union Européenne a revoté.
En quoi consistent-elles?
On a tout entendu —ou presque— sur ces sanctions. Surtout dans la presse d’Etat zimbabwéenne. Les barons du parti de la Zanu-Pf (Zimbabwean African national union et Patriotic front, le parti au pouvoir) ne cessent de les tenir pour responsables de la terrible crise économique qui frappe le pays.
En 2008, avant la formation du gouvernement d’union nationale, l’inflation avait atteint des records inimaginables, et le prix d’un simple morceau de pain pouvait dépasser des centaines de trillions de dollars zimbabwéens. Aujourd’hui, le parti d’opposition Movement for Democratic Change (MDC) a hérité du ministère des Finances et introduit le dollar américain.
L’économie s’est un peu stabilisée. Mais 80% de la population est au chômage et vit de l’économie informelle. Les entreprises ont peur d’investir dans un Etat qui ne respecte pas la propriété privée.
Malgré ce que peut en dire la propagande de la Zanu-Pf, ces sanctions n’ont pas de lien direct avec la crise économique. Elles ne sont pas destinées à étouffer le pays. La Grande-Bretagne a encore beaucoup trop d’investissements dans son ancienne colonie pour risquer un tel pari.
Les 163 personnes et les 31 compagnies listées souffrent d’un gel de leurs avoirs en Europe, aux Etats-Unis et en Australie, ainsi que d’une interdiction de voyager dans ces pays. Mais comme dirait Robert Mugabe, avec sa verve provocatrice habituelle:
«Nous n’avons que faire d’une interdiction de voyager en Europe. Nous ne sommes pas européens!»
L’UE a également voté une suspension des ventes d’armes ou «de tout instrument de violence qui pourrait être utilisé contre la démocratie». Sauf que, problème, cette interdiction du trafic d’armes n’a pas été votée au Conseil de sécurité des Nations Unies. Donc la Chine ou la Russie, par exemple, peuvent encore vendre allégrement leurs biens.
D’autre part, les personnes et les compagnies visées par les sanctions ont des comptes en banque bien plus importants en Asie du Sud-Est ou dans d’autres pays d’Afrique. La Chambre des mines du Zimbabwe, qui pille depuis longtemps les ressources du pays, n’a pas vraiment besoin des conseils ou de l’argent des banques européennes pour prospérer.
Autre faille apparente dans les clauses énoncées par l’UE: les avoirs sont gelés, mais les personnes sous sanctions peuvent utiliser leur argent «pour des dépenses de base telles que des dépenses médicales, le paiement d’un loyer ou d’une hypothèque immobilière», et peuvent bénéficier d’un «recours à cet argent pour faire face à des dépenses extraordinaires». Lesquelles? Cela n’est pas mentionné.
Qui sont les personnes visées par les sanctions?
La baronne anglaise Catherine Ashton, représentante de l’UE pour les Affaires de politique étrangère, a annoncé que 35 noms avaient été retirés de la liste. Officiellement, c’est un «geste pour encourager les réformes sociales et économiques du gouvernement d’union».
En réalité, la majorité des personnes n’étant plus visées par les sanctions sont les épouses d’hommes influents ou bien des personnes décédées. Leur suppression est davantage un symbole qu’une réelle concession.
Les 163 noms restants ne sont pas que des politiciens. Le président Robert Mugabe est en tête, mais on compte également des journalistes de la télévision d’Etat, des buinessmen, d’anciens ou actuels ministres de la Zanu-Pf, policiers, mais aussi le président de l’Association des médecins ou de la Fédération de cricket, des membres de l’Eglise proches du pouvoir, ou encore les organisateurs des élections de 2005.
Selon une source de la diplomatie française:
«Cette liste est bien trop longue et perd sa crédibilité. Dans la liste, il y a même une femme qui a bénéficié de ses liens avec le pouvoir pour ouvrir un salon de coiffure.»
L’Europe divisée
Des voix commencent à s’élever au sein de l’UE, et tout le monde ne soutient pas ces sanctions qui minent le processus démocratique plus qu’elles ne l’encouragent.
«La communauté internationale a besoin de voir les choses qui vont bien pour donner de la force à l’opposition. Si l’on continue à faire du Zimbabwe un pays proscrit, c’est Morgan Tsvangirai qui perdra la bataille», dit-on dans les salons des Européens d’Harare, la capitala du pays.
Sous pression de son adversaire, ce dernier a dû demander officiellement la levée des sanctions, mais des câbles divulgués par WikiLeaks ont révélé qu’il soutenait la communauté internationale en sous-main. Les journaux d’Etat l’ont fait passer une fois de plus pour la «marionnette des blancs». Son image a été ternie auprès de ses électeurs, et il se trouve actuellement sous la menace d’un procès pour haute trahison.
Pour la Grande-Bretagne, il est toutefois inconcevable de lever les sanctions. Selon de nombreux diplomates français en poste au Zimbabwe depuis 2008, «il est impossible de les faire changer de politique. Ils sont aussi entêtés que Mugabe». Le Zimbabwe est devenu un symbole et une lutte personnelle entre l’ancien colon et le chef d’une nouvelle Afrique «qui ne sera plus à la botte des blancs». Pour les deux forces en présence, ces sanctions sont une arme politique: à Londres, on félicite l’intransigeance britannique face à la dictature, et à Harare on nourrit la propagande d’Etat qui fait passer le pays pour une victime des blancs.
Cette mesure, mise en place depuis bientôt dix ans, est censée encourager le processus démocratique et faire plier les barons du parti. Avec toutes les failles que comportent ces sanctions et les alliés africains et asiatiques du pays, il n’y a aucune chance pour que cela fonctionne. Selon Heidi Holland, auteure de la célèbre biographie Dinner with Mugabe, l’ancien leader de la libération se complaît dans ce bras de fer contre l’occident, et «seul le dialogue pourrait le faire changer.»
Sophie Bouillon