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Afrique du Sud, les libertés menacées
Des inquiétudes pèsent sur l’avenir des libertés publiques en Afrique du Sud avec la nomination d’un juge critiqué pour son homophobie et son conservatisme, à la tête de la Cour constitutionnelle.
Le tapage médiatique et la levée de boucliers qui ont précédé la nomination du juge Mogoeng Mogoeng à la tête de la Cour constitutionnelle sud-africaine, n’auront pas eu raison de l’obstination du président Jacob Zuma. Le chef de l’Etat sud-africain, malgré les critiques, a fini par imposer son «poulain» comme premier magistrat du pays, début septembre 2011. Avant son audition par ses pairs, l’ensemble de la presse et l’opinion publique nationale ont tous dénoncé le fait que, selon eux, le juge Mogoeng Mogoeng représentait une menace sérieuse sur la démocratie et les libertés acquises avec la Constitution post-apartheid de 1996. Ceci, a-t-on entendu ci et là, en raison des positions conservatrices et homophobes de cet homme de 50 ans, par ailleurs, pasteur évangélique au sein de l’église des Winners Chapel International, qui réprouve avec véhémence l’homosexualité.
Le Mail&Guardian, l’une des publications à n’avoir fait aucun cadeau au nouveau président de la Cour constitutionnelle, a publié sur le sujet une série d’articles au vitriol. Tous dénonçaient les hauts faits d’armes du juge Mogoeng.
«Il aurait fait preuve d’une indulgence coupable dans des affaires de viols et de violences conjugales. Farouchement homophobe, il aurait en outre fait l’apologie de la peine de mort lorsqu’il était gouverneur de l’Etat du Bophuthatswana (nord-ouest) à la fin des années 80.»
Déluge de critiques
Un portrait à charge, appuyé par les protestations que l’on entend encore dans le pays, de l’opposition, du Congress of South African Trade Unions (Cosatu, centrale syndicale proche du pouvoir), des associations de lutte contre le sida, celles de défense des homosexuels et de défense des droits des femmes. Un concert de protestations auquel se sont d’ailleurs jointes pas moins de trois femmes prix Nobel de la paix. L’Iranienne Shirin Ebadi, l’Irlandaise Mairead Maguire et l’Américaine Jody Williams ont signé un communiqué conjoint pour livrer leurs inquiétudes:
«Nous croyons que la nomination du juge Mogoeng aura un effet négatif sur la confiance des femmes dans le système judicaire et flétrira la réputation de l’Afrique du Sud de champion de l’égalité et des droits des femmes.»
En effet, tout le problème est là. Si la Constitution sud-africaine n’était pas l’une des plus libérales au monde, peut-être que les inquiétudes suscitées par la nomination d’un juge «conservateur» pour y veiller n’auraient pas la même ampleur. Acquise de haute lutte en 1996, après de longues années d’apartheid et de discriminations en tout genre, la loi fondamentale du pays est un modèle de respect de l’égalité et des libertés individuelles. Elle interdit toute forme de discrimination quelle que soit la race, le sexe ou les orientations sexuelles.
Sur le principe, la Constitution du pays met en avant la promotion de la femme et punit sévèrement tous les abus et les violations dont elles peuvent être victimes. Elle favorise l’éducation des jeunes filles et prévoit des dispositifs plutôt efficaces pour aider à résoudre les disparités entre les genres.
Par ailleurs, et c’est peut-être, l'un des aspects qui font le plus parler d’elle à travers le monde, la Constitution sud-africaine est la seule du genre sur le continent à ne pas considérer l’homosexualité comme un délit. Le mariage et l’adoption par les couples homosexuels y sont autorisés depuis 2006. Et les villes de Johannesburg et du Cap accueillent depuis plus de vingt ans, les seules vraies Gay Pride en Afrique.
Un dispositif juridique et des garde-fous qui rassurent. Pourtant, malgré cela, le tableau n’est pas si rose. L’homophobie est encore très présente dans le pays, avec en moyenne près de 70.000 agressions sexuelles par an. Une étude récente à même démontré qu’un homme sur quatre en Afrique du Sud avait déjà été violé. Le sort des femmes est encore moins enviable. Plus la loi les protège, plus elles sont victimes d’abus en tout genre. Une récente enquête de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a souligné que 42% de jeunes femmes de 13 à 23 ans ont subi une agression sexuelle. Et les violences conjugales sont elles aussi légion. De manière générale, le pays enregistre environ 50.000 viols chaque année, dont près de la moitié sont des enfants.
Menaces sur la démocratie
Dans ce contexte où rien n'est gagné en matière de lutte contre les discriminations et les abus, la nomination d’un juge accusé de conservatisme à la tête de la Cour constitutionnelle n’est pas de nature à rassurer l’opinion publique sud-africaine.
«Je récuse les allégations selon lesquelles je serais insensible au sort des femmes maltraitées et homophobe (...) Il n'y a pas d'élément pour dire que j'étais un agent de l'apartheid», n’a de cesse de répondre le juge Mogoeng Moegoeng au déluge de critiques portées contre lui. Des critiques auxquelles il faut d’ailleurs ajouter sa présumée inexpérience, son passé d’avocat de l’Etat sous l’apartheid entre 1986 et 1990, ses liens avec le président sud-africain, Jacob Zuma, et ses positions assez ambiguës sur la peine de mort.
Le juge Mogoeng ne démord d’ailleurs pas face aux critiques et soutient depuis sa nomination qu’il s’agit là, d’une volonté de Dieu:
«J’ai prié et j’ai reçu un signal. Dieu m’aidera à accomplir cette tâche importante», affirme-t-il, l’air de rien.
Ce qui en ajoute au courroux de certains observateurs. Pierre de Vos, politologue sud-africain et défenseur des droits de l’homme, dresse un jugement sans appel :
«Pour les dix prochaines années, le système judiciaire sud-africain va être mené par un juge profondément conservateur. Cela pourrait avoir des conséquences fâcheuses dans le processus de transformation de la société souhaité par la Constitution de 1996.»
Dans tous les cas, le seul fait que les critiques portées sur le juge Mogoeng Mogoeng existent, et l’obstination de Jacob Zuma à le nommer à la Cour constitutionnelle, en disent long sur les valeurs défendues par le président sud-africain. Jacob Zuma lui-même n’a pas été épargné par des accusations de viol en 2006. Même s’il a fini par être acquitté par la Haute Cour de justice de Johannesburg, ses positions troubles sur la question du sida et sa polygamie légendaire (il a trois épouses) ne font pas forcément de lui, un homme «moderniste». Les Sud-Africains peuvent toujours compter sur son habileté politique, qui l’empêchera toujours d’installer dans le pays un recul de la démocratie et de la liberté d’expression.
Raoul Mbog
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